interview Bande dessinée

Morgane Lafille

©Vents d'Ouest édition 2022

Morgane Lafille est une jeune autrice de bande dessinée qui a publié, fin 2021, son premier titre en collaboration avec Carole Breteau : Amélia Woods. On y suit une jeune fille cartésienne qui va se confronter au mystique. Le festival Quai des Bulles de Saint Malo a été l’occasion pour nous de la rencontrer, de découvrir son univers envoûtant et magique, de comprendre comment elle a travaillé sur ce premier tome.

Réalisée en lien avec l'album Amelia Woods T1
Lieu de l'interview : Quai des Bulles (St Malo)

interview menée
par
10 mars 2022

Bonjour Morgane, pour commencer, peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?
Morgane Lafille : Je suis Morgane Lafille, je viens d’avoir 28 ans, et Amélia Woods est ma première bande dessinée. Je dessine depuis toute petite, et quand j’étais au collège je me suis sérieusement mise à dessiner, avec les mangas tout ça, j’aimais beaucoup ça, comme beaucoup de jeunes. Et je me suis dit, quand on a commencé à nous demander ce que l’on voulait faire plus tard, que je savais que je voulais dessiner. Et quand j’ai fait mes études supérieures, j’y suis allée un peu à tâtons, car à mon époque on ne nous guidait pas spécialement. Du coup j’ai fait une mise à niveau en arts appliqués. J’ai vu que moi ce qui me plaisait c’était vraiment l’illustration et du coup j’ai cherché une école qui permettait de faire de l’illustration. Et il y avait un cursus au bout de trois ans, où on pouvait choisir une option BD. Et je me suis dit que j’avais l’air d’avoir les capacités pour. Et à la fin de mes études j’ai fait un stage dans le studio Gottferdom à Aix en Provence, et on m’a publié dans le Lanfeust mag, mes toutes premières planches de BD, et mon tout premier cachet, j’étais trop contente, jusqu’à ce que le magazine s’arrête. Et après s’en est suivi un premier projet qui n’a pas pris en bande dessinée, et ensuite est venu Amélia.

Amelia WoodsAmélia est donc ta vraie première bande dessinée ?
Morgane Lafille : Oui c’est ça. En fait, suite à ce stage, j’ai eu une idée, suite à une expérience chez une logeuse un peu bizarre, et je me suis dit bah tiens, j’ai un personnage qui s’ancre dans un univers victorien et j’aimerais bien en faire quelque chose. Je vais voir ce que je peux faire, j’avais des mots clés : manoir, fille avec des jolies robes. Et je me suis associée avec Carole, on a travaillé à partir de 2018 et jusqu’à maintenant.

Tu disais que tu t’es associée à Carole, qui est la scénariste, mais tu t’es tout de même inspirée de l’une de tes expériences personnelles ?
Morgane Lafille : Oui, parce qu’elle était au studio avec moi à l’époque, donc on a sympathisé, on est devenues amies, et j’avais ce projet. Parce que j’ai tâtonné un moment après que mon premier projet n’ait pas pris, je savais pas trop quoi faire, elle voulait travailler et moi aussi, donc on s’est dit on va essayer de mettre en ordre ces idées, on va essayer de créer quelque chose et on va voir si ça passe !

Comment est-ce que vous avez procédé ?
Morgane Lafille : On a co-écrit toutes les deux, je voulais aussi qu’elle m’aide un peu. En m’associant à elle, déjà ça me faisait moins peur. Pour organiser les idées, et aussi mine de rien, quand tu te présentes à un éditeur il est moins frileux si tu es accompagnée de quelqu’un, et c’est ce qu’il s’est passé.

Donc là nous sommes sur un premier tome : comment as-tu pensé cette série ?
Morgane Lafille : Au départ on se disait qu’on partirait sur un diptyque, mais je pense que pour bien finir la série il faudra trois tomes. J’ai commencé à travailler sur le second tome, j’ai commencé à l’écrire. On avait très peu balisé ensemble où l’on voulait emmener la suite de la série. Le premier tome, c’est vraiment un huis-clos, qui a vraiment son ambiance avec le manoir. Au départ je voulais faire qu’un seul tome. Mais l’éditrice nous a conseillées, et nous a dit que c’était mieux de faire une série. Ca permet aussi de se faire connaître auprès du public.

