interview Comics

Ivan Brandon

©Glénat édition 2015

Scénariste depuis quelques années déjà, le public français connaît encore bien mal Ivan Brandon. Si l'on a pu lire quelques uns de ses travaux, bien peu ont marqué les esprits jusqu'ici. Avec la sortie de Drifter, l'auteur risque de changer la donne. En proposant un univers original et formidablement mis en scène par le dessinateur Nic Klein, avec qui il collabore depuis longtemps, Ivan Brandon a déjà conquis les lecteurs américains et son titre bénéficie d'excellents retours des critiques. Heureux de voir sa série publiée en France, l'auteur est venu à Angoulême fin janvier pour évoquer avec nous Drifter ainsi que le reste de sa carrière.

Réalisée en lien avec les albums Drifter T1, Fear Agent
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
6 avril 2015

Bonjour Ivan Brandon, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Ivan Brandon : Je m'appelle Ivan Brandon. J'ai été fan de comics pendant la plus grande partie de ma vie. Je m'en suis cependant désintéressé quelques temps, à l'époque du lycée, afin de me concentrer sur les filles. J'avais jusqu'alors surtout lu des comics de super-héros, depuis mon enfance mais quand je m'y suis remis, j'ai commencé à lire des oeuvres plus adultes, des polars, ce genre de choses. J'ai eu la chance de compter parmi mes amis des gens qui travaillaient déjà dans l'industrie des comics et le premier job que j'ai occupé, je l'ai eu grâce à un ami, Michael Oeming, qui n'était pas encore auteur à l'époque mais qui souhaitait réaliser un comics intitulé The Cross Bronx. L'idée était alors que j'écrive ce comics pour lui. On s'est alors mis au boulot, on a développé l'idée et on en a fait une série. Et cette série a été publiée, a eu du succès et, à partir de là, j'ai eu de la chance. En fait, ce qui s'est passé, plus simplement, c'est qu'entre le moment où j'ai commencé à écrire ce script et celui où le comics est sorti, ce premier job m'a permis d'en obtenir un autre auprès d'une compagnie nommé Beckett qui fait des trucs de sport, des cartes de baseball, des guides de cotes pour ces cartes, ce genre de choses. Pendant quelques temps, ils ont aussi édité quelques comics, aux alentours de 2000. Et ils m'ont engagé pour mes premiers projets qui étaient Gene-Fusion, qui était lié à une série animée qu'ils produisaient, et j'ai aussi fait, là-bas, Terminator, avec Goran Parlov. Voilà comment j'ai vraiment débuté et Cross Bronx est sorti après ça. Donc les fonds reçus pour développer Cross Bronx m'ont permis d'obtenir ce premier boulot et ces premières séries m'ont permis d'avoir les autres. Après ça, je suis allé chez Marvel, DC, Image...

Quelles sont tes influences ?
Ivan Brandon : Mes influences sont bizarres car je cherche toujours à surprendre les lecteurs mais aussi à me surprendre, moi. Mes influences ont donc tendance à être des choses sortant de l'ordinaire plus que d'autres auteurs. ça va aller de la musique à des émissions télé que j'aime bien ou un film. Je n'ai pas d'influences à proprement parler au niveau du style, seulement des choses qui m'inspirent. En tous cas, je n'ai pas conscience d'avoir eu des influences sur mon style, seulement des choses qui m'inspirent, me donnent des idées ou encore qui m'inspirent une atmosphère, une ambiance, ce genre de choses. C'est bizarre mais bon, mon cerveau est bizarre et fonctionne étrangement. Je suis inspiré par des trucs aléatoires.

