interview Bande dessinée

Isabelle Bauthian et Sylvain Limousi

©Dargaud édition 2008

Tous nouveaux venus dans la bande dessinée, Isabelle Bauthian et Sylvain Limousi commencent par une œuvre en one-shot d’une belle originalité graphique et narrative. Sur la chronique sociale contemporaine et légèrement érotique scénarisée par Isabelle, se greffe un dessin à mi-chemin entre le manga et l’école franco-belge, parfaitement adapté à cette histoire touchante. Pour comprendre la genèse d’Effleurés, les bédiens ont recueilli une petite interview…

Réalisée en lien avec l'album Effleurés
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
2 mars 2008

Bonjour Sylvain et Isabelle ! Faisons connaissance : pourriez-vous vous présenter rapidement : votre vie, votre œuvre ? Comment en êtes-vous arrivés à faire de la bande dessinée ?
Isabelle Bauthian : Ca va être rapide car Effleurés est ma première BD. J’ai écrit dès que j’ai su écrire. Et, j’ai toujours inventé des histoires. Pendant un temps, j’ai fait une pause pour me tourner vers la comédie. Puis j’ai rencontré Nicolas Jarry, un ami. Il est scénariste et c’est lui qui m’a redonné le goût de la BD. En fait, je faisais une thèse de bio et j’ai écrit des BD en même temps.
Sylvain Limousi : Avant, je dessinais juste pour moi. Pour déconner. Et puis j’ai rencontré un dessinateur professionnel. Il m’a donné quelques petits cours, pendant deux semaines. Et un jour, il m’a juste dit « franchement, tu pourrais faire quelque chose ». Là, j’ai changé d’optique. J’ai arrêté les études et je m’y suis mis à fond pendant huit ans. Entre temps, j’ai envoyé mes planches aux éditeurs. Mais quand je vois aujourd’hui ce que je leur ai envoyé à l’époque… (rires), je comprends les refus. J’ai mis mes dessins sur Internet. Et puis, Isabelle m’a remarqué. Et elle m’a proposé de travailler avec elle.

Copyright Lisousi 2008Qu’est-ce qui t’a plu chez lui ?
Isabelle : Je trouvais qu’il avait un style particulier, très personnel. En même temps il a des influences qui sont super bien digérées. Toutes proportions gardées, il m’a fait pensé à Jamie Hewlett, le dessinateur de Tank Girl et Gorillaz. Il faisait très bien passer les sentiments sans en faire des caisses non plus. Je trouvais son travail très intéressant.

Les quelques planches présentées sur Internet, c’était déjà dans ce style un peu chronique sociale, sentimentale ?
Isabelle : Il y avait l’échange de bonbons entre les deux femmes, une planche un peu érotique qu'on a reprise dans Effleurés. C’est à la fois érotique et pudique. C’est sur cette planche là, entre autre, que j’avais repéré son travail.

C’est strictement la même planche ?
Isabelle : Non, ce n’est pas la même planche. C’est juste un clin d’œil à nous-mêmes finalement !

Comment as-tu abouti à ce style un peu nouveau, qui ne ressemble à rien… ?
Sylvain : (rires) Merci !

…qui ne ressemble à rien d’existant ? C’est à la foi manga… mais pas tout à fait… Les traits sont assez simples au niveau des yeux, par exemple, et en même temps c’est hyper détaillé…
Copyright Lisousi 2008Sylvain : Comme tous les jeunes de ma génération, j’ai fait du manga. Et puis la personne qui m’a donné quelques cours particuliers m’a dit un jour : « Arrête le japonais. Tu es français, faut que tu fasses du français. » Du coup, je me suis tourné vers du franco-belge. Je n’ai pas réussi à m’en détacher parce que j’adore trop. J’ai essayé de le mixer et ça a donné ça.

Bizarrement les japonais dans leurs mangas font des gros yeux européens. Et toi, dans ton style, ils ont tous les yeux bridés.
Isabelle : C’est pas con, ça, j’avais jamais fait gaffe…
Sylvain : Je ne sais pas… Je crois que je suis attiré par des femmes aux yeux bridés. Involontairement ça doit se voir. Je vis en Chine depuis un an.

Définitivement ?
Sylvain : Non. Je pense que je vais y rester encore un an. Je n’ai pas vraiment de projets au-delà d’un an.

