interview Comics

Stephen King

©Urban Comics édition 2013

C’est d’abord durant une conférence de presse au milieu d’environ 150 journalistes, puis en face à face pour seulement 2 questions supplémentaires, que les bédiens que nous sommes ont eu l’immense privilège de rencontrer le « King » incontesté du fantastique et de l’horreur, monsieur Stephen King. Est-il vraiment besoin de présenter l’homme ? D’après les 2 membres de l’European American Press Club qui animaient la conférence, Jim Bittermann de CNN et Christian Malard de i24 News, la réponse était non. Il faut dire qu’avec plus de 50 romans et plus de 350 millions de livres vendus dans le monde, cela peut effectivement paraître super-flu (comme dans Le Fléau), euh, superflu... Mais sur la planète BD, on rappellera tout de même que plusieurs de ses titres ont été adaptés en comics : La Tour Sombre, Le Fléau, Creepshow, N., et Road Rage. Les journalistes étaient venus du monde entier pour le rencontrer : Finlande, Espagne, République Tchèque... mais aussi de Chine, Russie et bien d’autres pays encore ! Il faut dire que l’homme se fait rare. Sa dernière session publique de signature remonte à plus de 8 ans, aux USA, et il n’est pas souvent venu dans notre coin de la planète, et en tout cas jamais pour un événement public ! Pas de snobisme dans tout cela : l’auteur se montre bien au contraire aimable, répond avec enthousiasme, et ne manque jamais d’anecdotes, comme dans ses livres ! Nous lui avons donc parlé de comics bien entendu, mais aussi des Simpson, et lui avons posé l’une des traditionnelles questions bédiennes...

Réalisée en lien avec les albums American Vampire T1, La tour sombre T1, Road Rage, N., American Vampire T2, Le fléau T1
Lieu de l'interview : Paris

interview menée
par
28 novembre 2013



Mini-interview des bédiens :



Joe hill - locke and key - welcome to lovecraft Beaucoup de vos livres sont adaptés en comics. C’est un exercice différent, mais est-ce que ça vous plairait d'écrire des scénarios directement pour des comics ?
Stephen King : Oui, bien sûr. J'ai déjà travaillé sur un scénario de comics qui s'appelle American Vampire, je ne sais pas si vous connaissez et si c’est sorti en France, mais ça doit se trouver facilement sur Internet. J'aimerais bien en refaire un jour, oui. Connaissez-vous les comics Locke & Key de mon fils Joe Hill ? Cherchez ça aussi, c'est vraiment bien, je vous le recommande !

Vous avez commencé à écrire Dôme en 2007, la même année que la sortie du film des Simpsons dans lequel un dôme géant recouvre la ville de Springfield. Est-ce de cette inspiration qu’est partie votre idée de roman ?
Stephen King : Je connais le film des Simpsons, mais au moment où j'ai commencé écrire Dôme, je ne savais pas que ce film sortait, ni de quoi il parlait. C’est vraiment une coïncidence.


Dans 22/11/63, le personnage principal retourne dans le passé. Si vous pouviez en faire autant mais que vous ne pouviez que changer quelque chose que dans votre travail ou votre carrière, que changeriez-vous, et pourquoi ?
Stephen King : Définitivement, j'essayerais beaucoup plus fort de faire de Maximum Overdrive un meilleur film ! (rires) Mais je suis tenté de dire que je n’aurais pas voulu travailler du tout avec Dino De Laurentiis. Mais je ne pense pas que ça serait le cas car c’est un genre d’individu fabuleux à sa façon. Je me rappelle être allé chez lui. C'était simplement un mec super. A cette époque, il y avait une minisérie appelée Les oiseaux se cachent pour mourir à la TV, et sa fille Raffaella entrait, elle était grande et superbe, et on avait toujours l’impression qu’elle revenait après avoir monté des chevaux, elle avait ses jeans et ses grandes bottes, et tout le bazar, et elle s’échouait dans le canapé à côté de son père et foutait ses bottes sur la table basse, jetait un œil à la TV et gueulait « Quand est-ce qu’ils en viennent à baiser ?! » (rires) Et Dino la dégageait... Il avait un studio en Caroline du Nord qui par coïncidence se trouve là où est maintenant tourné la série Under the dome. Le premier long métrage de ce studio était Cat’s eyes avec Drew Barrymore qui était alors une toute petite fille, et il ne voulait pas commencer à tourner tant qu’un prêtre n’était pas venu bénir le studio. C’était bien la peine ! (rires) Mais si je pouvais retourner dans le passé et changer un seul livre ou film... Ah, pff... Seigneur... Vous savez quand vous repensez aux livres que vous avez écrits, il y a une sorte d'embarras, vous vous dites « Je ne peux pas vraiment croire que j'ai écrit ça », donc d'une certaine façon, c'est mieux de ne pas retourner en arrière du tout, parce que vous essayeriez de tout refaire. Vous voyez ce que je veux dire ? Très bien, je n’ai pas répondu à celle-là, donc essayons-en une autre. (rires)