Aujourd'hui, tu es en France pour parler de Drifter. C'est le fruit d'une collaboration entre toi et Nic Klein. Vous avez déjà travaillé ensemble sur Viking. Que peux-tu nous dire sur le fait de travailler avec Nic ?
Ivan Brandon : J'ai rencontré Nic en 2004 ou 2005. Il vit en Allemagne et moi à New York. On s'est très bien entendu et on voulait écrire une histoire de vikings. J'avais cette idée en tête moi-même depuis un long moment mais je tenais à écrire une histoire de vikings qui s'écartaient de tout ce qu'on avait pu voir sur le sujet jusqu'alors. Pour moi, les histoires de vikings étaient alors... Je ne veux pas dire "un truc de nerds" mais disons que ça visait généralement un public très restreint. Il y a des runes, c'est quasiment réservé aux fans de Donjons & Dragons. Je voulais quelque chose de plus universel, qui plairait aux gens qui n'avaient jamais lu de truc sur les vikings avant ça ou qui, en tous cas, n'était pas particulièrement intéressés par les vikings, au départ. Juste un truc cool qui puisse les intéresser, en somme. Avec Nic, donc, on voulait faire quelque chose de très différent au niveau esthétique. Et Nic a assuré à ce niveau-là : il a développé un style de dingue, il a peint sur la moitié de l'histoire, utilisé de l'aquarelle... Il a peut-être utilisé une dizaine de techniques différentes de manière à ce que les illustrations aient toujours l'air originales et uniques. Nic a été un très bon collaborateur car on a tous les deux à cœur de surprendre les lecteurs. On se concentre tous les deux sur ce point précis.

C'est pourquoi tu as travaillé une nouvelle fois avec lui ?
Ivan Brandon : On a travaillé plusieurs fois ensemble, en fait. On a fait Doc Savage, JSA... Plein de projets.

Peux-tu nous présenter Drifter ?
Ivan Brandon : Bien sûr ! Je vais essayer, en tous cas - c'est une histoire très étrange. Le concept de base de Drifter est qu'on essaie d'introduire un univers qui s'oppose à celui de Star Trek où tout est beau, lisse et propre. L'idée est qu'au début des voyages interplanétaires, pour l'humanité, le processus n'est pas aisé, les infrastructures ne sont pas facilement mobiles. Tiens, par exemple, on a des smartphones, mais ces smartphones ne fonctionnent que si on a des antennes relais et quelque chose permettant de le charger. Eh bien sur d'autres planètes, ces éléments indispensables n'existent pas. Notre idée était donc que pour avancer dans le futur, il nous faudra alors aussi régresser. La majeure partie de notre société, aujourd'hui, nous est livrée clé en main. Si tu veux une maison, elle est déjà construite, quelque part, il te faut juste trouver à qui l'acheter. Dans notre univers, ce ne serait pas possible et toutes les choses que l'on savait faire il y a deux cents ans et qu'on a depuis oubliées, il nous faudra les réapprendre. On a surnommé ça de la Science-Fiction Sale. On voulait quelque chose s'apparentant aux débuts de la conquête de l'ouest où là, il s'agissait de poser les premiers rails de chemins de fer. Au delà de cette idée de départ, c'est l'histoire d'un homme qui se met en route pour aller voir sa petite copine et son vaisseau s'écrase sur cette planète où les humains ne sont pas l'espèce dominante. Et il ne comprend rien au système régissant cette planète. Il y a donc beaucoup de mystères entourant cette planète, notamment autour du crash de son vaisseau car il ne sait même pas quand il s'est écrasé, par exemple. Il y a aussi une histoire de vengeance entre ce type et un autre qui l'a attaqué dès son arrivée sur cette planète... C'est en fait l'histoire d'un type qui se plante en plein milieu d'une crise extra-terrestre.

As-tu une idée du nombre final d'épisodes ?
Ivan Brandon : Ce n'est pas encore déterminé... On est dans l'idée de continuer pendant peut-être trois ans. ça dépendra de beaucoup de choses mais bon, la série commence à peine, même si le troisième numéro a très bien marché, aux États-Unis. En fait, on a trois plans différents. Un plan à court terme, un autre à long terme et le dernier entre les deux [rires]. Après ce premier cycle, qui sortira en France et regroupera les cinq premiers épisodes, on aura une meilleure idée en qui concernera l'avenir de la série. On aura pu constater les réactions des lecteurs et partir de ça. Mais bon, on va dire trois ans.

