interview Bande dessinée

Laurand

©Les Humanoïdes Associés édition 2009

Laurand a publiée d’emblée sa première série en tant qu’auteur complet : Les dérivantes. Une quête « exotique » dans un univers imaginaire parfaitement abouti (très très abouti, même !), qui a eu la malchance de paraître à contre-courant des modes actuelles, et qui plus est chez un éditeur en petite forme financière (la série est déjà en stand-by). Pour le reste, en deux tomes, Laurand a prouvé qu’il avait toutes les qualités requises pour réussir dans la BD. Découvrez un auteur sans compromission et pur passionné par le métier…
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Réalisée en lien avec l'album Les dérivantes T2
Lieu de l'interview : le cyber-espace

interview menée
par
8 février 2009

© Laurand - Les dérivantes Pour faire connaissance, peux-tu te présenter ? Qu’est ce qui t’a donné envie de faire de la BD ?
Laurand : Pour faire court, je travaille surtout dans la pub en tant qu’illustrateur : rough, story-board et quelques maquettes pour des entreprises ou communes locales. J’ai aussi un peu enseigné le story-board dans des écoles privées et j'ai réalisé des illustrations pour des livres jeunesse.
Je ne sais pas depuis quand j’ai envie de faire de la BD tellement cela remonte à longtemps. Du temps où je lisais les Schtroumpfs, Johan et Pirlouit, Les Tuniques bleues, et tous les grands classiques. Plus tard, il y a eu les Stranges, Les passagers du vent ou encore Thorgal. Plus que dessiner, j’ai toujours voulu raconter des histoires. Alors que faire… à part devenir auteur de BD !

Peux-tu nous présenter ta série parue chez les Humanos, Les dérivantes ?
Laurand : Il y a un père disparu à la guerre, une mère qui doit lutter pour préserver de la folie des hommes, sa fille qui ne pense qu’aventures et îles lointaines. Dans cet univers fantastique, vous croiserez des îles qui dérivent et se croisent au gré des courants, une petite fille d’un optimisme inaltérable, des mériliens qui voyagent d’îles en îles, un dragon des profondeur, un peuple troglodyte qui fera tout pour préserver son anonymat, une magicienne parfumeuse qui a renoncé à son art, toujours la même petite fille qui peint sur des plaques d’écorces des histoires de pirates, des condamnés à la «Sentence du dragon», une femme avec une jambe de bois qui plait aux hommes mais qui ne le sait pas, un oncle ivrogne et violent qui veut épouser la femme de son frère, une sœur trop acariâtre pour ne pas cacher un grand cœur, un adolescent arrogant devenu un roi qui cherche à être à la hauteur de son grand frère, l’ombre d’un ancien seigneur guerrier et au milieu de tout ça : un arbuste sur lequel poussent les luisants, objet de toutes les convoitises.

© Laurand - Les dérivantes

Quel regard portes-tu sur ces deux tomes maintenant publiés ? Y en aura t-il d’autres ? Quelle orientation va prendre la série?
Laurand : Avec le tome 2, je me suis un peu réconcilié avec mon travail car le tome 1 avait été un véritable cauchemar. Je croyais, bien vaniteusement, qu’avec des années d’expérience en dessin, tout allait bien se passer… Que ça a été dur ! La mise en scène, l’encrage, la création des personnages, des costumes, des décors… l’horreur ! Le plus difficile ayant certainement été de trouver un style. En effet, après des années de dessins impersonnels pour des boîtes de pubs, il a fallu que je trouve un style, mon style et ça n’a pas été de la tarte. Je n’ai d’ailleurs toujours pas réglé le problème, même si cela va mieux. Eternel insatisfait, j’ai donc du regarder ces deux tomes avec humilité. Ils sont loin d’être à la hauteur de mes attentes graphiques mais il en ressort un ton, une ambiance faussement naïve qui correspond bien à ce que je voulais exprimer. C’est dur, parfois violent, mais c’est dans un univers imaginaire alors ça change tout.
Pour ce qui est de l’avenir, Les Humanoïdes associés ont connu quelques problèmes et ne peuvent plus soutenir cette série qui n’est malheureusement pas encore «rentable». Et comme il y a peu de chance aussi qu’un autre éditeur veuille reprendre la série, je vais repartir sur un autre projet, quitte à revenir sur Les dérivantes plus tard. C’est dommage car ce monde m’inspire beaucoup. J’avais tant d’idées pour cette saga familiale et tant d’îles à faire visiter…

