interview Bande dessinée

Nathalie Berr

©Bamboo édition 2008

Nathalie Berr a fait sont apparition dans le paysage bédéphilesque francophone avec la Maison Dieu (Albin Michel), scénarisé par Rodolphe. D’une maison d’édition à l’autre, la revoilà chez Bamboo, peaufinant toujours plus son style ultra-hyper-réaliste élégant, au dessin d'un thriller contemporain teinté de fantastique, Borderline, scénarisé par le prometteur Alexis Robin. Mais qu’est-ce que tout cela a donc à voir avec Jean Reno ?
Voir aussi : interview d'Alexis Robin

Réalisée en lien avec l'album Borderline T1
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
23 février 2008

Pour faire connaissance, peux-tu te présenter brièvement, ta vie, ton œuvre ? Comment en es-tu à arrivée à faire de la bande dessinée ?
Nathalie Berr : J’ai passé 3 ans à l’école d’Arts Appliqués La Martinière de Lyon. Puis j’ai décroché mon brevet en 1978… Eh oui, je ne suis pas très jeune ! Ensuite, j’ai fait des séries de diapositives pendant quelques années pour un organisme de santé. C’était des diapos dessinées. Ensuite je suis partie vivre pendant 3 ans aux Antilles où je me suis installée en freelance dans la pub. Je suis revenue en France où j’ai continué dans ce domaine pendant une vingtaine d’années.

Tu faisais quoi dans la pub ?
Nathalie : De tout. J’ai fait des affiches, 4 mètres par 3, j’ai peint un avion, un p’tit pour un particulier… J’ai aussi fait des illustrations de calendriers, j’ai participé à la folie des pin’s à l’époque… Je pense avoir touché à tous les supports possibles ! Puis j’en ai eu marre tout bêtement. J’ai voulu changer, prendre un tournant. Je me suis dit que la bande dessinée était peut-être le mieux pour ça. C’est attirant d’avoir une histoire du début à la fin, d’avoir un scénario. Et puis, c’est vrai que j’aime bien tout ce qui touche aux films, aux cadrages. Je pense que j’étais vraiment mûre, je ne m’en étais pas rendue compte sur le moment. Albin Michel m’a donné mon premier galop d’essai. Là, j’ai apprécié de faire cinq tomes d’un coup. Ils ont pris des risques avec moi parce que j’étais toute nouvelle.

Dès la première planche dans La Maison Dieu, on sent déjà un peaufinage du dessin…
Nathalie : Je ne sais pas… Je sais simplement que si je compare le tome 1 au tome 5, il y a une différence violente parce que je débutais vraiment.

Tu as mis deux fois plus de temps pour faire le tome 1 que les autres ?
Nathalie : Oui, absolument. J’ai commencé à me rassurer – un peu – à partir du tome 4. J’ai commencé à me sentir un peu plus professionnelle, à avoir une espèce de déclic qui m’a permis de dormir mieux déjà. Et de maîtriser un peu plus les choses.

Et l’association avec un « grand » du 9e art tel que Rodolphe, comment ça s’est passé ?
Nathalie : Je ne le connaissais pas. Venant de la pub, je ne connaissais pas l’univers des scénaristes et j’ai découvert ce qu’il avait fait par la suite. Et, il se trouve que c’est la maison d’édition qui m’a demandé de faire d’office La Maison Dieu parce qu’ils avaient gardé ce projet pendant deux ans dans leur tiroir en attendant de trouver un dessinateur qui correspondrait. Donc j’étais très flattée… Je me suis dit, tiens, je corresponds. On a donc fait ensemble ce travail. Ça n’a pas posé de difficulté.

T’étais à plein temps sur La Maison Dieu ?
Nathalie : Oui ! Surtout que c’était mon premier album. Je m’y suis donc investie très fortement.

Quid des retours critiques ?
Nathalie : Ca a été mitigé. Il y a eu des bons retours critiques. En revanche, au niveau du public, les retours étaient plutôt sévères, mais intéressants parce que c’était ma première BD. Du coup, j’ai un peu corrigé certaines choses, notamment les soucis de perspectives qui sont, je dirais, classiques chez les nouveaux dessinateurs. On a tendance à forcer un peu les traits. J’ai redressé certaines façons de travailler grâce à des critiques qui n’étaient d’ailleurs pas toujours faciles à entendre.