Dans Drifter, on sent qu'avec Nic, vous apportez un soin particulier à l'atmosphère et aux décors de cette planète. Avez-vous eu des influences particulières, concernant l'aspect et le feeling de ce monde ?
Ivan Brandon : Beaucoup, mais comme je l'ai déjà dit, je suis influencé par des choses diverses et bizarres. On a beaucoup échangé sur l'atmosphère que l'on souhaitait donner à la série, qui est très particulière. C'est un monde très ouvert, désolé. Je le voulais à la fois familier et dérangeant. Il s'agit, au départ, de placer divers éléments de notre société mais en l'absence de celle-ci. On s'efforce de rendre ce monde familier car je pense que c'est ce que j'essaie de faire dans toutes mes histoires, y compris Viking. Ceci afin que les lecteurs puissent s'identifier aux personnages, quelque soit le lieu ou l'époque. Il faut que les désirs et les peurs des personnages soient compréhensibles pour nous, à notre époque. Pour ça, Nic et moi on s'échange aussi des trucs. Je lui envoie un morceau de musique, il m'envoie un tableau. On essaie de construire ainsi l'ambiance de cette planète, avec cet ensemble d'éléments incongrus.

Tu laisse des notes ou des indications à Nic
Ivan Brandon : Oh oui, on discute à peu près tous les jours. "Hey, tu ne crois pas que ce serait cool si... ?" : est-ce qu'on insère cet élément ? Est-ce que tel personnage devrait fumer de cette manière -là ? Je pense que le gros de nos discussions concerne cette atmosphère et sur comment rendre l'ensemble intéressant pour les lecteurs. Et aussi comment les mettre mal à l'aise. Je veux que ce soit captivant, familier, mais aussi que cette planète soit pareille à nulle autre planète que l'on ait pu croiser jusqu'à maintenant. C'est pour cela qu'on s'échange autant de choses. Mais j'ai aussi visionné beaucoup de vidéos et notamment les images que l'on a pu voir récemment, provenant de l'espace. Ce sont les choses les plus saugrenues qui vont réussir à me donner une idée.

Lis-tu des comics ?
Ivan Brandon : Oui.

En as-tu lu de bons, récemment ?
Ivan Brandon : Oui mais pas en français, malheureusement. Mon français est catastrophique. J'achète beaucoup d'albums français mais je ne regarde que les illustrations. Aux États-Unis, actuellement, mon comics préféré est Southern Bastards, de mes amis Jason Aaron et Jason Latour. C'est fantastique. J'aime aussi beaucoup Deadly Class, chez Image Comics. Sex Criminals, j'aime beaucoup. Lazarus, aussi. Je crois d'ailleurs que Lazarus va sortir dans la même collection que Drifter. A mes yeux, en ce qui concerne les comics US, on est dans la meilleure des époques. On a les meilleurs comics qu'il y ait jamais eu. Il y a beaucoup de très, très bons titres, en ce moment.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Ivan Brandon : Ma réponse va être bizarre mais ce sera un artiste. ça va aussi sûrement être une réponse facile et pas chère mais ce sera véridique. Je vais dire Jack Kirby et ça parce qu'il avait un tel enthousiasme et une telle palette de... C'était un type qui avait apparemment une idée à la minute, qui ne s'arrêtait jamais et si tu as lu son Quatrième Monde, tu as vu que chaque page contenait une nouvelle idée. Il était comme un boxeur ivre. C'est ce qu'en a dit le comédien John Hodgman, qu'il balançait ses idées comme les coups d'un boxeur saoul. Il y avait de grandes idées, de mauvaises idées, mais tellement d'idées, tellement d'énergie. Si je pouvais en absorber ne serait-ce qu'une partie, ce serait incroyable. Rien que 10% de cette énergie, j'en serais très heureux.

Merci Ivan !

Remerciements à Fanny Blanchard pour l'organisation et à Alain Delaplace pour la traduction.

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