interview Bande dessinée

Marc Vedrines

©Glénat édition 2004

Le premier tome de Phenomenum a franchement cartonné, grâce à une idée géniale de scénario : en régulant ses battements cardiaques, un jeune homme peut modifier sa perception du temps jusqu'à le suspendre totalement. Autant dire que la suite était très attendue ! Pour mieux comprendre le phénomène Phenomenum, nous avons arrêté le temps en compagnie du dessinateur, Marc Védrines.

Réalisée en lien avec l'album Phenomenum T2
Lieu de l'interview : Salon du livre de paris

interview menée
par
22 avril 2004

Dans Phenomenum, le héros a le pouvoir de maîtriser sa perception du temps en régulant ses battements cardiaques. Arrêter le temps... il est arrivé à tout le monde d'en rêver, mais tu es le premier à l'avoir réalisé en BD. Comment cette idée a-t-elle germé ?
Marc Védrines : En fait, cette idée, c'est Jeremie Kaminka qui l'avait en tête depuis un certain temps. Quand je l'ai rencontré, il travaillait pour le dessin animé et il cherchait un scénariste. Il avait une quinzaine d'idée en tête, avec à peine deux ou trois lignes directrices, dont notamment celle de Phenomenum, dans lequel le héros peut arrêter le temps. Celle là m'a vraiment bien plu et je lui ai proposé qu'on la développe ensemble. D'après ce qu'il m'a expliqué, cette idée lui est venue des fourmis. Les fourmis ont la capacité de changer leur perception du temps en fonction de la température ambiante. C'est d'ailleurs un exemple qui est utilisé dans le tome 2.

Il n'y aucun rapport avec l'épisode de la Quatrième dimension partant également d'un protagoniste qui maîtrise le temps ?
Marc Védrines : Pas vraiment. On m'en a beaucoup parlé depuis. Mais c'est un thème de science fiction qui est assez classique, je pense. Donc il est normal que ça se retrouve dans notre inconscient collectif.

Comment expliques-tu que personne à part vous ne se soit servi de ce thème récurrent dans une BD ?
Marc Védrines : C'est peut-être une donnée qui est difficile à montrer en BD. C'est plus facile à exploiter en images réelles, comme le fameux épisode de la quatrième dimension. Pour la BD, qui se sert d'images fixes, nous avons trouvé le stratagème du changement de couleurs, et de l'électrocardiogramme. Ce sont des artifices qui marchent bien. C'était une gageure au début. Il fallait trouver un système graphique qui permette de comprendre que le temps était figé, mais que le personnage bougeait quand même.

Oui, l'électrocardiogramme qui s'accélère sous la case et cette dernière traîtée en bichromie sauf pour le héros. Lequel de vous deux à eu cette idée géniale?
Marc Védrines : Graphiquement, c'est moi.

En fait, au départ c'est toi le scénariste, mais c'est lui qui a eu l'idée de l'histoire... et c'est lui le dessinateur mais c'est toi qui trouves les astuces graphiques ?!
Marc Védrines : Eh oui ! L'inverse est aussi vrai. On se complète très bien, tous les deux.

Nous avons lu sur le web que le premier tome n'était qu'une mise en bouche ?
Marc Védrines : Oui, il s'appelle "opus 0" parce que c'est une sorte d'introduction. On a présenté le personnage, on a fait le tour de toutes les situations dans lesquelles il pouvait utiliser son pouvoir. On a placé le lecteur dans la peau de ce personnage presque normal, qui délire avec le nouveau pouvoir qu'il découvre, comme tout le monde le ferait à sa place. Il a donc un côté voyeuriste ou malhonnête... L'optique était de ne surtout pas en faire un super héros.

La suite se passe donc dans le futur ?
Marc Védrines : Oui, le futur proche quand même. Ça a un côté assez original, qui en même temps n'est pas évident à traiter d'ailleurs. Attention, ce n'est pas un gros délire SF où les gens se déplacent en vaisseau dans la rue. Ce futur a beaucoup de repères d'aujourd'hui. On a extrapolé sur le présent pour trouver le futur des 10-15 prochaines années. On a essayé d'inventer un futur plausible, en fonction de tout ce qui se passe en ce moment. On a également recherché ce qui pouvait se développer dans les nouvelles technologies... et puis pour le reste, il faut un peu d'imagination !