Pour revenir sur l’histoire, qu’est-ce qui t’a motivé à l’écrire? C’est un peu autobiographique, j’imagine ?
Isabelle : Non, pas du tout. Je veux que ça soit écrit ! Les personnages ne sont pas moi. Ni Fleur, ni Christophe. Y’a des gens qui pensent que Fleur c’est moi, parce qu’elle est un peu grande gueule… et moi aussi. Mais ce ne sont pas forcément des gens avec qui je m’entendrais plus que ça. En revanche, je les respecterai profondément. Je voulais des gens qui soient porteurs de certaines convictions, celles qui me paraissent importantes et pas toujours très développées dans la littérature. Quand on parle des petites cases, des conventions sociales, c’est souvent stéréotypé. Là, je voulais le faire de manière plus suggérée. En disant qu’on peut extérioriser sans le faire de manière revendicative. Et qu’on peut aussi être classique sans être un gros ringard, tout en étant bien dans le monde et ouvert à autrui… La question est aussi de savoir qui est le plus ouvert des deux finalement…Fleur, qui est très ouverte à l’expérience, n’est pas forcément ouverte aux changements et à la remise en question, du moins à cette période de sa vie. Je trouvais ça intéressant d’avoir des personnages qui ne soient pas stéréotypés sur ce point de vue là, mais plutôt complexes.

C’est ta façon de travailler ?
Isabelle : Je ne travaille pas sur mes autres scénarios comme j'ai travaillé sur Effleurés. Là, c’est vraiment venu assez instinctivement comme histoire. Au départ, j’avais l’idée du titre. L’album devait s’appeler Fleur de peau, c’est un joli titre, avec le prénom de l’héroïne, le côté à fleur de peau, le tatouage. Donc je suis partie du titre pour créer une histoire. Je voulais parler de ces histoires de trentenaires, comme on en voit beaucoup dans la littérature, qui ont tout pour eux en France, dans un pays industrialisé, mais qui ont du mal à trouver leur place. Et je voulais essayer de ne pas en parler de manière « intellectualisante ». Car, dans ce que j'avais lu, c’était souvent très cathartique ou très intello. Parfois un peu nombriliste. C’est aussi pour ça que je voulais faire des personnages très différents de moi parce que je ne voulais pas parler de moi justement. Je voulais parler de convictions.

C’est ça qui est très enthousiasmant dans cette BD. Tu as une approche très grand public, très facile. Et finalement, tu dis beaucoup de choses sur le rapport à l’autre, le rapport à la société… C’était le but recherché ?
Isabelle : Je ne devrais pas le dire parce que je trouve que ce n’est pas bien de travailler comme ça, mais ce scénario a été écrit de manière assez instinctive. Les choses venaient spontanément. Les grandes thématiques, je voulais les développer. J’ai quand même effectué un gros travail préparatoire sur les personnages mais ça s’est fait sans trop y réfléchir. J’ai fait confiance à la préparation.

Pourquoi avoir attendu un an avant de publier Effleurés ?
Isabelle et Sylvain (en choeur) : C’est pas nous !
Isabelle : Ils (les éditeurs, NDLR) avaient un catalogue de sortie avec beaucoup d’auteurs. Ce qui est très bien, c’est qu’ils n’ont pas voulu nous faire sortir avec leurs gros auteurs. Ils ont voulu attendre le bon moment. Pour nous, c’est un peu curieux, parce quand l’album est sorti, on était chacun sur d’autres projets. Et du coup, quand je l’ai relu, ça m’a permis d’avoir une vision plus objective. Je ne me souvenais même plus très bien des planches.

Comment ça s’est passé avec Dargaud ? Vous avez signé tout de suite ?
Isabelle : C’est signé avec Dargaud depuis plus d’un an. Ils nous ont fait travailler avant de signer définitivement. En fait, c’était au-delà de nos espérances. On a envoyé nos planches à plusieurs éditeurs, et quinze jours après, la maison d’édition nous répondait en nous disant que ça l’intéressait. On ne pensait pas se retrouver chez Dargaud dès le premier album.