stephen king - under the dome
Couvertures des 2 romans d’Under the dome


Conférence de presse du 12/11/2013 à Paris :



Stephen King : Pour commencer je voudrais dire quelques mots. Une des raisons pour laquelle cela m'as pris si longtemps pour me décider à venir de ce côté de l’Atlantique en tant que personne publique, c’est parce que je trouve honteux que vous parliez tous ma langue et que je ne parle pas la vôtre. Cela me fait me sentir un peu comme l'idiot de la classe. Mais l'autre raison, c'est que j'étais curieux de voir s'il y aurait ou pas des réactions. Je suis stupéfié que vous soyez là. Vous savez, depuis des années, tous les rockers américains viennent en Europe et ont un accueil chaleureux, donc je me suis dit que peut-être un vieil écrivain américain pouvait venir ici et avoir le même genre de réaction. C'est génial en tout cas, et j'apprécie vraiment d'être là. Beaucoup de gens me questionnent à propos du genre de trucs que j'écris, et ne me demandez pas d'où me viennent mes idées, car je ne sais pas. Visiblement, en cours de route, j'ai pris la réputation d’être un écrivain d'horreur. L'année dernière, j'étais dans un supermarché, et au tournant d'un rayon, il y avait une vieille femme poussant un chariot. Elle était penchée en avant, avec une scoliose. Elle me dit « Je sais qui vous êtes, vous êtes Stephen King. Vous écrivez ces livres d'horreur. Et bien, je m'en fous de ces livres » qu’elle me dit, « Je préfère les choses comme Les Evadés » (rires). Je lui ai dit « C’est moi qui ait écrit ça » et elle m'a répondu « Non, ce n’est pas vous ! » (rires) Donc, je suppose que vous pouvez m’appelez comme vous voulez, mais en tout cas c'est génial d'être ici. Je souffre du décalage horaire et je n'ai vraiment pas toute ma tête mais si vous avez des questions je ferai de mon mieux pour y répondre.


Stephen king - tour sombre Pistolero Jim Bittermann : Vous êtes donc je suppose en premier lieu connu comme un écrivain d’horreur, et en littérature de l’imaginaire, je suppose par la manière dont vous mettez des éléments futuristes et de science-fiction dans ce que vous faites. Mais avant toute chose, laissez-moi vous poser cette question : en tant que maître dans l'écriture de situations effrayantes, quelle est la pire et la plus horrible façon de mourir ?
Stephen King : (rires) Et bien, vous savez... Il y avait un écrivain du manger sain, il y a quelques années, un gars qui faisait la promotion d’un style de vie sain, qui était allé dans un de ces talkshows nocturnes, le Dick Cavett Show, et qui est mort à l’antenne. Je crois vraiment que la pire façon de s'en aller à laquelle je puisse penser serait que j’ai une crise cardiaque là maintenant. Non, pour rire, si vous les mecs aviez une crise cardiaque, ça ce serait substantiel ! (rires)