© Laurand - Les dérivantesPeux-tu nous décrire la genèse de ce projet ?
Laurand : Cela date de l’époque où j’avais encore le temps de jouer aux jeux de rôles. Je voulais créer un monde dans lequel je puisse changer de décor à volonté : c’est ainsi qu’est née cette idée d’îles flottantes. Mais je voulais aussi faire en sorte que cet univers soit plausible, logique. Il a donc fallu inventer des animaux, des plantes, toute une écologie et des modes de vie propres à ce monde : l’absence d’animaux gigantesques due à l’étroitesse des îles, des végétaux capables de résister à des changements climatiques soudains, des récolte de plantes aquatiques, des arbres enchevêtrés formant des forêts flottantes, la rareté des mines et donc du métal, l’absence de marée, etc. J’ai voulu aussi une magie à l’échelle de ce monde, humaine et onirique à la fois. C’est ainsi que les « grandartistes » sont apparus, mélange de sorciers et d’artistes. En ce qui concerne les personnages, je n’avais pas envie des sempiternels guerriers inoxydables, magiciens à la boule de feu facile ou encore voleurs sans pitié qui sauvent le monde à chaque aventure. Je voulais des héroïnes physiquement fragiles et les jeter dans des situations impossibles et me dire : Allez ! Sors-les de là maintenant ! Et puis j’adore mélanger les histoires de familles compliquées et les histoires d’amour avec un univers de fiction.

© Laurand - Les dérivantesSi tu devais habiter sur une dérivante, ce serait pour y exercer quel type d’activité ?
Laurand : J’ai toujours rêvé d’exercer ce métier du XVIIIème siècle : savant. Ces zoologistes, botanistes, géologues aussi bien capables de dessiner à merveille une nouvelle espèce d’oiseau arctique que de comprendre le mouvement d’une constellation selon les saisons. C’est pourquoi, sans hésiter, je serais un de ceux que j’ai appelés les « Iliénologues » qui essaient comprendre la dérive des îles et de trouver une logique à ce monde mouvant. Chaque nouvelle croisée avec une île inconnue ou avec une forêt flottante constitue le moyen pour eux de découvrir de nouvelles espèces de plantes ou d’animaux ou encore de savoirs.

Quels rapports entretiens-tu avec tes personnages ?
Laurand : Je connais leurs défauts inavoués, leurs envies, la façon dont ils ou elles se voient, leurs buts, leurs rêves. Même si je laisse bien évidemment une part à l’imprévu (car les personnages se construisent surtout par ce qu’ils vivent), je les connais intimement. Je sais dans chaque situation comment ils réagiront. Ils sont, autant que ce monde, une grande source d’inspiration pour moi. En bref, qu’ils soient adorables ou affreux, je les aime.

Tu as commencé d’emblée par publier une série en tant qu’auteur complet, pourquoi ? Est-ce un choix, un concours de circonstance ?
© Laurand - Les dérivantesLaurand : Je n’avais pas de rapport avec le monde de la BD. J’avais cet univers, ces personnages et une idée assez précise du ton sur lequel je voulais raconter les histoires. J’ai cherché à travailler avec des scénaristes mais, bien vite, je me suis aperçu que ce projet était trop personnel pour que quelqu’un s’y immisce : j’ai donc plongé avec angoisse et plaisir dans le métier de scénariste.

Que t’a apporté cette première œuvre ?
Laurand : Une grosse remise en question. J’ai fait le point sur mes points forts et surtout sur mes points faibles. Et par dessus tout, j’ai appris que lorsque je faisais une BD, j’étais à ma place, que ce métier est une malédiction car il me fait paraître toutes autres activités professionnelles fades et ennuyeuses.

© Laurand - Les dérivantesComment organises-tu ton travail ? As-tu des angoisses lorsque tu prends le pinceau ?
Laurand : Trouver l’idée de départ, celle qui me fait vibrer. Et puis le scénario. Bâtir un monde plausible et riche même si je ne me sers pas de tout pour raconter mon histoire. Ensuite les personnages, leurs buts, leurs envies, leurs peurs et leurs contradictions. Et puis des questions : qu’est-ce que je veux raconter et sous quel angle, surtout. Et pour finir, mettre tout ça dans un coin de ma tête et me laisser aller à imaginer des scènes et des situations… Et puis écrire et réécrire surtout sans jamais hésiter à couper. Après je passe à mon moment préféré, celui où je gribouille des mini-planches : la mise en scène. Là où je commence à voir naître l’histoire en dessin. Là où je sais ce qui fonctionne ou non.
Quant aux angoisses, elles sont nombreuses. Quand j’ai fini le scénario et que je vois le chemin qui me sépare de l’idée de départ (qui parfois même a disparu), je me demande si je suis allé dans la bonne direction, si cette histoire va intéresser quelqu’un ? Et puis vient le dessin. Au niveau des crayonnés, ça va encore. Je soigne tout particulièrement la mise en scène de l’histoire et lorsque, après la vingtième relecture d’une scène, j’éprouve toujours la sensation voulue : je sais qu’elle fonctionne. L’angoisse arrive à l’encrage mais je pense, qu’avec le temps, cela devrait passer… Du moins, je l’espère.

