interview Comics

M.Bucci & J.Camagni

©Panini Comics édition 2020

Rien ne se fait d’un coup de baguette magique ? A voir car Marco B. Bucci et Jacopo Camagni, deux auteurs italiens implantés aux USA, livrent un comics merveilleux qui mêle subtilement féerie, sorcellerie, polar, suspense, tout cela sous fond d’histoire teenage. Ce Numen Omen a tout d’une œuvre hybride. Mais quand on connaît leurs auteurs, rien d’étonnant : Bucci est un artiste touche-à-tout tandis que le dessin de Camagni est un héritage de nombreux pays. Les deux amis sont venus au festival d’Angoulême et ils ont fait sensation, notamment par leur gentillesse et leur disponibilité. Nous avons pu les interviewer entre deux dédicaces lors d’un entretien magique !

Réalisée en lien avec l'album Nomen omen T1
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
11 mars 2020

Marco, tu as fait beaucoup de choses dans ta vie : tu as écrit des jeux de rôles, des livres, tu as fait de la photographie. Tu dessines aussi ?
MB : Oui en effet. Au tout début de ma carrière, c’était un gros problème pour moi. Je ne savais pas comment décider et quoi faire pour raconter quelque chose. Cependant, je pense que je suis un raconteur d’histoires et j’utilise tous les supports possibles pour le faire. Je fais de la photographie depuis douze ans maintenant. C’est de la photographie professionnelle pour des grandes marques de mode. C’était génial pour moi car j’ai commencé à connaître beaucoup d’artistes différents. Puis, j’ai dessiné et écrit pour des jeux de rôle. Les projets et les idées ont augmenté petit à petit. J’aime cette diversité. C’est très intéressant pour moi de rester au milieu de plusieurs formes artistiques.

Copyright Marco BucciJacopo, tu as dessiné énormément de personnages pour Marvel et Star Wars également…
JC : Oui, j’ai travaillé un peu pour Star Wars et c’était très sympa. Ce que j’ai fait pour cette saga Khanan était une continuité et c’était génial de faire partie d’un tel projet. C’était presque un rêve pour moi car j’ai dessiné beaucoup de personnages d’essai pour démarrer ce travail. J’ai eu en effet la chance de dessiner beaucoup de personnages pour différents éditeurs. Quand j’étais jeune, j’ai représenté beaucoup d’épisodes de Lupin the third et devenir un dessinateur professionnel était ma principale ambition. Puis, j’ai travaillé pour Marvel avec des personnages comme Spider-Man ou Wolverine.

Vous avez déjà travaillé ensemble avec Magna Veritas. Pouvez-vous nous raconter les débuts de votre collaboration ?
MB : Magna Veritas est la première série que nous avons publiée ici en France pour Soleil. C’est notre premier comics ensemble. Nous avons commencé avec une histoire pour jeunes adultes et on a choisi de parler de « right of passage », d'un rite initiatique. Cela peut ressembler à une histoire pour enfants mais ce n’en est pas une. L’histoire devient de plus en plus cruelle, chapitre après chapitre. C’était donc un challenge pour nous. Nomen Omen est encore plus adulte que cette histoire.
Copyright Marco BucciJC : Cependant, Magna Veritas et Nomen Omen ont le même « univers » et les deux personnages principaux sont nés le même jour, le 21 décembre. C’est aussi le jour de mon anniversaire !
MB : Oui, Jacopo est un enfant fée ! Quel chanceux ! Et pour ces deux personnages, tout ce qui leur arrive se passe le jour de leur anniversaire. Pour Enrico, c’est à ses 15 ans et pour Rebecca c’est pour ses 21 ans.