Ci-dessus : le pistolero, illustration de la version comics de La Tour Sombre



(Belgique) : Quand vous avez écrit Shining en 1977, vous aviez des problèmes avec l'alcool, et l’alcool était un élément principal du livre. Maintenant dans Docteur Sleep, l'alcool est encore un des éléments principaux mais vous n'avez plus vous-même de problème avec l'alcool. Est-il plus simple de parler d'alcool quand vous êtes alcoolique ou bien quand vous êtes sobre ?
Stephen King : (Stephen King regarde la canette à côté de lui, NDR). Je devais vérifier que c’était bien du Coca Light et pas une Budweiser ! (rires) Je crois qu’on peut écrire sur l’alcoolisme dans les deux cas. Il n'y a sûrement aucune raison pour laquelle on ne pourrait pas à parler d'alcool et d'alcoolisme quand on est soi-même un alcoolique actif. Malcolm Lowry l’a fait avec Au-dessous du volcan... Je trouve d’un certain point de vue qu'il est plus difficile d’écrire un livre sur comment en sortir, parce que personne ne veut faire sonner ça comme le livre « Rebecca of Sunnybrook Farm » (un roman américain classique pour enfant de K.D.S. Wiggin, jamais traduit en français, NDR) et donner l’impression que c’est une carte de vœux Hallmark, tout sucre et miel. Quand j’ai écrit Shining, je buvais énormément. Que je fus un alcoolique ou non, c’est un jugement que je n’essayerais pas de faire. Mais je connais très certainement le sujet de l'alcool. Toutes ces années plus tard, la force motrice derrière Docteur Sleep... je ne voulais pas spécialement écrire un pamphlet sur l'alcoolisme, je n’étais pas intéressé par cela. Quoi qu’il en soit, ce que je voulais faire, c'était renouer avec Danny Torrance, le petit garçon de Shining. J’ai pensé que, étant donné que l'addiction à l’alcool est quelque chose qui a tendance à être un trait de famille, je devrais aller dans ce sens-là et le laisser être alcoolique, pour voir s'il pouvait mieux s’en sortir que son père.


The modern weekly (Chine) : Dans vos fictions, les pouvoirs supernaturels sont un des éléments les plus fréquents. Pensez-vous que ce genre de choses existe réellement, et si cela existait dans la réalité, quel pouvoir aimeriez-vous avoir ?
Stephen King : Si je pouvais avoir un superpouvoir, comme des pouvoirs psychiques, lequel je voudrais avoir... Et bien... (Il réfléchit) Tous ! En fait, je ne suis pas sûr que je veuille en avoir. Le shining qu'on retrouve dans le livre éponyme et dans Docteur Sleep est une sorte de capacité à lire les esprits et de savoir ce que les gens pensent, mais je ne suis pas sûr que je voudrais vraiment de cela. Il y a un vieux proverbe anglais qui dit « Peek not through a knothole, lest ye be vexed » (traduit par « Lorgne pas dans le trou de la serrure, tu pourrais être choqué » dans la version française de 22/11/63, NDR). Je crois que si on pouvait entendre les pensées des gens, quand elles nous concernent, on entendrait des choses qu'on préférerait ne pas entendre. Donc, je ne suis pas sûr de vouloir cela. Le seul pouvoir que Danny Torrance a, en tant que quelqu’un qui a le shining, comme Abra Stone et le docteur Sleep, que je voudrais avoir, maintenant que j’y réfléchi, est la capacité à retrouver les choses perdues. Car je ne retrouve jamais mes clés! (rires) Vous savez, je ne peux même pas retrouver la moutarde dans le réfrigérateur (rires). Ma femme dit « Cet homme souffre de la cécité du réfrigérateur » (rire). C'est une maladie où vous regardez à l’intérieur et vous dites « Chérie, je n’arrive pas à trouver ces foutus yaourts » et elle vient et ils sont juste là, devant tout le reste. Donc je voudrais être capable de faire ça, et, vraiment, c’est ma femme qui perd les choses habituellement, donc je pourrais utiliser ce pouvoir. Mais sinon, la capacité de faire faire des choses aux gens, comme Carrie White, ou Abra Stone dans Docteur Sleep, je ne voudrais pas de ça, c'est trop de pouvoir pour une personne normale.


