interview Comics

Run

©Ankama édition 2007

Responsable d’un excellent premier Mutafukaz aux références issues du manga et du comics, le dénommé « Run » semble être le représentant d’une nouvelle vague de dessinateurs atypiques dans le milieu de la BD. Or il s’avère aussi être un scénariste sachant marier l’humour à l’action. Artiste multi casquette et multi genre, c’est avec grand plaisir que l’opportunité d’interviewer Run s’est présenté à nous, bédiens, et n’avons pas loupé cette occasion !

Réalisée en lien avec l'album Mutafukaz T2
Lieu de l'interview : Le cyber-espace

interview menée
par
5 octobre 2007

Bonjour Run ! Afin de faire connaissance, peux-tu te présenter ? Ta vie, ton œuvre, ton parcours jusqu’à Mutafukaz ?
Run : Je m'appelle RUN (Guillaume Renard) aka 777RUN. Je suis né en 1976 dans le nord de la France, j'ai 30 ans, je mesure 1m70 et je suis graphiste et illustrateur. Je suis diplômé des beaux arts, section arts graphiques. J’ai été 5 ans directeur artistique dans une grosse agence multimédia (studio Teamchman, précurseur du contenu internet), où je travaillais sur des projets de publicité pour de grosses enseignes (Warner Music, Sony Music...). En 2004 j'ai créé avec des amis graphistes (Chick, Dany & Rolito ) le collectif Semperfi (www.semperultimo.com) qui est devenu une référence internationale en matière de toy design et de graphisme… Ma première BD est parue chez Ankama Editions en août 2006, c’était : Dark Meat City, le premier tome de Mutafukaz.

Tu es un artiste aux multiples facettes : graphiste, illustrateur, designeur… As-tu une préférence ?
Run : Toutes ces pratiques sont étroitement liées ! Je ne fais pas de différence. J’ai la même approche de l’image qu’il s’agisse de graphisme, d’illustration ou de bande dessinée…

As-tu une activité parallèle à Mutafukaz ?
Run : Je fais toujours parti du collectif Semperfi, je continue de travailler sur des projets comme le textile, custom de basket ou toy design. J’ai fait pas mal de collaborations dont je suis plutôt fier : Toy2R, Swatch, Colette, Adidas, Com8, Imperivm, etc… En ce moment je bosse en tant qu’assistant réalisateur aux côtés de Tot sur la série animée en préparation Wakfu, prochainement diffusée sur France 3.

Ecris-tu ou dessines-tu dans une ambiance ou cadre particulier (en musique, isolé…) ?
Run : Je pourrais bosser chez moi, mais je préfère le cadre de l’atelier des dessinateurs dans les locaux d’Ankama. En gros c’est un gros brol de pleins d’objets, d’images accumulées qui sont apportées par chaque auteur Ankama Editions, travaillant sur place. J’aime bien aussi les courriers et dessins des lecteurs affichés au mur. C’est parfois bruyant, on a parfois du mal à se supporter surtout en cas de coup de bourre, mais l’aventure humaine est bien plus intéressante à vivre que le côté solo ! En cas de gros soucis, on règle ça sur Worms et on en parle plus…

Parlons références/influences littéraires, cinématographiques, tes réalisateurs favoris, tes séries TV...
Run : J’aime beaucoup le cinéma pulp, et je l'aimais bien avant de découvrir Tarantino… Je suis bien entendu fan de films de série Z, avec une préférence pour la SF et l’horreur, comme ça peut se sentir dans Mutafukaz... L’esprit rétro est pour moi une source d’inspiration graphique qui m’a fasciné très tôt. Il y a une dizaine d’année, j’ai découvert le catch mexicain (la lucha libre, à ne surtout pas confondre avec la BD du même nom), et je ne décroche pas. Pour ceux qui ne connaissent pas, la lucha libre est bien plus nerveuse et acrobatique que le catch américain type WWE… En plus du fait que la plupart des lutteurs portent des masques, la Lucha libre est inventive et aérienne. C’est très impressionnant à voir. J’ai découvert plus récemment le catch japonais, leur technique est pas mal influencée par leurs confrères mexicains... avec quelques spécificités bien à eux : des combats de guignols (on croirait assister à un dessin animé en live) et les jets de farine dans les yeux... Je suis allé dernièrement à Tokyo voir un match de la fédération Dragon Gate, j’en ai encore des frissons ! Sinon j’ai passé mon adolescence avec les BD de Franck Miller, et les romans de Stephen King, eheh… j’adore toujours autant! Les envahisseurs et la quatrième dimension, qui me faisaient trembler devant la télé quand j’étais petit, sont des séries cultes que je recommande à tous. Ils ont assurément pris part dans le processus créatif de Mutafukaz. Dans les séries plus modernes que j’aime beaucoup, je citerai the Shield (très bonne série policière), Desperate Housewives, Oz, Les Sopranos et Malcolm. Je ne sais pas ce que les gens trouvent à la série Heroes, mais perso je trouve ça vraiment cul-cul la praloche…

Quel personnage ou BD aurais-tu rêvé de créer ?
Run : J’aurais bien aimé créer Batman, the Punisher ou Crevette de la BD Chaosland. (Rire)

