interview Comics

Gerry Alanguilan

©Çà et là édition 2011

On croise son nom dans les comics depuis la fin des années 90, en tant qu’encreur. Mais depuis l'an dernier, Gerry Alanguilan a passé un cap avec son Elmer. Cet album entièrement réalisé par ses soins (scénario, dessin, encrage), a étonné plus d‘un lecteur en mettant en scène… une famille de poulets ! Depuis, les récompenses pleuvent, avec entre autre une nomination aux Eisner Awards et un prix à l’édition 2011 de la Japan Expo. Très disponible, l'auteur philippin, nous a expliqué sa passion pour le 9ème art et pour certains auteurs francophones. Une cyber-rencontre fort agréable. Un dernier conseil : lisez Elmer !

Réalisée en lien avec l'album Elmer
Lieu de l'interview : le cyber-espace

interview menée
par
3 septembre 2011

© Gerry AlanguilanBonjour Gerry, tout d’abord, peux-tu te présenter ?
G. Alanguilan : Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours lu des comics et ça a occupé une bonne partie de ma vie. Parmi mes lecture favorites, il y avait Les aventures de Tintin et Astérix et elles furent de grandes influences pour moi. J’ai commencé à créer de petites BD, en tant que hobby, mais je n’avais jamais pensé qu’un jour, je ferais carrière dedans. Ma rencontre en 1992 avec Whilce Portacio fut un catalyseur, car il m’a poussé à devenir professionnel. C’est d’ailleurs lui-même qui a provoqué les choses et m’a amené à travailler pour Wildstorm et Image pendant plusieurs années.

Tu vis dans ton pays d’origine, les Philippines. Cela n’est pas trop dur de travailler sur le marché américain ?
G. Alanguilan : C’est définitivement le rêve de ma vie. J’étais tellement heureux lorsque je me suis rendu compte qu’il devenait réalité. Après, c’était bien sûr difficile de percer dans le monde des comics et cela a pris plusieurs années. Travailler avec les autres auteurs n’a jamais été difficile car aux Philippines, nous parlons très bien anglais. Cela a facilité les choses avec les autres auteurs.

Ces dernières années, tu n’es pas le seul philippin à avoir percé. Il y eut aussi Carlo Pagulayan. Comment l’expliques-tu ?
G. Alanguilan : Les Philippines ont subi de grosses vagues culturelles provenant des Etats-Unis, durant plusieurs décennies. Les comics nous ont frappés dès les années 70. Ensuite, je dirais que dans mon pays, nous avons de nombreux auteurs très talentueux, mais aussi de très bonnes bandes dessinées.

Quelles sont tes influences ?
G. Alanguilan : En vrac : Hergé, Uderzo, Barry Windsor Smith, David Mazzucchelli, Frank Miller, Neil Gaiman, Alan Moore, Fracisco V. Coching, Nestor Redondo, Alex Niño, Alfredo Alcala, Franklin Booth, Mike Kaluta, Bernie Wrightson, Bernie Krigstein, Moebius, Robert Crumb, Rudy Florese, Ladronn.

© Gerry AlanguilanLa première fois qu’on a découvert ton nom dans un comic books, c’est en qualité d’encreur. Que penses-tu de ton rôle d’encreur et que t’apporte-t-il ?
G. Alanguilan : J’ai encré de nombreux dessinateurs comme Roy Allan Martinez, Gilbert Monsanto, Whilce Portacio et Leinil Francis Yu. J’ai adoré travaillé avec eux pour de nombreuses raisons et pas uniquement parce que j’adore leur travail. J’ai beaucoup appris à leur côté et notamment de nouvelles approches. Quand tu encres ce que tu ne ferais pas toi-même, tu apprends énormément. C’est toujours enrichissant quand d’autres artistes enrichissent l’art d’un autre.

En 2010, nous avons découvert Elmer, un fantastique récit mettant en vedette… des poulets !
G. Alanguilan : J’ai grandi aux Philippines au beau milieu de la campagne. J’ai toujours vu plein de poulets autour de moi. Il y en a même qui trainent au bord des routes. Comme beaucoup d’auteurs, j’adore imaginer des choses. Mon esprit s’est posé des questions : pourquoi les poulets semblent toujours en colère ? S’ils pouvaient parler, que nous diraient-ils ? « Arrêtez de nous manger ! » serait probablement leur première phrase. C’était amusant, mais je voulais qu’ils parlent vraiment. Alors j’ai traité ce sujet le plus sérieusement possible. C’est ainsi que la création d’Elmer s’est faite. Une fois que j’ai eu l’idée générale de l’histoire, je voulais que le monde entier change suite à un événement. Je me suis focalisé sur une famille de poulets et c’est à travers leur regard que j’ai voulu narrer l’ensemble. Cela a enrichi mon scénario et c’était plus simple de le raconter.