Stephen king - stand - le fléau randall flagg
Randall Flagg de la version comics du Fléau


The Huffington Post (USA) : En tant que journaliste professionnelle de longue date, je me sens très concernée par ce qu'on appelle des « citoyens journalistes » ou des « pseudo-journalistes » qui se baladent partout avec un iPad ou une caméra puis mettent imprudemment sur Internet tout ce qu’ils veulent. Et je me demandais, avec l’industrie de l’auto-édition, si on ne va pas avoir les « citoyens romanciers » ou « pseudo-auteurs » qui vont inonder le monde avec plein de mauvais écrits. Comment vous sentez-vous par rapport à cela ?
Stephen King : Question intéressante. Vous avez tous entendu ? Oui ? Non ? Vous vous en foutez ? (rires) Et bien moi je ne m’en fous pas. Nous avons des « citoyens romanciers » comme nous avons des «romanciers Do It Yourself» qui émergent maintenant. Les livres de la série 50 nuances viennent de l'auto-édition. Je pense qu’ils ont commencé presque comme une fan fiction de Twilight. Et il y a aussi d’autres livres qui entrent dans la liste des best-sellers du New York Times et qui sont du genre de ce que j'appelle du porno pour mère de famille, qui sont auto-publiés et qui marchent bien sur Amazon. Le truc avec l'auto-publication et se retrouver directement dans les librairies, c'est qu'il n'y a pas de garde-frontière. Il n'y a personne pour vous arrêter et dire « Tu ne veux pas vraiment faire ça, car c'est fâché avec la conjugaison du passé, c'est plein de clichés, ta grammaire est horrible... », ce genre de trucs... Ils le balance simplement, et voilà. Donc je pense que c'est un cas de « caveat emptor » (« que l’acheteur soit vigilant », NDR), de laisser l’acheteur faire attention. Habituellement, en ligne, vous pouvez lire un extrait, mais il n'y a rien qui puisse être fait à ce propos en dehors d’un public des lecteurs intéressé par la qualité. Mais, évidemment, tout le monde n’est pas intéressé par la qualité car les romans de 50 nuances ne sont franchement pas très bons. D’un autre côté, ils ont un succès fou, et la publication est un business... Je ne sais pas si ça répond complétement à votre question car je ne pense pas que j'ai la réponse.


France 5 : J'ai une question sur Carrie, votre première histoire publiée, et aussi celle qui a été le plus adaptée avec deux films, un téléfilm et une comédie musicale, et il y a un nouveau film qui arrive en France en décembre. Pourquoi pensez-vous que Carrie est si présente de nos jours ? Pensez-vous que Carrie fait désormais partie intégrante de la culture américaine ?
Stephen King : Je pense en effet que Carrie a intégré la culture américaine, mais je ne suis pas sûr de savoir pourquoi. Le remake du film n'a pas bien marché aux Etats-Unis, ce n'était pas non plus horrible mais ça n'a pas bien marché. Il y a une certaine touche de conte de fées dans Carrie. C'était une œuvre de jeunesse, et ça devait être une histoire courte. A cette époque, j’avais beaucoup de succès - enfin, pas beaucoup de succès mais j'en avais quelques-uns, en vendant des histoires courtes de fiction à des magazines pour hommes, des magazines avec des filles, ceux avec un dépliant au milieu. stephen king - carrie cover De nos jours, ils ont été assez bien remplacés par Internet, mais en ces temps-là, quoiqu'il en soit ça ramenait un peu d'argent. Tout entre 2 500 mots et 5 000 mots, et bien vous savez, ça couvrait les traites du mois, ça couvrait la pénicilline et l’amoxicilline pour les enfants, ou quoi que ce soit d’autre, et Carrie était supposée être une de ces histoires. Et ça a commencé à grossir un peu... J'ai eu l'idée car j'ai connu deux filles comme Carrie White. Une étudiante qui était en bas de la chaîne hiérarchique, et une qui était professeur dans la même situation. Il s’est passé que la première, celle que je connaissais quand j’étais étudiant au lycée, s'est suicidée, elle s'est pendue. La seconde a été renversée par une voiture en traversant la rue en sortant du bar où elle venait de se saouler. Ce n’était pas des filles heureuses et j'ai pensé que juste une fois ça aurait été génial de « voir le ver se venger » (« to see the worm turn », expression anglaise sans équivalent français, signifiant que même le plus insignifiant des vers de terre peut contre-attaquer si on le pousse à bout, NDR), de voir un de ces malheureux enfants largement opprimés avoir sa revanche. Et donc j'ai commencé à écrire l'histoire... Je ne connaissais vraiment rien à propos du début de l'histoire, la scène dans le vestiaire des filles. Je me rappelle avoir demandé à ma femme « Ces tampons que les filles utilisent, est-ce qu'elles les obtiennent gratuitement ou est-ce comme l’un de ces distributeurs de boissons, où l'on met de l'argent pour en récupérer un ? ». Elle m’a ri au nez et a dit « laisse-moi t'aider avec ça » car j’avais déjà jeté beaucoup de manuscrits. Mais vous avez raison, ça a été adapté deux fois en film, et il y a eu la comédie musicale, une grosse comédie musicale de Broadway, et puis après une en dehors de Broadway, où ça a eu considérablement plus de succès, d’après ce que j’ai compris. J’attends « Carrie le spectacle de marionnettes » (rires) ou peut-être « Carrie contre les enfants du maïs » (Les enfants du maïs est une histoire courte publiée en France dans le recueil Danse macabre) (rires), ou Chucky ou quelque chose comme ça, ça serait bien. Je parie mon billet sur Carrie...