Dans la série, tu es tout seul sur une île déserte, et tu peux emmener 3 BD, 3 disques, 3 films et 3 livres, tu prends quoi ?
Run : Pour les 3 BD : Watchmen (Moore / Gibbons), la série Worst (Hiroshi Takahashi), Chaosland (Ancestral Z / Mojojojo). Pour les 3 disques : R&G / Snoop Dogg, Toxicity / System of a Down, Lullabies / Miss Derringer. Pour les 3 films : Casino, Donnie Darko, Mac & Moi. Pour les 3 livres : Une grosse bible illustrée que j'ai chez moi, avec les pages jaunies et une grosse couverture de cuir rouge, 1000 extra/ordinary objects qui énumère et étudie 1000 objets insolites et qui est sorti en 2000 chez Tashen, et puis n'importe quel recueil de Placid & Muzo. Pour les 3 objets du quotidien : un stylo, un carnet de croquis, un fusil à pompe.

Quel est ton ressentiment sur le milieu actuel de la BD, l’invasion manga, les comics ?
Run : La BD franco belge n’a pas été assez réactive à l’arrivée du manga… Pourtant ils auraient pu le voir venir, les premiers feuillets d’Akira en France datent de quoi ? 15 ans ? Déjà là, j’ai senti que le vent tournait, pourtant je n’étais qu’un collégien ! A l’époque il était de bon ton de critiquer tout ce qui venait du Japon, qu’il s’agisse des dessins animés ou des tout premiers mangas (on préférait se taper des ersatz de BD Goldorak abominables refaites à l’arrache par des français). A l’époque, le mot à la mode dans tous les médias c’était « japoniaiserie »… Maintenant c’est à l’éditeur qui se fera brider les yeux. C’est n’importe quoi et ça ne peut pas marcher comme ça… Le problème vient du fait que la BD franco belge est prisonnière de son côté « 9ème art », avec des grands formats pour faire bien dans la bibliothèque… Mais ça ne parle pas aux jeunes. Le manga bouffe le marché pour plusieurs raisons : des délais de parutions très courts, le prix, le format passe-partout, des produits dérivés en nombre, et il faut dire ce qui est : l’inventivité ! La BD franco Belge s’encroûte sévèrement, et la contre-attaque européenne est très mauvaise. Des grandes maisons d’édition demandent à leurs auteurs de faire « plus manga », à savoir des persos avec de grands yeux brillants et des cheveux pointus dans un format de 46 pages couleurs. Mais ça ne changera rien. Le résultat est souvent douteux : des influences mal digérées, et personne ne s’y retrouve. Les fans de mangas préféreront de toute façon le manga, tandis que les amateurs de franco belge quittent le navire… La BD franco belge a besoin de se réinventer, pas de chercher à concurrencer les mangas sur leur propre terrain graphique… En France il y a une relève qui est prête à franchir le pas, mais la plupart des éditeurs sont à côté de la plaque. Je pense qu’ils sont dépassés par un truc qu’ils ne comprennent pas…

Quel objectif artistique poursuis-tu ?
Run : Mon prochain objectif c’est un long métrage d’animation.

Quelles techniques utilises-tu pour arriver à ce résultat final détonnant ?
Run : Un marqueur, un set de rotring, du papier, un ordinateur et du coca…

Utilises-tu un crayonné ?
Run : Oui. Et c’est la partie qui me donne le plus de mal !

Utilises-tu des modèles ?
Run : J’utilise beaucoup de photos, la plupart sont des prises de vue réalisées lors de mes séjours aux USA. Je complexe énormément sur mon dessin… J’ai pas mal de lacunes, mais j’apprends en dessinant… Le plus dur est d’accepter ses erreurs.

La série semble prévue pour être une trilogie, qu’en est-il ? Peut-on d’ores et déjà espérer un éventuel second cycle ?
Run : Les 3 tomes constitueront « le pilier de base », puis d’autres ouvrages viendront étoffer l’univers. J’ai déjà une foule de projets en tête…

On parle d’une mini série en parallèle, est-ce vrai, est-ce pas vrai ?
Run : Oui, en fait, il s’agit d’un format différent du grand format couleur. Cela va plus se rapprocher du format manga noir et blanc. Mais laissons la surprise aux lecteurs, le tome 2 est au début de sa promo et je sens que le tome 3 est loin d’être fini.

Quel est ton personnage préféré ? (dans votre BD, c’est mieux)
Run : Bizarrement c’est un personnage secondaire : Chavez, le zonard dangereux du quartier Rios Rosas. J’aime beaucoup Popeye aussi. Celui de Mutafukaz, et l’autre, le marin.