A ce sujet d’ailleurs, tu vises plutôt un public jeunesse à travers cet album ?
Morgane Lafille : Au départ pas du tout ! Au départ, il y avait des morts, je voulais faire un truc sombre. On me dit toujours : ton dessin fait très jeunesse. Mais dans les BD ou les mangas que je lis, les personnages féminins, ils ont des très grands yeux, ça fait très enfantin, et pourtant c’est super sombre ! Mais j’ai appris que dans les albums bd, ça reste assez catégorisé. Dans mon adolescence je lisais des bd, et j’ai pu découvrir les shojo, les magical girls, et il y avait vachement plus d’histoire, et c’était plus abordable aussi, j’avais pas vraiment d’argent et je lisais beaucoup de mangas. J’ai eu une coupure comme ça de dix ans de bande dessinée, et quand j’ai repris et que j’ai fait mes études je me suis un peu plus replongée dedans. Quand j’étais en stage, on me présentait des vieux de la vieille, des auteurs célèbres, et moi je me rendais compte que la moitié je les connaissais pas ! Je me suis fait une culture, mais je me suis dit que c’était aussi l’occasion pour moi de montrer ce que je pouvais apporter. Il y a plein de choses nouvelles, de styles qui racontent des choses sombres et sérieuses, mais qui sont fantastiques ! Mon éditeur a choisi de proposer l’album à partir de 9 ans. Mais je suis contente, car même si ce n'était pas le public que je visais au début, il y autant des adultes que des enfants qui lisent ma BD. Parce que je voulais cette double lecture. Cette sensation qu’il se passe des choses bizarres en arrière-plan, mais qu’en façade on a quelqu’un qui te sourit et qui te dit que tout va bien. C’est ce sentiment que je voulais retranscrire. Parce que c’est ça que j’ai vécu ! L’enfant peut le lire jeune, et le relire plus tard, et ne pas comprendre les mêmes choses.

Amelia Woods
C’est vrai que dans ton dessin on ressent vraiment les inspirations mangas, mais aussi au film d’animation je trouve…
Morgane Lafille : Bah Ghibli tout ça, ça m’a bercé. J’ai essayé de mettre une ambiance pour des pièces, ou pour des couloirs il va y avoir une teinte particulière. C’est aussi ce que j’ai appris à l’école : mettre des ambiances graphiques, d’accorder des doubles pages. Il y avait beaucoup d’informations à mettre dans l’album, et en 56 pages c’est pas facile. C’est ça qui me prend le plus de temps, c’est le storyboard. Savoir que dans cette page il va y avoir tels décors. Les décors moi c’est pas forcément mon fort, je vais plutôt m’éclater avec des décors extérieurs parce que c’est plus sauvage, il y a moins de structure. Dès que tu entres dans la perspective c’est tout de suite plus difficile.

C’est assez paradoxal car tu es plus à l’aise sur des décors extérieurs, mais ici on est en huis-clos en intérieur !
Morgane Lafille : C’est vrai, mais moi pendant un temps c’était passion manoir ! Les séries que je regardais, les films, j’ai fait des screenshots, j’ai un dossier, et ça me poursuit encore maintenant ! Je regardais un film l’autre jour et je trouvais ça fantastique, mais non j’ai fini !

Dans ce premier volume on va suivre le personnage d’Amélia, qui va aussi beaucoup évoluer. On a un certain nombre de thématiques qui sont abordées, une quête de soi, de la magie, mais aussi une quête filiale. Elle au début, est très cartésienne, et il y aussi le côté magie. Et toi, tu es plutôt quoi ?
Morgane Lafille : Moi je suis côté magie à fond ! Clairement ! Mettre des petites étoiles, tu peux faire plein de volutes, c’est pour ça aussi que j’aime beaucoup faire des décors marins. Parce que tu peux créer une composition super intéressante et c’est aussi pour ça que je l’ai fait pour la couv’. Je voulais que ça intrigue les gens, et aussi que ça soit le plus fidèle possible à l’histoire à l’intérieur. Je trouve qu’il y a rien de pire que lorsque tu ouvres un album tu sois déçu par l’intérieur.