Jim Bittermann : Vous parliez de la culture américaine, et je suis curieux de savoir ce que vous avez à dire à propos des transferts entre la fiction et la réalité, et de la réalité a la fiction. Est-ce que les fictions vicieuses et horrifiques, et les jeux vidéo et autres trucs du genre inspirent-ils les crimes, ou bien les crimes inspirent-ils la fiction ?
Stephen King : Stephen king - road rage comics cover C'est comme de demander qui est venu le premier entre l'œuf ou la poule. Je pense qu'il y a des gens qui sont prédisposés, qui portent des bombes à retardement, qui s’apprêtent à perpétrer des actions violentes, d’une façon ou d’une autre. Et je pense que beaucoup d’entre eux prennent des inspirations concrètes de films ou de programmes télévisés violents - nous avons beaucoup de programmes télévisés violents en Amérique maintenant. Et ils s’inspirent des livres aussi. Mais s’ils n’avaient pas un livre ou un film spécifique, ils trouveraient un autre moyen de créer ces horreurs. J’ai eu cela à l’esprit car j'ai un livre qui sortira l'année prochaine, intitulé Mister Mercedes, qui parle d'un personnage qui planifie une attaque très proche de ce qu’il s'est passé au marathon de Boston, et j'ai terminé le roman à peu près au même moment que la bombe a explosé au marathon. Donc dans un sens, votre question de savoir si l’art s’inspire de la vie ou la vie s’inspire de l’art, la réponse est que les deux sont vrais.