Et ton arrivée chez Bamboo ?
Nathalie : J’avais proposé une image lambda, une sorte de carte de visite en format planche de dessin. Et Bamboo a réagi en disant : « Ça nous plaît, on a une collection qui correspond à ce principe graphique. On a un scénariste qui s’appelle Alexis Robin, qui a une très belle écriture et avec qui ça pourrait coller. »

Tu avais lu Nathaniel auparavant ?
Nathalie : Non, je ne le connaissais pas non plus. Je l’ai lu depuis, car je l’ai fauché chez Bamboo… Et j’aime beaucoup ce que fait Alexis. J’ai eu la grande joie de pouvoir faire un choix. Mais je suis restée sur l’écriture d’Alexis. J’apprécie d’ailleurs toujours autant. J’ai commencé le tome 2, j’en suis à la page 20. Il est encore plus fort que le 1 !

Si la série remporte le succès espéré, tu souhaites poursuivre ton travail avec Alexis ?
Nathalie : Oui, sans problème. Combien de temps, je ne sais pas. Je ne suis pas très patiente, contrairement à ce que l’on peut imaginer. Tout dépend aussi de ce qu’écrit Alexis. Je fonctionne vraiment au feeling.

Comment ça se passe avec Alexis ?
Nathalie : Il me fait un beau scénario en story-board. Et j’ai en plus la possibilité de pouvoir tout changer…

C’est vrai qu’il est également dessinateur !
Nathalie : Tout à fait. Il a une demande à la fois très précise et très élastique. Je peux me permettre de lui dire ce qui me semble bien pour la BD. On en a parlé plusieurs fois et l’alchimie s’est faite.

Il te laisse quand même une marge d’interprétation ?
Nathalie : Oui. C’est l’intelligence même car quelqu’un qui m’empêcherait de travailler nuirait à la BD.

Quel rapport as-tu avec Jean Reno ?
Nathalie : Aucun (rires), à mon grand dam ! Je le répète assez souvent mais c’est la vérité. J’étais partie sur une idée de Jean Reno, d’un anti héros qui se faisait pas mal tabasser, du gars un peu fragile, un peu paumé. J’ai pensé à Jean Reno, j’sais pas pourquoi… C’est vrai que c’est mon acteur favori. Mais c’était juste une idée, une teinture. Et puis l’éditeur est tombé dedans. Il m’a dit, « mais moi je veux du Jean Reno. Je ne veux pas de l’à peu près. » Donc il a fallu que ce soit vraiment ressemblant.

C’est la deuxième fois qu’il sert de modèle à un personnage de BD : dans Messire Guillaume , dessiné par Matthieu Bonhomme, il apparait dans son rôle de Godefroy de Montmirail…
Nathalie : C’est vrai que c’est un acteur multicarte, quelqu’un de talent. Et les traits grands acteurs inspirent… Par exemple, Belmondo avait été pris par Giraud pour faire le sergent Bluberry. Ça n’est pas tout jeune, mais bon !

Quelles sont tes techniques de dessins ? Tu travailles à partir de photos ?
Nathalie : Je fais énormément de croquis. C’est ma base. Dès que j’ai un crayon dans la main, je dessine mes proches, les gens dans la rue. Ceux qui ont une tête qui m’interpelle, différents de tout ce qu’on peut imaginer à l’heure actuelle. Genre Daumier et ses caricatures.

Il y a donc des « têtes » !
Nathalie : Oui, il y a des têtes, des traits forts, des traits marqués. Notamment, Jean Reno. Il me faut des gueules et j’aime ça. Il m’arrive de prendre des positions de personnages que j’ai fait il y a des années parce que je trouve que ça correspond. J’ai gardé tous mes carnets de croquis. J’en ai un paquet. Il m’arrive de les regarder et ça m’aide à nouveau. Comme c’est du réalisme…

L’appartement de Fernando, par exemple, il existe réellement ?
Nathalie : Non, j’ai pris des bouts à droite à gauche. Au niveau des décors, c’est souvent un peu flou. Si quelqu’un se mettait à regarder vraiment l’architecture ou les meubles, il remarquera que c’est un peu rapidement fait. Ce n’est pas ce qui me semble le plus important.