La série est prévue en combien de tomes ?
Marc Védrines : Il y aura un premier cycle de trois tomes. Et puis après, on verra. Il y a de la matière pour une suite, mais ça se développera vraiment plus tard, peut-être.

Le premier tome a été nominé l'année dernière en tant que meilleur premier album. Ça a de la gueule quand même ?
Marc Védrines : Oui, ça fait plaisir. Ça veut dire que notre album a été remarqué parmi le flot des 2000 titres BD qui sortent dans l'année ! Le fait de sortir du lot fait toujours plaisir. On a été beaucoup nommé, l'album a pas mal fait parler de lui, mais on n'a récolté qu'un seul prix ! Celui du meilleur scénario au festival de Chambéry.

Jean-David Morvan, qui n'est pas un petit scénariste, nous a avoué en interview qu'il était vert de ne pas avoir eu cette idée là avant vous…
Marc Védrines : Lui aussi a d'excellentes idées ! Je pense que là où on peut se démarquer, c'est dans la façon de traiter notre histoire. D'abord il faut un bon concept. Dans un deuxième temps, c'est la manière de la traiter qui importe le plus. Globalement, on a presque fait le tour de toutes les idées de SF. On pourra toujours trouver des références à droite à gauche en disant " oui mais tu n'as pas vu l'épisode de la Quatrième dimension, ou tu n'as pas lu Ubik (NDLA : roman SF de Philip K. Dick) ou Henlein (NDLA : Robert Henlein, prolifique romancier de SF)... Presque tout a été fait. C'est surtout dans la manière de traiter une histoire que ça peut être original.

Comment se passe la collaboration avec Jérémie Kaminka ? Comment vous êtes vous rencontrés ?
Marc Védrines : On s'est rencontré par hasard parce que nos copines étaient dans la même classe. Lors d'une petite soirée, on a fait connaissance. Lui faisait du dessin animé et moi je cherchais un scénariste. Je suis dessinateur au départ. Avant lui, j'écrivais mes propres histoires, mais là je voulais vraiment me concentrer sur le dessin pour passer un cap et progresser. Lui, sortait d'une expérience de dessin animé, avec des projets de long métrages. Mais comme c'est toujours très long, il s'est dit pourquoi pas la BD... Tant mieux, parce qu'une idée comme Phenomenum à mettre en film, ça demanderait un budget pharamineux... C'était donc le moment d'avoir une imagination un peu débridée !

As-tu d'autres projets ?
Marc Védrines : J'en ai pas mal. Seul ou avec d'autres. Notamment avec un camarade, Jean-Paul Krassinsky, qui fait la série Kaarib chez Dargaud. On prépare un travail à quatre mains, où l'on ferait l'histoire à deux et qu'on dessinerait à deux, un peu à la manière de Dupuy et Berberian. Ce serait un petit amuse-gueule entre nous, parce qu'on est pas mal occupés chacun de notre côté. Mais le fait d'être à deux à tout faire, je pense que ça nous permettrait d'aller assez vite. Et puis seul, j'ai d'autres idées de BD, sur lesquelles je ferais scénario + dessin, mais comme pour le moment rien n'est signé, je préfère ne pas trop en parler. Je peux juste dire que je travaille dessus.

Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Marc Védrines : Il y en a énormément, mais on va procéder dans l'ordre. Récemment j'ai aimé Blankets de Craig Thompson. La guerre d'Alan d'Emmanuel Guibert. Monsters et Twentieth century boys de Urasawa. Pour le moment c'est excellent, mais j'espère ne pas être déçu par la fin. Voilà. Un américain, un français et un japonais. C'est cosmopolite, ça me correspond, c'est bien.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Marc Védrines : Hola ! C'est dur comme question, ça... Non, je pense qu'avoir beaucoup de référence, une bonne culture BD, c'est bien. Mais il n'y en a pas un que j'aimerai prendre comme modèle absolu. J'aurais tendance à prendre le bon partout. Ce serait une créature, une espèce de Frankenstein ! Je prendrais un bras de là, le cerveau de untel... J'espère assimiler beaucoup d'influences et créer quelque chose d'un peu différent. Plus jeune, j'aurai répondu Katsuhiro Otomo, mais ça m'a passé...

Merci Marc !