Ci-dessus : couverture de la version comics de Road Rage



Journal Folha de Sao Paulo (Brésil) : On a vu beaucoup de films et d'adaptation TV de votre travail. Je voulais savoir ce que vous pensiez que ça pouvait avoir comme effet sur votre processus d'écriture. Pensez- vous qu'avec les années, vous avez commencé à écrire des histoires dans un style plus cinématographique, à concevoir des scènes qui collent avec une grande mise en scène ?
Stephen King : Non, ça ne me traverse jamais l'esprit quand j'écris une histoire, que ça pourrait faire un super film ou être très bien adapté sous la forme d'une longue série TV. Mais laissez-moi vous dire, j'ai 66 ans maintenant et je suis de la première génération qui a grandi sans la TV à la maison. J’allais au cinéma, j'adore totalement ça depuis l'époque où j'ai vu Bambi quand j'avais 3 ans. Alors quand la TV n’est pas là, quand vous commencez avec les films dès l’enfance, il y a une tendance à visualiser les choses. Et pour moi ça s’est renforcé quand j'étais au lycée. J’ai lu beaucoup de poésie... Ça m'impressionnait que l'idée était de montrer les choses plutôt que de les raconter, que les images comptaient plus que les longs discours. Vous savez, le poème de William Carlos Williams qui parle des prunes dans le réfrigérateur (« This is just to say », NDR) - connaissez-vous ce poème ? C’est sous la forme d’une note à l’intention de sa partenaire qui dit « Désolé, j’ai mangé les prunes dans le frigo mais elles étaient si fraiches et douces » (rires). Pour moi, c'est en quelque sorte ce que la fiction est censée faire. En d’autres mots, ce n'est pas supposé être un storyboard, ni un comic, mais c'est au moins supposé vous donner une expérience visuelle, et si vous avez une expérience visuelle, vous avez une expérience émotionnelle et j'aime ça. Je suis un écrivain de l'émotion. Je m’intéresse à votre cerveau « comme dit l’évêque à la jeune choriste » (rires). Je veux d'abord vous toucher émotionnellement. Je veux avoir cette sorte de rapprochement tactile, je veux que vous ayez la chair de poule, que vous ayez des palpitations, que les larmes vous montent aux yeux, et ce genre de choses. Et alors, quand vous revenez au livre la seconde fois, vous vous demandez « de quoi ça parlait déjà ? ». Pour faire cela, vous devez visualiser. Donc les films ont une grosse influence sur moi, ils ont une influence sur mon écriture. Mais je n'ai jamais écrit en me disant « Je veux écrire ce livre comme ça il y aura un film ». Si vous faites cela, les choses tombent à l’eau de toute façon.


(Hongrie) : Écrivez-vous toujours sur du heavy metal, comme vous l’expliquiez dans votre livre Ecritures : Mémoires d’un métier ?
Stephen King : Non, j’avais l’habitude d’écouter du rock mais mes oreilles sont flinguées, disons ça comme ça, car plus c'est fort et mieux c’est, et plus c’est lourd et mieux c’est. Et j’avais l’habitude d’écrire, de composer comme ça, mais la plupart du temps, j’étais assez bourré quand je faisais ça. Mais ces temps-ci, j'ai l'habitude d'écrire en silence... et de réécrire en écoutant beaucoup de metal. Je ne dirais pas que c'est que du métal, ça ne serait pas juste. Oui, j'aime AC/DC, Metallica, Judas Priest, Anthrax, il y a plein de groupes de metal que j’aime, mais j'aime aussi James McMurtry, John Prine, et des gens qui viennent plus ou moins de la country.

Stephen king - hill comics
Stephen King et Joe Hill


France 2 : Pourquoi vouliez-vous renouez avec Danny Torrance si longtemps après l'avoir créé ?
Stephen King : Il a eu une enfance difficile. Il n'a jamais vraiment quitté mon esprit car je pensais en moi-même que c'est un gamin qui a grandi dans un foyer à problèmes, avec un père lui a cassé son bras, toujours prêt à basculer dans la violence et l’enfant le sait... Il était aussi le fils d'un alcoolique. Dans le langage actuel, on fait de lui un « co-dépendant ». (Il rit) J’ai lu une définition de co-dépendant : c'est une personne qui, quand elle est en train de se noyer, voit la vie de quelqu’un d’autre qui défile devant ses yeux (rires). J’ai connu beaucoup de personnes et je sais que nous avons tous quelqu’un comme ça dans notre entourage qui pourrait dire « J’ai grandi dans une famille où mon père battait ma mère » ou « Mon père battait ma mère ET moi, ET les autres enfants », et « J'ai grandi dans une famille où mon père rentrait saoul à la maison et où on devait marcher sur la pointe des pieds à côté de lui car il était capable d’être un sale type, d’être méchant », ce genre de choses.. Et ils finissent par dire « et ne ferai jamais ça ! ». Et ils se retrouvent à 21 ans avec un verre dans la main, à participer à de bagarres dans les bars... Le passé a tendance à se répéter. Et donc, je me suis dit « Voyons ce qui arrive à cet enfant en grandissant et voyons ce qui arrive à son shining ». J’étais curieux - et ça ne m'arrive pas souvent. Habituellement, vous voyez, quand j'arrive à la fin d’une histoire, j'en ai fini avec ses personnages, pas parce que je ne les aime plus, mais parce que je ne sais pas ce qui arrive ensuite. J'adorerais savoir ce qui arrive ensuite à Lisey Landon dans Histoire de Lisey, mais je ne sais pas, donc… Petit à petit, l’histoire de Docteur Sleep et ce qui arrive à Danny ont commencé à prendre forme dans ma tête, et finalement il en a résulté ce livre.