Je me rappelle d’une balustrade de balcon avec beaucoup de détails, des ombres…
Nathalie : L’ombre très détaillée… il ne faut pas oublier le travail aux couleurs de Christophe Lagrange. Il rajoute des couleurs magnifiques, de la profondeur. Il apporte une plus-value à la BD. Et quelquefois, il s’amuse en rajoutant des ombres au balcon…

L’épreuve noir et blanc, c’était déjà bien… mais la version couleurs est effectivement encore mieux.
Nathalie : C’est le jour et la nuit ! C’était le but. J’ai eu la même surprise. Ce qui est encore plus étonnant, vu que je me suis énormément investie dans les dessins, c’est de me demander si c’est bien moi qui a fait ça. Il a rajouté pas mal de détails. Il a le sens de la couleur, des ombres. Il est notamment intervenu sur une partie du tribunal. J’avais plus ou moins réussi le sol. Il l’a recarrelé… C’est un véritable maçon ! Il a mis aussi dans les images de la fin une idée carcérale avec cette jeune fille enfermée en rajoutant des ombres au ras du sol qui sont fabuleuses, splendides. Et des détails. La dame habillée en léopard a une espèce de maquillage rose sur les paupières. Il faut vraiment prendre son temps pour regarder. Ça, je ne l’ai pas fait, ce n’est pas moi !

Les protagonistes, ce sont des amis ? Des acteurs ? Des gens que tu inventes ?
Nathalie : J’ai quelques fois des idées très vagues de personnes que je connais. Mais on retrouve toujours un peu le même style de personnages malgré tout. J’essaie de faire en sorte que ce soit des gens pas reconnaissables ou qui ne se reconnaîtront pas. A part Jean Reno qui est vraiment une exception.

Dans La Maison Dieu, il y avait aussi un large casting de personnages…
Nathalie : Ça a, d’ailleurs, été très difficile. J’ai eu mon baptême du feu avec cet album. Maintenant c’est beaucoup moins dur pour moi. Ce qui est amusant aussi, c’est que Christophe a rajouté des teintes de peaux qui font que les personnages sont plus ou moins métissés. Et ça aussi, c’est intéressant. A l’époque actuelle, c’est comme ça que l’on vit.

La tête de mort dans l’œil (NDLR : p. 7), ça n’est pas toi non plus ?
Nathalie : Si, c’est un rajout de dernier moment ! Je me suis dit qu’on parlait de la mort, alors j’ai rajouté une petite tête de mort.

Tu dessines au crayon ?
Nathalie : Je commence par cela. Ensuite je fais une encre, puis je passe un grisé pour indiquer les ombres, par exemple. Ensuite, Christophe les transforme en couleur chair ou couleur pull, etc. Mais je lui donne quand même une petite indication… qu’il est totalement libre de changer si ça ne lui plaît pas.

A part le tome 2, tu as d’autres projets de BD en perspective ?
Nathalie : Non. C’est un trop gros travail. J’ai quelques envies, mais c’est trop tôt pour l’instant. J’attends de me poser, de m’installer… je prends mon temps.

Si tu avais une gomme magique, est-ce qu’il y a quelque chose que tu corrigerais dans ce premier tome ?
Nathalie : Je pense que les erreurs font partie de cet artisanat qui donne un côté humain. Je crois que le côté humain, il faut le laisser…

Et tu discernes des erreurs ?
Nathalie : J’en vois plein ! Et si j’avais une gomme magique, elle travaillerait beaucoup trop. Il vaut mieux arrêter.

Si tu étais un bédien, quels conseils de lecture de BD donnerais-tu ?
Nathalie : Je lis très peu de BD. Je ne connais que celles que j’ai lues il y a très longtemps… dont Blueberry. J’adore aussi Blacksad. Si je pouvais travailler comme lui… J’aime beaucoup aussi L’envolée sauvage. Il y a un superbe travail de mémoire sur la Seconde Guerre Mondiale.

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d’un autre auteur de BD pour comprendre son œuvre, qui irais-tu visiter ?
Nathalie : Aucun. J’suis une fille, je préfère rester fille. J’ai pas envie de devenir un mec ! J’ai pas envie de prendre les soucis d’un autre.

Même quelques temps seulement ?
Nathalie : Noooooon ! C’est assez difficile à gérer. En fait, je ne voudrais pas changer ma vie, ni avec un auteur de BD ni avec personne.

Merci Nathalie !