interview Bande dessinée

Saverio Tenuta

©Les Humanoïdes Associés édition 2011

Achevée en ce début d’année 2011, la trilogie de La Légende des nuées écarlates marquera assurément les esprits comme l’une des plus belles sagas asiatiques jamais réalisées. Son auteur, Saverio Tenuta, y réussit en effet le mariage parfait d’un trait virtuose sublimé par une mise en couleurs simplement bluffante ! Alors qu’un coffret réunissant les livres du drame est attendu – imaginé théâtralement à l’hiver d’un Japon resté au temps du shogunat – les lecteurs qui, par mégarde, auraient manqué cette pièce magnifique, trouveront ainsi l’occasion de se rattraper. Vraiment, sublime !
(un grand merci à la Gallery pour l’accueil !)

Réalisée en lien avec l'album La légende des nuées écarlates T4
Lieu de l'interview : la Gallery, à Paris (14 rue Charles V)

interview menée
par
20 mai 2011

Bonjour Saverio. La Légende des nuées écarlates est ta première série franco-belge. Cela se déroule dans le Japon médiéval et pourtant, tu es Italien. Comment as-tu débuté dans la bande dessinée ?
Saverio Tenuta : Je suis effectivement Italien et je vis à Rome. J’ai commencé à travailler dans la bande dessinée en 1992, pour de petites maisons d’édition italiennes. Mais ma façon de travailler s’inspirait beaucoup d’influences françaises et américaines, et mes univers ne trouvaient pas acquéreurs en Italie. J’ai donc tenté l’aventure aux Etats-Unis. J’y ai travaillé sur un One Shot de fantasy qui a eu un bon succès. J’ai réalisé aussi des nouvelles pour la revue Heavy Metal et par la suite j’ai travaillé sur un graphic-novel collectif pour la DC Comics. Malheureusement le projet n’a pas eu de succès. Cependant, chaque fois on me reprochait une approche trop européenne. Et de plus, je n’avais pas une grande visibilité commerciale. L’étape suivante fut ainsi, logiquement, de revenir en Europe. Je lisais les Humanoïdes associés depuis mon adolescence. Cette maison d’édition a en outre une forte affinité avec la production américaine. Mon entrée aux Humano fut, de fait, un peu comme l’aboutissement d’un parcours personnel.

Pourquoi avoir choisi l’univers du japon médiéval ?
Saverio Tenuta : (Sur un ton humoristique) Question classique à laquelle j’aime répondre différemment… (Plus sérieusement) J’ai toujours été fasciné par le Japon. Je trouve qu’il existe de nombreux points communs entre les fantasys européenne et japonaise. L’image du noble cavalier se rapproche, par exemple, de celle du samouraï. Il existe aussi des parallèles possibles avec le western. On peut dire que l’univers du Japon médiéval se situe peut-être entre le western et notre Moyen-âge.

Comment est-née la série ?
Saverio Tenuta : Il s’agit de ma première histoire longue. A la différence d’une histoire courte, dont la chute est aisée à trouver, l’écriture d’une histoire longue réclame un important travail au niveau, notamment, des personnages. Travailler leur histoire, leur psychologie. J’ai lu pas mal de romans de fantasy japonaise et des mangas – comme Shiguri (Takayuki Yamaguchi) où l’on retrouve un personnage de samouraï manchot. A l’époque, une autre série comparable était aussi en préparation chez un autre éditeur (NDLR : Okko, par Hub, chez Delcourt). Notre documentation étant semblable, ma peur était que l’on m’accuse de plagiat. Mais au final, les deux séries se révèlent heureusement sensiblement différentes. J’ai écrit l’ensemble des 4 tomes au fur et à mesure. D’abord le premier, puis le second… Et quand la décision a été prise de prolonger d’un volume la trilogie prévue initialement, j’ai écris de concert les troisième et quatrième albums.