stephen king creepy
Stephen King prend une tête creepy pour raconter l’anecdote qui suit


Journal Ilta-sanomat (Finlande) : La légende raconte que vous avez passé la nuit dans la chambre 217 de l’hôtel Stanley au Colorado en 1974, et que c’est là que vous avez eu l'inspiration pour Shining après un incident fantomatique...
Stephen King : Et bien ce sont des conneries, complètement des conneries ! (rires)


Jim Bittermann : Sont-ce vraiment des conneries ou... ?
Stephen King : (Il rit et mime la reprise de question) : « Est-ce que c’est vrai ou ce sont des conneries ? ». « Ce sont des conneries ! ». (rires) Mais ça vient bien de l’hôtel Stanley, mais il n’y a pas eu d’apparition de fantôme. Ce qui s'est passé, c'est que ma femme et moi avions une petite fille quand on s'est mariés, et nous avons eu un garçon peu après ça. Il s’agit de Joe Hill, qui écrit ses propres livres maintenant. Je suis très fier de lui, c'est un mec génial - évidemment que vais dire ça de toute façon car je suis son père (rires). Mais ce que j'essaye de dire, c'est que nous avions eu des enfants jeunes et que notre lune de miel fut un week-end à Boston, ce qu’on pouvait seulement se payer. En quatre ans de mariage, nous n’avions pas eu de temps de repos. Nous habitions dans le Colorado, et je n’écrivais vraiment rien de particulier à ce moment-là. La plus jeune sœur de ma femme, qui était une sorte de jeune fille au pair, a dit « pourquoi ne prendriez-vous pas le weekend pour vous, pour aller quelque part, et je garderai les enfants ? ». Donc on a pris la voiture et on est allé à la montagne. Et on est arrivés à ce bel hôtel dans la ville d’Estes Park, l’hôtel Stanley. Nous étions vraiment des poissons à contre-courant car tout le monde faisait le check-out alors que nous, nous arrivions. J'ai demandé si on pouvait rester le week-end et la femme m'a répondu « Vous pouvez rester si vous pouvez payer en liquide, nous avons renvoyé notre lecteur de carte de crédit à Denver ». J'avais des traveler’s cheque pour le week-end alors on est resté et nous étions les seuls clients de l'hôtel. Et c'était flippant! Le vent hurlait dehors, et dans la salle à manger toutes les chaises étaient sur les tables et la musique tournait... C'était très, très bizarre. On a pris du vin et on a fait un très bon dîner, (il prend une tête inquiétante, NDR) du moins le mieux qu'on pouvait avoir dans cette immense salle vide avec personne d'autre ! (rires) Et ma femme est retournée à la chambre tandis que je suis resté pour ressentir un peu l'atmosphère. Puis, j'ai commencé à revenir vers notre chambre et je suis passé près d'une de ces vieilles lances à incendie en toile accrochée au mur, et j'ai pensé « Seigneur, et si ça se transformait en serpent et se mettait à me poursuivre ? » (rires). Et le temps que je retourne à ma chambre, j'avais tout le livre dans ma tête. Mais il n'y avait pas de fantôme ou quoi que ce soit. C'était un week-end très intéressant et indéniablement profitable (rires).