Ton univers multiplie les références, ainsi Vinz fait irrémédiablement penser à Ghost Rider, mais la partie noir et blanc semble influencée par les travaux de Frank Miller (Sin City). Si ces références s’avèrent exactes, vous font-elles plaisir, vous agacent-elles ? Y en a-t-il d’autres qui auraient pu nous échapper ?
Run : Elles sont tellement évidentes qu’elles ne me font ni plaisir, ni l’inverse… Par contre j’aime bien quand quelqu’un vient me voir en relevant un clin d’œil que je pensais quasi invisible…

A la sortie du 1er tome, la concurrence avec la série Lucha Libre semblait pouvoir donner une participation de vous-même et de l’équipe de Frissen dans l’album de l’autre, est-ce toujours d’actualité ?
Run : Le cross over n’est pas d’actualité, mais on ne sait jamais… J’ai invité Gobi de Lucha Libre dans le tome 2 de Mutafukaz comme guest, aux côtés de Lewis Trondheim, et d’Eric Herenguel... J’aime beaucoup le style graphique très nerveux de Gobi, il est très fort ! Bill et Fabien sont eux aussi très talentueux, et Tanquerelle a un truc bien à lui. Par contre je n’accroche pas du tout à la BD Lucha Libre… J’ai l’impression que Jerry Frissen survole un peu son sujet, et que le projet n’est pas à la hauteur du talents de ses participants…

Pour la sortie du tome 2, pas trop stressé maintenant que tu es attendu au tournant par plusieurs dizaines de milliers de fan ?
Run : J’ai fui la sortie du Tome 2, j’ai pris mes vacances juste quand celui-ci est arrivé en librairie…. Je suis un éternel insatisfait, et j’appréhende toujours les premiers retours. D’autant plus que quasi personne ne l’avait lu avant sa sortie, pas même mon éditeur qui me fait 100% confiance et qui voulait lire le bouquin une fois imprimé pour ne pas gâcher son plaisir de découverte, ahah ! La sortie du tome 2 c’est un peu comme un saut à l’élastique ! Alors oui, je suis stressé, même si mon esprit est déjà à fond dans le tome suivant.

Peux-tu nous présenter ce « Troublants trous noirs » ?
Run : Dans le tome 1, on laisse nos deux losers avec les hommes en noirs sur les talons. Le tome deux est plus orienté action, mais nous fera voyager plus que dans le 1er opus. Au programme : le Downtown crasseux de Dark Meat city, Little Tokyo, et le désert qui borde la ville, et dont personne ne revient entier… La vie de fugitifs n’est décidément pas de tout repos…

Un passage a lieu dans Little Tokyo. C'est visuellement un hommage appuyé aux mangas, à quoi devons-nous nous attendre dans le 3ème ?
Run : Un hommage et en même temps un pied de nez à tous les auteurs français qui se prétendent « mangakas », et qui veulent publier leur bd dans le sens de lecture jap… … d’où la phrase d’avertissement au début du chapitre : « attention ces planches ont été publiées… ». Le tome 3 aura lui aussi sa rupture graphique…

Le premier tome devait sortir en Angleterre, félicitations tout d’abord, qu’en est il ? Le second est-il déjà en partance ?
Run : Il n’est pas encore sorti en Angleterre !!! On attend de finir le tome 3 avant d’exporter le bébé.

Si tu avais une gomme magique pour corriger un détail ou une partie dans le 1er ou le 2ème de Mutafukaz, souhaiterais-tu l’utiliser ?
Run : Si j’avais cette gomme magique de malheur, j’en dormirai plus les nuits… Je recommencerais 80% du tome 1 et bien 50% du tome 2 (ça va, il y a quand même une progression ?)

Sinon, quels sont tes autres projets ? En cours et/ou à plus long terme ? Des collaborations ? Y’a-t-il quelqu’un avec qui tu aimerais travailler ? On veut un scoop !
Run : Il y a d’abord l’artbook Mutafukaz que je compte sortir en 2008, mais aussi le mystérieux tome 0, ainsi que le plus secret des projets Ankama Editions : le Mutafukaz Black Book. Que de mystères !!!!

Quelle(s) question(s) aurais-tu aimé qu’on te pose ?
Run : Salut Run, comment vas-tu ?

Peux-tu y répondre ?
Run : Ma foi ça va bien, et vous ?

Un court métrage de Mutafukaz avait été créé en 2003 (cliquez ici ), rêvez-vous de voir adapter la totalité de la série de la sorte ?
Run : Je penche plus pour un film d’animation, quoiqu’une série bien fichue pourrait être pas mal. Mais bon, la télé et ses contraintes, je ne pense pas que ce soit adéquat pour Mutafukaz

Depuis le mois de juillet, est sorti une série de Qee Mutafukaz (des figurines) réalisée par une société de Hong Kong, comment en est-on arrivé là ?
Run : Je suis un des premiers designer toy de France. Je veux dire dans la mouvance actuelle dite des « art toys », même si le nom est définitivement trop ronflant à mon goût… La question devrait plutôt être inverse : comment en es-tu arrivé à faire de la BD ?

Si tu étais un bédien, quelles seraient les séries que tu conseillerais aux terriens ?
Run : Watchmen, et la bible en BD si ça existe, ahah ?

Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d’un autre auteur de BD, qui irais-tu visiter ?
Run : Celui d’Ancestral Z pour admirer le Chaos, et pour lui déconnecter deux trois trucs là dedans…

Merci à toi !
Run : C’est un plaisir. Merci à vous la PlaneteBD !