interview Manga

Kamui Fujiwara

©Ki-oon édition 2014

Si en France, on connaissait jusqu’ici uniquement le manga Daï no Daïboken / La quête de Daï (appelé Fly dans sa première version) en ce qui concerne les adaptations de la célèbre licence vidéoludique Dragon Quest, au Japon il existe de nombreux autres titres issus de cet univers. Emblem of Roto est l’un d’eux, et non des moindres : parus entre 1991 et 1997, les 21 volumes que compte la série se sont vendus à ce jours à plus de 19 millions d’exemplaires. Plus de 20 ans après, la série débarque en France grâce à Ki-oon qui a fait venir le dessinateur du titre à l’occasion de la sortie des premiers volumes...

Réalisée en lien avec les albums Dragon Quest - Emblem of Roto T1, Dragon Quest - Emblem of Roto T2
Lieu de l'interview : Japan Expo 2014

interview menée
par
19 juillet 2014

Bonjour. Pouvez-vous nous expliquer comment vous êtes arrivé sur ce projet d’adaptation en manga de la célèbre série des jeux vidéo Dragon Quest ?
Kamui Fujiwara : J’étais très, très, fan du jeu et j’avais toujours voulu transformer l’univers en manga. J’avais même fait des essais dans mon coin, en tant que fan. Quand Enix, la société qui édite le jeu, a décidé de lancer son magazine de publication, le Monthly Shônen Gangan, j’ai postulé pour faire une adaptation de la série, et voilà !


kamui fujiwara ki-oon dragon quest emblem of roto Quel est votre épisode préféré parmi tous les Dragon Quest ?
Kamui Fujiwara : Mon préféré est le troisième.


C’est l’épisode du jeu qui a été à l’origine d’une loi au Japon interdisant qu’il sorte en semaine afin d’éviter l’absentéisme scolaire. A l’époque, où étiez-vous pour cette sortie ?
Kamui Fujiwara : J’ai un peu de mal à m’en rappeler, mais je ne me souviens pas avoir fait la queue, donc je ne devais pas être dans les acheteurs acharnés du premier jour de sortie. Je les ai tous achetés du premier au troisième chez mon revendeur, sans avoir de problème pour les trouver et, à partir de l’épisode 4, je les recevais directement à la maison grâce aux gens de chez Enix.


Qu’est-ce qui pour vous symbolise le mieux Dragon Quest ? Que doit-on retenir d’indispensable lorsque l’on fait un manga dérivé de cette licence ?
Kamui Fujiwara : Pour ce qui est du jeu, c’est un peu difficile d’expliquer ce qui fait la nature d’un Dragon Quest. En ce qui concerne le manga, ce qui le représente le mieux est une scène que vous allez lire bientôt en France, (attention spoiler) une scène de bataille avec le roi des bêtes et une armée de 10 000 monstres face à un héros. Je vous laisse imaginer cette scène de bataille qui, pour moi, représente bien l’esprit de Dragon Quest - Emblem of Roto.


Quels ont été les éléments obligatoires que vous avez dû respecter lors de la création de la série à partir du jeu vidéo ?
Kamui Fujiwara : Imaginez-vous qu’à l’époque, on jouait encore sur NES. Dragon Quest III, par exemple, n’était visuellement qu’un amas de pixels par rapport à ce qu’on peut avoir maintenant. Avec ces pixels, la représentation qu’on avait des monstres par exemple était très loin des designs originaux auxquels les joueurs n’ont pas forcément accès. Moi, je faisais avec ce que j’avais imaginé durant mon expérience du jeu, et il y a eu plusieurs fois où l’on m’a dit « non, le monstre ne ressemble pas du tout à ça » tout en me montrant les designs originaux. C’était en effet très différent de ce que j’avais imaginé à partir de mon expérience de jeu.


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A l’inverse, quelles libertés avez-vous pu prendre par rapport aux jeux vidéo ?
Kamui Fujiwara : Pour le reste, j’ai vraiment été très libre. Je n’ai pas senti de carcan au niveau de la création. Il y a plein de choses qui ne sont pas dans le jeu, comme par exemple l’armée de 10 000 monstres dont je parlais tout à l’heure, le fait qu’il y ait trois héros, des magies que j’ai inventées... A ce niveau-là, j’ai vraiment eu carte blanche pour faire ce que j’avais envie de faire.


Et quelle était votre marge de manœuvre par rapport au character design établi par Akira Toriyama ?
Kamui Fujiwara : Akira Toriyama a fait le design original des monstres, mais il restait des choses qui n’avaient pas été designées. Le dos des monstres, par exemple, n’avait pas été imaginé. A ce niveau-là, j’étais plutôt libre de ce que je pouvais faire. Il y a des exemples de fois où j’ai dû inventer un petit peu, imaginer à partir du style Toriyama, mais sans jamais vraiment de contraintes.


Quelles étaient vos inspirations lorsque vous travailliez sur le manga ? Essayiez-vous justement de vous rapprocher au maximum du style d’Akira Toriyama ou ameniez-vous votre touche personnelle ?
Kamui Fujiwara : Evidemment, j’essayais de me mettre à la place des lecteurs qui avaient envie de retrouver une certaine patte Toriyama, et donc j’essayais de me rapprocher de ce qu’il aurait pu faire pour répondre à cette attente du côté des lecteurs.