Envisages-tu de travailler en collaboration avec d’autres auteurs ? Dans ce cas, as-tu plutôt envie de dessiner ou de scénariser ?
Laurand : J’aimerais tester les deux. Je n’ai jamais écrit de scénario en imaginant qu’il serait mis en image par quelqu’un d’autre mais pourquoi pas, il y a de nombreux dessinateurs dont j’admire le travail. Toutefois, j’aimerais quand même participer à la mise en scène des planches qui sont, comme je l’ai déjà dit, la clé d’une BD. Pour ce qui est d’une collaboration avec un scénariste, j’espère rencontrer un auteur dont le style me séduise vraiment, pour qui j’ai un vrai coup de cœur. Mais à tout prendre, si mes projets personnels n’aboutissent pas, travailler avec un scénariste d’expérience, même si je ne suis pas un fan absolu de son œuvre, serait sûrement un bon apprentissage. Le problème est que je ne suis pas des plus sociables. Dans toute collaboration, je redoute le côté humain, les problèmes d’égo ou d’intérêts qui viennent parfois pourrir l’ambiance. J’ai besoin avant tout de trouver quelqu’un avec qui je me sente bien.

Quels sont tes projets ?
Laurand : Je travaille en ce moment sur un projet avec un ami scénariste (pas de BD) dont j’adore la façon sensible et poussée de mettre en scène chaque événement d’une histoire. Les projets ne sont pas encore aboutis et nous n’avons pas encore de maison d’édition, c’est pourquoi il m’est difficile d’en dire plus.

© Laurand - Les dérivantes

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aurais envie de conseiller aux terriens ?
Laurand : J’ai eu beaucoup de mal, en faisant ces deux premiers tomes, à lire d’autres BD. Soit parce que je les trouvais nulles et que j’enrageais, soit parce que les trouvais super et que ça me désespérait. Je ne suis pas un immense lecteur de BD, alors ne vous attendez pas à de l’inédit. Je préfère donc vous livrer tous les auteurs qui ont marqué mon imaginaire… Dans les grands classiques et pour les plus jeunes : Johan et Pirlouit et les Schtroumpfs. Je sais, ça peut faire sourire, mais ce Peyo, quel scénariste ! Philémon de Fred aussi. Toujours dans les grands classiques : Les passagers du vent, La quête de l’oiseau du temps (merci Le tendre !) et les compagnons du crépuscule. Pour le dessin, Matthieu Bonhomme et Cyril Pedrosa. Et le dernier coup de cœur enfin a été pour Les trois ombres. C’est triste mais quel chef-d’œuvre !

© Laurand - Les dérivantesQue penses-tu de la production BD actuelle ? Quelles séries suis-tu ?
Laurand : Je ne me sens pas bien placé pour donner un avis. En tant que lecteur, je suis moi-même perdu lorsqu’il s’agit de choisir et je rebrousse souvent chemin devant les rayonnages sur-approvisionnés. En général, si je suis fréquemment séduit par le dessin, je reste souvent sur ma faim en ce qui concerne l’histoire qui me ne transporte rarement bien loin.

Que penses-tu du cru 2009 de la sélection d’Angoulême ?
Laurand : En ce qui concerne Angoulême, je n’ai aucune idée de la sélection 2009. Je sais, c’est pas bien de dire ça, mais c’est pourtant la vérité. En fait, lorsque je fais des dédicaces lors de salons, je réalise aux contacts des autres auteurs à quel point mes connaissances dans le domaine BD sont maigres. J’en ressort souvent la tête pleine de noms d’auteurs et les poches pleines de bouts papiers où sont annotés des titres de séries que je me promets de lire à tout prix sans pour autant toujours tenir mes promesses.

© Laurand - Les dérivantesSi tu avais le pouvoir cosmique de rentrer dans la peau d’un autre auteur de BD (pour cerner sa démarche… ou toute autre raison inavouable !), lequel choisirais-tu ?
Laurand : J’hésite entre Miyazaki et François Bourgeon pour leurs talents de conteurs et leurs univers si personnels. Si la raison peut être inavouable, alors je choisirais Johnny Depp. Quoi ? Il n’est pas auteur de BD ? Dommage. J’aurais volontiers dîné avec Vanessa.

La série Les dérivantes a-t-elle reçu des prix ?
Laurand : Oui ! Deux. Au Salon du livre de Saint-Louis par des collégiens. Ma rencontre avec eux m’a beaucoup ému. Et un deuxième au Salon Bédéciné d’Illzach. Je sais, ça fait un peu flambard de parler de ses prix mais, qu’est-ce que ça fait du bien de les recevoir ! De savoir que des lecteurs ont aimé votre travail et se sont tout simplement régalé pendant une demi-heure en lisant votre BD…

Il y a-t-il quelqu’un qui a beaucoup compté pour toi ?
Laurand : Plusieurs. Mes amis en général et leur enthousiasme qui me fait toujours tant de bien. Mon ami et futur scénariste avec qui j’ai appris durant de longues heures au téléphone à écrire une histoire. Ma famille qui croit bien naïvement que je suis le meilleur auteur de BD du Monde. Les cons à qui je dois tant de personnages. Mon directeur de collection qui m’a toujours soutenu. Et enfin ma chère et tendre, intransigeante et généreuse, sans qui je ne serais encore qu’un adolescent frileux aux projets avortés, bourrés de fautes d’orthographes et d’expressions franco-marseillaises incompréhensibles, voués à finir leur vie au fond d’un tiroir. Sans oublier mes enfants qui m’inspirent tous les jours…

Merci Laurand !
Laurand :

© Laurand - Les dérivantes