Et donc, depuis un an, qu’est-ce que vous faites ?
Isabelle : J’ai signé une autre BD chez Emmanuel Proust. Je l’ai signée quasiment en même temps que Effleurés car j’avais envoyé les dossiers au même moment. C’est un peu différent. C’est une trilogie fantastique, qui parle aussi de thèmes sociaux. L’idée, c’était de partir des rapports de personnages à la Buffy pour essayer de se détourner de ces références, et d'amener des thèmes un peu plus profonds qui pouvaient très bien s’intégrer à ce type de narration. Ça devrait sortir au 2e semestre 2008. Y’a le tome 2 qui va sortir juste après. Je suis également sur d’autres dossiers. J’ai des échos positifs mais rien n’est signé pour l’instant. Y’a de la fantasy. J’attends de vivre de la BD avant de me remettre au roman.

C’est plus facile ?
Isabelle : Un roman, c’est un an de travail pour écrire un livre sans garantie de signer. Et ce n’est pas très bien payé. Alors que la BD, même s'il y a un gros travail de préparation, on ne présente que quelques planches. Et une fois que c'est signé, on est mieux payé.

Et toi, Sylvain, quid depuis un an ?
Sylvain : Je suis parti en chine pour voir du pays. J’ai signé chez Kstr (NDLR : le label « rock » de Casterman) depuis mars 2007. Le bouquin devrait sortir en septembre 2008. J’écris, je dessine. Une amie fait la couleur et une autre des illustrations. J’ai un 3e projet en cours.

Pourquoi la Chine ?
Sylvain : Y a plein de raisons. J’ai des amies étudiantes dans le commerce. Elles voyagent beaucoup et n’avaient qu’une seule envie, c’était de retourner en Chine. Je ne comprenais pas pourquoi, juste un feeling extraordinaire. Vu qu’on peut se permettre de travailler d’où l’on veut, je les ai suivies. Et puis visa après visa, ça fait un an.

Si vous aviez une gomme magique, que changeriez-vous ?
Sylvain : Je ne répondrais pas à ça (rires). C’est fait, c’est fait. Ça me plait comme ça.
Isabelle : Moi, j’aimerais développer un peu plus la fin. On ne m’en a pas fait le reproche, mais à titre personnel, j’aurais aimé le faire. Même si ce n’est pas dérangeant pour la lecture de l’album. Mais franchement quand je l’ai relu, j’ai bien aimé. J’espère que chaque album qui suivra sera meilleur que le précédent, mais je pense que je n’ai pas à rougir de cette BD.

Si vous deviez conseiller des lectures de BD ?
Sylvain : Moi, je suis largué… Je ne lis pas beaucoup. En Chine, je passe plus mon temps à me balader, je cherche plus à rencontrer les gens.
Isabelle : Je dis toujours que je n’aime pas l’écriture cathartique, mais pour moi le summum du roman graphique, c’est Le Combat ordinaire. Bon, ça fait un peu con de conseiller un bouquin qui se vend super bien, mais c’est un succès mérité. Je trouve que l’universalité qu’il a donné à ce truc là, c’est vraiment admirable. Sinon, je vais conseiller des trucs super connus comme De cape et de crocs. Ayroles est je crois l’un des meilleurs scénaristes qui existe. Si je devais conseiller un album pas très connu… ça serait Missy (La Boîte à bulles). C’est un album qui mérite d’être découvert.

Si vous aviez le pouvoir cosmique de vous téléporter dans le crâne d’un autre auteur de BD pour comprendre son œuvre, cerner sa façon de travailler, qui iriez-vous visiter ?
Isabelle : Ce ne serait pas de la BD. Mes deux références sont Shakespeare et David Mamet. Ce sont des auteurs universels, qui ont vraiment une approche intérieure. Ils ne sont pas narrateurs. Leurs personnages existent. Par exemple, chez Shakespeare, ses personnages féminins sont des gens avant d’être des femmes. Ce qui est très rare pour les auteurs de cette époque, même maintenant d’ailleurs. Ces auteurs ont une objectivité, une intériorité, une imagination et un talent littéraire incroyables. Pour le coup, c’est l’approche que j’essaie d’avoir.
Sylvain : Je vais passer pourquoi moi… C’est quoi le nom du mec qui a fait Hellboy. Mignola ? (rires) Voilà, c’est très bien Mignola. J’aimerais bien rentrer là-dedans.

C’est votre dernier mot ? Merci à tous les deux !

Copyright Lisousi 2008
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