En France, on a d’abord connu l’univers de Dragon Quest en manga par la série Daï no daïboken / La quête de Daï (diffusé à la télévision et dans sa première édition manga sous le titre de Fly). Cette série a été un énorme succès au Japon. Est-ce qu’au moment de réaliser votre série, vous aviez cet ancien titre en tête, par exemple comme modèle ou au contraire avec une volonté de vous en détacher ?
Kamui Fujiwara : Non, avant de commencer à travailler sur Emblem of Roto, je n’avais jamais lu Daï no daïboken. Mais, une fois le travail entamé, j’ai quand même été voir du côté de ce manga, pour vérifier si on avait des choses en commun, ou que je réutilisais. Comme on a un même univers de référence, je voulais faire en sorte ne pas traiter les choses de la même façon, ne pas retrouver les mêmes gags ou les mêmes histoires.


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Pour vous, quelle est la différence entre le shônen d’aujourd’hui et celui de l’époque où vous avez réalisé la série dans les années 90 ?
Kamui Fujiwara : Je pense que le shônen actuel est un peu plus destiné à un public plus âgé et correspondrait peut-être plus au seinen qu’on avait à l’époque. Ce n’est pas un jugement de qualité, c’est juste que les éditeurs répondent à la demande d’un certain public, qui est maintenant plus vieux que ce que pouvait être le public à l’époque.


Si on pense aux shônen qu’il y avait avant, dans les années 70, comme Devilman par exemple, qui étaient très adultes à l’époque, est-ce qu’il y a eu un changement de ton vers un public plus jeune dans les années 80 ?
Kamui Fujiwara : Devilman est tout de même une œuvre très à part et très spéciale dans l’univers du shônen. Je pense qu’à l’époque, il y avait aussi beaucoup d’œuvres shônen qui étaient destinées à un public beaucoup plus jeune. Traditionnellement, on estimait qu’un shônen devait faire une publication entre 3 et 6 ans, car il évoluait avec son public. Une fois ce dernier arrivé au bout de ces 6 ans, cela passait à une autre génération de lecteurs et on arrêtait la série. Et surtout, on devait continuer à publier tant qu’on vendait suffisamment. Maintenant, le shônen a changé car il y a des œuvres qui ont continué avec le passage d’une génération à une autre. Même si les lecteurs sont passés à un âge adulte, on continue à lire ce manga qu’on appelait shônen à l’époque. Je pense que c’est ce qui a entraîné ce changement dans le public visé.


kamui fujiwara ki-oon dragon quest emblem of roto Vous avez été character designer dans le domaine du jeu vidéo. Seriez-vous prêts à retravailler dans ce domaine, et pourquoi pas sur une adaptation de votre manga ?
Kamui Fujiwara : Si on me le propose, c’est avec plaisir que je travaillerai à nouveau dans le domaine du jeu vidéo. En ce qui concerne l’adaptation d’Emblem of Roto en un Dragon quest, je n’y mettrai pas du tout ma main à couper, mais pourquoi pas. Tant mieux si ça arrive. Quant au travail de character designer, c’est un peu plus facile que celui de mangaka : une fois que j’ai terminé mes personnages, je les livre aux développeurs du jeu et après j’ai terminé ma partie, ce qui est beaucoup plus facile qu’un manga que je dois continuer à dessiner semaine après semaine. Donc, le jeu vidéo, oui, pourquoi pas : venez, appelez-moi ! (rires)


Quelle serait votre classe de personnage dans un RPG ? Eventuellement, de quel personnage vous sentez-vous le plus proche dans Emblem of Roto ?
Kamui Fujiwara : C’est une question compliquée car, entre la classe de personnage que je préfère jouer et celle que je voudrais devenir si jamais j’étais pour de vrai dans le jeu, cela me pose une colle. Après, il faut voir si je suis tout seul ou si j’ai un groupe avec moi, qui est avec moi, quels genres de personnages, donc vous voyez que c’est compliqué ce que vous me demandez... Si je devais vraiment choisir, je pense que je prendrais ce qui est le plus éloigné de la réalité, donc un mage, qui peut faire un peu ce qu’il veut. Pareil pour les personnages que je préfère dans Emble of Roto, ce sont ceux qui peuvent utiliser la magie.


Avez-vous encore le temps de jouer à des jeux vidéo, notamment à des RPG ? Si oui, quels sont ceux qui vous ont particulièrement plu et que vous conseilleriez ?
Kamui Fujiwara : Je joue toujours à la série Dragon quest bien évidemment. En ce moment, je joue sur un spin-off 3DS, Dragon Quest Monsters 2 : Iru and Luca's Marvelous Mysterious Key, mais dernièrement le jeu qui m’accroche le plus est sur mobile. C’est une appli qui est basée sur Dragon Quest Monster et qui s’appelle Super light, que j’aime beaucoup.


Merci !



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Merci à Odilon Grevet et Mai Ono pour la traduction et aux éditions Ki-oon, ainsi qu'à Mickaël Géreaume pour une partie des questions

Interview réalisée conjointement avec Bodoï, Manga.tv et FFDREAM


Toutes les illustrations de l'article sont © 1991-1997, 2006 Kamui Fujiwara / SQUARE ENIX © 1991-1997 Junji Koyanagi / SQUARE ENIX © 1991-1997, 2006 SQUARE ENIX CO., LTD. All Rights Reserved
Toutes les photos de l'article sont ©Nicolas Demay