As-tu déjà été au Japon ? Si oui, comment cela transparait-il dans ton travail ?
Saverio Tenuta : J’ai fait plusieurs voyages au Japon. Je ne pourrais pas imaginer de décrire en détail un monde que je ne connaitrais pas. A mes débuts, quand j’ai commencé à travauiller, mon souci principal était de me documenter au mieux, en étudiant des livres et des photos. Mais quand je tentais d’approcher une culture différente de la mienne, c’était frustrant de pas saisir l’ambiance exacte de ce que je n’avais pas vécu. Au cours de mes voyages au Japon, j’ai donc essayé de comprendre les impression, les attitudes, les goûts, le moyen de voire les choses tel que les voit le japonais. Même si le monde de Samurais que j’ai créé présente beaucoup d’inexactitudes historiques et visuelles, j’espère toutefois avoir réussi à communiquer une partie des émotions et les sensations que j’ai perçues en voyageant dans le pays du soleil levant.

La couleur (la lumière surtout !) occupe une place incontournable dans ton œuvre…
Saverio Tenuta : A l’origine, les Humano pensaient utiliser un coloriste français. J’avais ainsi réalisé deux planches encrées non-colorisées. Mais je tenais à assurer moi-même la couleur. J’ai donc aussi réalisé un essai d’une planche colorisée par mes soins, que je leur ai soumise. Ils ont été conquis. J’ai donc pu assurer l’écriture, le dessin et la couleur de ma série. La chose est d’importance car aujourd’hui, j’use d’un encrage beaucoup plus dilué, comme faisant partie intégrante de la mise en couleur finale. Je mélange encre de chine et encre couleur afin d’obtenir des effets de lumière. Je commence parfois directement l’encrage à la couleur, avant d’apporter quelques retouches en vue du résultat souhaité. En fait, je travaille de manière très variée. Selon les cas, je gomme, je crayonne, j’encre ou j’emploie même de l’acrylique. Quant à la lumière, elle est effectivement cruciale. Sans la lumière, il n’y a rien. La lumière rend l’atmosphère et donc l’émotion. (Plein d’humour) Vous n’avez jamais remarqué que chez Ikea, ils attachent beaucoup d’importance à l’exposition de leurs meubles qui, une fois chez vous, paraissent très ternes ?! La lumière fait tout.

Au vue du rythme de parution de la série, tu sembles prendre ton temps…
Saverio Tenuta : Je ne sais pas exactement combien de temps je passe sur une planche. Je ne travaille pas toujours de la même façon. Le dernier tome, je l’ai ainsi entièrement crayonné d’abord, puis seulement encré et colorisé. Si je dois faire une moyenne, je pense réaliser 4 ou 5 planches par mois. Une chose est sûre : je n’aurai pas pu être mangaka ! Mais, à l’inverse, un mangaka n’arrivera jamais au même résultat !

Tu es auteur complet sur La Légende des nuées écarlates. Imagines-tu un jour mettre en images l’univers d’un autre ?
Saverio Tenuta : Je l’ai déjà fait pour un résultat incertain. Aujourd’hui, je me trouve bien en compagnie de moi-même. J’ai plein d’histoires en tête. (Avec humour) Même si parfois « mon scénariste » me demande des choses difficiles… C’est compliqué de rencontrer quelqu’un de disponible et qui partage une passion égale à celle qui m’habite lorsque je dessine. Par le passé, je n’ai pas trouvé le même engouement. J’ai eu l’impression que mon travail n’était pas considéré à sa juste valeur. On ne me proposait pas non plus toujours une intrigue géniale. Alors tant qu’à réaliser une daube, autant faire sa propre daube ! Non ?

Quel est ton premier souvenir de bande dessinée ?
Saverio Tenuta : J’avais 4 ans. J’étais malade et ma mère m’avait laissé seul à la maison le temps d’une course. Le petit piano électronique qu’elle m’avait acheté à pris feu, du fait d’une disjonction au niveau de la prise de courant. J’ai jeté une poêle pleine d’eau dessus, sans résultat. La voisine est heureusement arrivée au secours. Quand ma mère est rentrée, peu après, elle a trouvé la voisine à nettoyer les dégâts et moi, entrain de feuilleter un Journal de Mickey

Si tu possédais le pouvoir de te téléporter dans la tête d’un autre auteur du 9e art, qui irais-tu visiter ?
Saverio Tenuta : Il y a quelques années, j’aurai répondu Richard Corben. Aujourd’hui, Hokusai.

Merci Saverio. Et à bientôt !