Comment as- tu composé d’ailleurs cette couverture ? Tu voulais que l’on se focalise sur Amélia ?
Morgane Lafille : Oui, enfin j’ai cherché longtemps, ça a été super compliqué, et jusqu’au dernier moment je savais pas trop ce que j’allais faire. On a hésité avec un décor extérieur, et je me suis dit non. Le plus confortable c’était de faire de l’eau, c’était assez percutant. Dès que tu fais des rochers avec des algues, que tu intègres des éléments du manoir dedans, tu peux avoir une composition assez sympa. Et du coup j’ai repris un peu la thématique des pages dans lesquelles elle plonge dans le trou d’eau.
Amelia Woods

On est dans un autre siècle, une autre époque. Est-ce que c’est difficile de faire attention à ne pas faire d’anachronismes ?
Morgane Lafille : Au début non pas trop, comme c’est le huis-clos… J’ai fait des recherches pour faire ses instruments, pour pas faire des erreurs idiotes, mais je pense que c’est pour le tome 2 où il va vraiment falloir que je fasse attention. Car là on va ouvrir l’univers, on va à Londres, dans une université aussi… On change de décors. Et c’est ça aussi qui était un peu compliqué, tu passes d’un huis-clos à quelque chose de plus ouvert. Il va falloir que j’arrive à gérer, à remettre ce sentiment que j’avais mis à l’intérieur, que les gens se sentent bien dans une pièce, dans un décor familier, un élément du décor omniprésent. Parce que le manoir dans le premier tome est presque comme un personnage particulier.

Le deuxième tome on peut l’attendre à un an d’intervalle du premier ?
Morgane Lafille : Je pense, là il est en cours d’écriture. Je dois encore avoir des retours de mon éditrice, mais dans un an et demi maximum je pense.

Il t’a fallu combien de temps pour réaliser le premier tome et poser les bases ?
Morgane Lafille : Un an. Mais une fois que j’avais posé le storyboard, il n’y avait plus qu’à produire. Je faisais le trait à la main, donc ça m’a pris plus de temps que si j’avais tout fait à la tablette. Je vais essayer de l’améliorer, apprendre à gérer mon temps et à aller plus vite.

Tu travailles sur d’autres projets en parallèle ?
Morgane Lafille : J’ai toujours des projets en parallèle. Je travaille en fait sur internet, j’ai un compte instagram, j’ai un patreon. C’est comme ça que je gagne ma vie en fait. Et pendant que Amélia se faisait, j’avais beaucoup de temps, et j’ai commencé à faire des petits dessins de série sur internet, à avoir une petite communauté, ouvrir un patreon et être rémunérée comme ça. J’estime que j’ai pas mal de chance et que je peux chipoter sur certains trucs ou éviter d’enchaîner deux tomes dans une année, ça j’aurai pas pu.

Pour terminer on va finir avec la question Planète BD : si tu avais le pouvoir cosmique d’entrer dans le crâne d’un autre auteur, qui irais-tu voir et que voudrais-tu y découvrir ?
Morgane Lafille : Je pourrais choisir ma meilleure amie mais je suis déjà dans sa tête… Parce que c’est Lise Garçon qui a fait Rose and Crow. Mais je choisirais Gaëlle Geniller, je l’adore ! Son univers est fantastique, je suis très admirative de son travail, elle a fait des one shot et c’est juste la mignonitude, la douceur. Et c’est magnifique. Elle aborde des thématiques qu’on ne voit pas assez. J’aimerais être dans sa tête ! Et pour y trouver quoi ? Ce côté zen qu’elle arrive à nous transmettre !

Merci Morgane !

Amelia Woods