Elmer a connu un très bon accueil en France…
G. Alanguilan : J’en suis très content et c’est une véritable surprise. Je n’aurais jamais imaginé que mon histoire puisse être lue dans le monde entier.

Sur ce titre, tu es multi-casquette : scénario, dessin, encrage, éditeur…
G. Alanguilan : Elmer a été publié en premier aux Philippines, au sein de ma maison d’édition, Komikero Publishing. J’ai quitté DC Comics en 2005 car je souhaitais me concentrer sur mes propres projets. Je faisais Elmer, mais ce n’est pas tout. Car j’ai écrit, dessiné et colorisé d’autres histoires pour des magazines philippins, telles que Humanis Rex ! et Timawa. J’ai travaillé énormément, parce que quitter mon poste d’encreur sur le marché américain était difficile, financièrement. Travailler uniquement pour le marché philippin peut être très compliqué. Après avoir terminé Elmer, j’ai recommencé mon travail d’encrage chez Marvel dès 2009. Je préfèrerais toujours créé mes propres histoires. Il n’y a rien de mieux que de créer soi-même. C’est palpitant et exaltant.

Elmer a été nominé aux Eisner awards… Qu’est-ce que ça t’a fait ?
G. Alanguilan : J’avais l’espoir de gagner mais ce ne fut pas le cas. C’est néanmoins un immense honneur d’avoir été nominé. C’était une très bonne surprise. Je ne l’avais pas vu venir. J’espère que cela m’ouvrira plus de portes, d’opportunités, et me permettra par la suite de créer plus d’histoires et de toucher plus de monde.

Comment ont réagi tes éditeurs américains ?
G. Alanguilan : Mon éditeur souhaite publier d’autres de mes titres. Je pense qu’il devrait sortir prochainement un album intitulé Where bold stars go to die. J’ai seulement écrit le scénario et c’est l’un de mes amis Arlan Esmeña qui l’a illustré.

En France, également, tu as gagné un prix au récent Japan Expo avec le Meilleur titre provenant d’Asie. Tu étais au courant ?
G. Alanguilan : Oui, j’en ai entendu parler. J’aurais espéré le recevoir en mains propres ! C’est vraiment génial, j’aimerais visiter la France, un jour.

Connais-tu des auteurs français en particulier ?
G. Alanguilan : Je connais bien évidemment des artistes populaires comme Moebius. Et l’un des artistes que j’adore a travaillé aussi pour Metal hurlant, il s’agit de Ladronn. Il n’est pas français, mais son travail sur L’incal de Jodorowski est brillant. Et puis, il y a aussi Goscinny et Uderzo. Je suis également un grand fan de David Beauchard (NDR : David B). L’ascension du haut mal a vraiment influencé mon travail sur Elmer. Je connais aussi Jacques Tardi, Philippe Druillet et Enki Bilal. Je possède beaucoup de leurs albums.

Quels sont tes futurs projets ?
G. Alanguilan : Je travaille en ce moment sur The Marvelous Adventures of the Amazing Doctor Rizal. C’est un album entièrement colorisé, au format large, proche de celui des BD, d’environ 65 pages. C’est un hommage au Docteur Jose Rizal, un héros national philippin. Je ne sais pas quand cela sortira, mais ce sera cette année. J’ai déjà prévu une autre histoire, Factory defect, une quête assez courte pour notre Komikon en novembre.

Si tu avais la possibilité de travailler sur un super héros, lequel choisirais-tu ?
G. Alanguilan : Superman.

Récemment, quelles lectures t’ont marqué ?
G. Alanguilan : Ce ne sont pas vraiment des séries mais plutôt des romans graphiques. Je recommanderais Asterios Polyp de David Mazzuchelli et Pinocchio de Winshluss.

Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d’un autre auteur pour en comprendre son génie, qui choisirais-tu ?
G. Alanguilan : Francisco V. Coching

Si je t’offrais un super pouvoir, lequel voudrais-tu ?
G. Alanguilan : J’aimerais pouvoir soigner les gens afin que tout le monde soit heureux.

Si tu n’avais pas fait de comics, dans quoi te serais-tu reconverti ?
G. Alanguilan : J’aurai fait de l’architecture.

Pour terminer, as-tu un message pour tes lecteurs français ?
G. Alanguilan : Merci énormément à tous ceux qui ont lu mon livre. Il représente énormément de choses pour moi et j’espère que vous pourrez en découvrir d’autres. J’aimerais bien venir en France et me rendre au festival d’Angoulême. Je viens de regarder les tickets d’avion et ce n’est pas si cher que ça. Je viendrais probablement !

Merci Gerry !

© Gerry Alanguilan