Parlons de Nomen Omen. L’idée principale est plutôt folle non ?
MB : Tout a commencé à New York quand nous avons eu la vision de cette ville qui est tellement proche physiquement et mentalement des gens. On a donc eu l’idée de percevoir la ville comme un personnage, quelqu’un qui reste proche des personnages principaux de l’histoire. C’était le premier point d’entrée pour nous. Puis, on a voulu aussi parler de la magie. Si l’on doit parler du présent de cette façon, il faut aussi qu’il y ait de la magie. Pour nous, qui dit magie dit conte : ces deux univers sont très proches. Tout ça a grandi petit à petit et à la fin, nous avons eu l’idée de lier la sensation de voir des couleurs à la perception de voir la magie. C’est un peu de la synesthésie. Mais c’est difficile de décrire la magie comme il est impossible pour quelqu’un de comprendre les couleurs s’il ne voit pas. D’où le lien que l’on a fait.
JC : Le but est de trouver la magie dans la réalité. On a essayé de trouver une solution pour parler de la magie en cherchant une façon de le montrer qui n’avait jamais été faite auparavant.
MB : Je pense en plus que c’est une façon sincère de le faire. Je ne voulais pas rajouter des supers pouvoirs dans une histoire de magie ou de sorcellerie. La sorcellerie est pour moi un sujet sérieux. Je ne me voyais pas rajouter des flammes dans les mains d’un personnage et dire que c’est de la magie ! Si on utilisait ce procédé, on ne peut pas décrire les changements dans l’état du personnage. Comment Rebecca peut-elle se sentir devant tout ça ? La magie est un lien entre vous, les gens, le ciel et tout ce qui nous entoure.
JC : On a essayé de raconter la magie aux Etats-Unis avec la sensibilité européenne. C’est assez différent.

Copyright Marco BucciJacopo, c’est un nouveau challenge pour toi, notamment avec le jeu des couleurs ?
JC : Oui, d’autant que Marco et moi avons écrit toute l’histoire ensemble. J’ai dessiné des parties et il en a dessiné d’autres. On a toujours décidé ensemble de ce qu’on ferait. Le véritable challenge dans ce comics, c’est la façon de raconter cette histoire de la meilleure façon possible. On a donc passé beaucoup de temps pour le choix des couleurs : les éléments en noir et blanc, les rajouts de couleurs, les scènes de cauchemar. On a essayé de faire ressentir au mieux les sensations de l’histoire. C’était un défi en effet mais c’était très agréable. C’est parfois difficile car je fais une page par jour.
MB : Il est très rapide (rires) !

Dans cette série, ton style est entre le comics et le manga, non ?
JC : J’ai grandi dans l’univers manga avec beaucoup de lectures et beaucoup d’animés. J’ai aussi découvert beaucoup d’œuvres européennes. Grandir avec tout ce matériel m’a automatiquement donné énormément de références. C’est vrai qu’on peut dire que je dessine comme dans des mangas ou comme dans les comics. Depuis dix ans, mon style est plus proche de celui des comics car j’ai travaillé pour Marvel. Mon style, c’est peut être d’avoir plusieurs styles et je pense que c’est normal car j’ai grandi au milieu de tout ça.

Copyright Marco Bucci

Avez-vous d’autres projets ensemble ?
MB : Oui !
JC : Nous travaillons sur un projet qui va sortir cet automne en Italie chez l’éditeur Sergio Bonelli. Je n’ai pas dessiné cet album. J’ai fait la conception des personnages, quelques études graphiques ainsi que les couvertures.
MB : C’est une histoire courte, encore plus adulte je pense. Moi aussi, j’aime beaucoup les défis ! C’est très profond et assez effrayant d’un point de vue psychologique. Ce sera plutôt perturbant et cela s’appellera Simulacre. Je suis très content d’avoir créé ce récit et ces personnages. En plus de Jacopo, il y a deux autres grands artistes italiens...
JC :...avec qui on a travaillé chez Dark Horse et Boom Studios. Ce sont des amis.
MB : Je pense cependant que ce sera un projet court car travailler à distance n’est confortable pour personne.

Copyright Marco BucciSi je vous donnais le pouvoir magique de rentrer dans la tête d’un auteur, qui ce serait et pour y trouver quoi ? JC : Je pense que j’irais dans ta tête (Jacopo regarde Marco)!
MB : C’est un bon choix (rires) !
JC : Non, j’aimerais rentrer dans l’esprit d’Hugo Pratt parce que je n’ai jamais eu l’occasion de le rencontrer. J’aimerais beaucoup voir ce qu’il a vu dans sa vie pour imaginer toutes ces merveilleuses histoires et ses aventures incroyables. Ce serait intéressant de voir le monde avec ses yeux.
MB : Je ne peux pas en choisir un parce que je n’ai pas envie d’être dans leur tête ! J’aurais peur d’être un peu déçu avec des icônes comme Neil Gaiman, Grant Morrison, Alan Moore. J’ai peur de voir des choses en eux qui me décevraient. Je vais donc choisir quelqu’un d’autre. Je prendrais Alejandro Jodorowky car j’aimerais comprendre qui est l’homme derrière la magie...

On finit sur le mot "magie" ! Merci Marco, merci Jacopo ! Et merci à Sophie Cony pour avoir organisé cette rencontre.