interview Bande dessinée

Frédéric Vervisch

©Bamboo édition 2008

Frédéric Verviswh est le dessinateur de Plus jamais ça (avec Jean-David Morvan), d’Assassination (tout seul) et dernièrement, de l’étonnant Chinn ! Aux côtés de son compère Bertrand Escaich (Beka pour les intimes), il livre dans cette série les aventures historiques de deux jeunes combattants chinois éclairés, alliant une bonne dose d’humour à de légères piqûres culturelles sur l’empire du milieu. Nous avons rencontré l’auteur lors du dernier salon d’Angoulême…

Réalisée en lien avec l'album Chinn T2
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
19 septembre 2008

Bonjour Fredéric, pour commencer, peux-tu rapidement nous présenter ta vie, ton œuvre, ton parcours jusqu'à Chinn ?
Frédéric Vervisch : Je suis storyboarder de dessin animé. Je bosse sur Spirou en ce moment. J’ai commencé il y a plus d’une quinzaine d’année, j’ai bossé chez Disney, Dupuis et sur pas mal de série comme Oggy et les cafards, les Totally Spies. J’ai commencé dans la BD en 2003, avec Jean-David Morvan, sur une série qui s’appelle Plus jamais ça. J’ai fait un tome tout seul car ma relation avec Morvan est arrivée à son terme, il avait trop de trucs à faire et il a du faire des choix logiques. J’ai alors créé une série tout seul qui s’appelle Assassination et qui compte aujourd’hui 2 tomes. Est venu une rencontre avec Bertrand Escaich, co-scénariste des Rugbymens, et il m’a dit avoir beaucoup aimé mon western Plus jamais ça. Il pensait alors que cela pourrait fonctionner sur son projet de western asiatique, avec un visuel plus classique et moins gros nez, un style que l’on retrouvait à l’époque chez Bamboo. Il voulait amener une touche plus graphique ou semi-réaliste. J’ai lu son scénario, le projet était déjà accepté et en plus c’était bien ! Il m’a ramené énormément de documents et de photos, je me suis beaucoup inspiré de films comme Hero ou Tigre et Dragon. Le tome 1 sert d’introduction alors que le second se concentre plus sur l’action. On retrouve de l’aventure, une culture peu connue et je pense que le résultat est assez intéressant.

Copyright Fred Vervisch/David Dany 2008On ressent l’inspiration des films de sabre mais on note quand même que vous vous écartez de l’aspect fantastique inhérent au genre…
FV : On s’est posé la question de savoir si comme dans Tigre et Dragon, on devait faire voler nos personnages mais je ne le sentais pas. Je ne sais pas pourquoi, c’est ma culture probablement. Lorsque j’ai vu le film Tigre et Dragon, voir les personnages voler, ça m’a choqué. C’est purement culturel et pour nous, on se demande ce qui se passe. Je voulais le faire, mais je n’ai pas réussi, et je ne voulais pas faire ce que je ne sentais pas. Selon moi, cela aurait collé à une histoire onirique, mais pas dans le western d’aventure. Et puis finalement, je l’ai plus senti pour le tome 2 ! Je le sentais bien là... Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais !

Comment travailles-tu avec Bertrand Escaich ?
FV : Il m’a envoyé le tome 1 en entier, mais la suite a été écrite en fonction de ce qu’on a fait sur le premier. Il a déjà en préparation un tome 3. Dans le second tome, Le monastère de la vieille forêt, c’est une référence aux moines shaolins car le mot shaolin veut dire « petite forêt ». Zut je viens de révéler la fin (rires) ! En fait, on va se servir de la légende des moines shaolins, qui sont tellement légendaires depuis la nuit des temps, que personne ne veut les envahir. Ils ont beau s’entraîner à tous les arts martiaux, ils se reposent un peu sur leurs lauriers et tout d’un coup, les cavaliers mongols se rendent compte de cela. Les moines vont donc appeler nos deux héros à l’aide. Ce qui est intéressant dans les arts martiaux n’est pas forcément de savoir qui est le plus fort, mais aussi la rencontre entre deux maîtres du genre. Et puis il y a un côté artistique, danse.

Tu es à l’opposé d’Assassination sur Chinn !
FV : Et encore tu n’as rien vu ! Je me lance dans le polar humoristique (rires) ! J’ai fait du dessin animé, je passe du dramatique à quelque chose d’onirique, en passant par du poétique, de l’action, de l’humoristique, du statique, du contemplatif. J’ai découvert des genres dans le dessin animé qui m’ont donné envie d’explorer plein d’univers. La question est de savoir ce que tu veux faire de ton dessin.

Comment s’est passé la colorisation ?
FV : David Dany est quelqu’un avec qui j’ai travaillé dans le dessin animé. On avait déjà travaillé sur un projet de bande dessinée pour Delcourt mais qui n’avait pas été pris. On avait bossé super vite et super bien, donc je l’ai rappelé alors qu’il était en vacances à la Réunion et il a accepté très vite ! Il était déçu au début par l’impression car il travaille sur informatique et lorsqu’il a vu le résultat il trouvait cela vachement gris. C’était sa première impression sur papier… Il faut lire le premier tome avec une bonne lumière !

Si tu avais une gomme magique pour corriger un détail ou une partie d’un de tes titres, souhaiterais-tu l’utiliser ?
FV : Je changerais les proportions des bambous à la fin du tome 1, si tu vois les stries (page 44), ils sont vachement espacés et en réalité, ils sont beaucoup plus rapprochés. C’était pour l’effet cartoon et dynamique de la scène. Je referais peut être la première page, elle est un peu dépouillé. J’ai un peu de mal à garder mon style, il fluctue beaucoup trop ! J’aime bien la scène dans le restaurant, je la trouve lisible pour le lecteur. Le coloriste a amélioré certaines cases que je trouvais un peu vides aussi. Pour les détails, j’ai essayé de me rapprocher de ce que cela pouvait être à l’époque… En fait, il y a très peu de documents sur cette époque, voire que dalle. On a juste retrouvé des soldats en terre cuite enterrés.

Si tu pouvais conseiller des titres à nos lecteurs ?
FV : Je suis fan de Frank Miller donc il faut relire tous les Sin City. J’aime bien Davodeau et les mecs qui ont un dessin qui racontent quelque chose. Après, certains auteurs comme Guarnido pour Blacksad, par exemple, livre un dessin hyper détaillé… Je me dis, pendant que je lis, c’est beau et c’est tout. Je trouve qu’il y a déséquilibre entre le dessin et le scénario et de fait, on se souvient surtout des dessins... Pour moi le dessin doit servir une histoire. Si on se souvient des dessins et que l'histoire ne laisse pas de trace, pour moi c'est raté... Mais c'est un vaste débat ! Je trouve Moebius impressionnant, mais des fois j’ai du mal à le lire, hormis Blueberry. Pour moi, la BD est une osmose entre une histoire et un dessin, pas juste afin de montrer que tu dessines comme un Dieu !

Si tu avais le pouvoir de te téléporter dans le crâne d’un auteur de BD afin de comprendre son génie, qui souhaiterais-tu visiter ?
FV : Peut être Hugo Pratt car j’ai eu parfois du mal à voir où il voulait en venir. Il faudrait aussi prendre les mêmes drogues que Moebius pour comprendre des séries comme le Garage hermétique (rires).

Merci Frédéric !