stephen king - maximum overdrive Mad Movies (France) : Vous n’avez dirigé qu’un seul long métrage dans votre carrière, voudriez-vous un jour retenter l'expérience ? Ecrivez-vous toujours au moins une histoire courte par an comme vous l’expliquiez dans la préface de Tout est fatal ?
Stephen King : Ça vient comme ça vient, il n'y a pas de vraiment de rythme ou de raison à ça. Fort heureusement, j'ai été très chanceux de pouvoir assembler beaucoup d'histoires. Elles ne viennent pas aussi fréquemment qu’avant. Quand j'étais dans ma vingtaine et dans ma trentaine, je me sentais comme si ma tête débordait d'idées, c'était comme si quelqu'un criait au feu dans un cinéma rempli, car j’avais beaucoup de choses qui se bousculaient dans ma tête. Et maintenant que j'ai dit ça, j'ai complètement oublié la deuxième moitié de votre question (rires).


Vous avez réalisé un seul film dans votre carrière. Voudriez-vous retenter l'expérience ?
Stephen King : Ah oui, j'adorerais refaire ça ! C'était Maximum Overdrive, un film épouvantable (rires) mais vous devez garder à l'esprit que quand je l'ai fait, je travaillais avec une équipe entièrement italienne et qu'on ne se comprenait pas les uns les autres ! (rires) J'étais saoul et défoncé la plupart du temps mais, encore plus que tout cela, je n'avais aucune expérience de réalisation. Et donc, tout le film était comme des travaux dirigés sous haute pression. Je pense que je pourrais probablement faire un meilleur boulot la prochaine fois, mais qui sait ? Ce serait bien de réessayer maintenant, oui.


INREES / magazine Inexploré (France) : Il semble que vous soyez très familier des expériences psychiques et le monde du supernaturel. Dans Docteur Sleep, à un moment, Danny s’occupe d’une femme en train de mourir... Je me demandais ce que vous pensez qu'il arrive quand on meure.
Stephen King : Ah... En fait, je suis plus intéressée par la réelle expérience de la mort que je ne l'ai été autrefois, car j'en suis plus près aujourd’hui. Ça me semble un sujet moins académique que ça ne l’était il y a quelques années. stephen king -docteur sleep -albin michel Je passais du temps avec ma femme l'autre jour et je lui mentionnais qu’il y a une chanson de Paul Simon de l'album Bookends où il y a des paroles qui disent « Comme cela doit être terriblement étrange d’avoir 70 ans», et Paul Simon a maintenant 72 ans - donc mange ça, Paul ! A quel point tu te sens étrange maintenant ? Et, bien sûr les Beatles, la chanson « When I’m Sixty-Four », qui probablement leur parait maintenant plus comme un idéal académique. Paul McCartney, que ma femme appelle « yeux de vieux chien », il est plus vieux que Dieu maintenant ! (rires) Donc, vous voyez, ça arrive... Donc je suis plus intéressé par le sujet de la mort, mais aussi par l’universalité de la chose. C'est la seule chose par laquelle nous passons tous, chacun d'entre nous, il n'y a pas d'exception. La seule autre chose par laquelle nous passons tous, je crois que c'est la naissance. Et après ça, il y a tout à prendre. Mais on a tous vu la naissance, on l’a tous expérimenté et on vit grâce à ça. Personne n'est jamais revenu pour parler de l’expérience de la mort, donc c'est un mystère, et les mystères m'ont toujours intéressé, donc j’ai écrit là-dessus. Je suppose que c’était afin de le comprendre, à un certain degré, oui.


Czech Daily (République Tchèque) : Que pensez-vous qu'il se serait passé si votre femme n'avait pas sauvé le manuscrit de Carrie de la poubelle ?
Stephen King : Je ne sais pas, je ne sais franchement pas ce qu'il se serait passé. C’était vraiment un événement complètement fortuit. A ce moment, où elle a récupéré ce manuscrit de cette poubelle et essuyé les cendres de cigarettes qui étaient dessus, nous vivions dans un appartement de 2 pièces. Nous n'avions pas de téléphone. Le livre a été terminé et il a été envoyé à Doubleday, et l’avance sur le livre était très, très petite. Et à peu près 6 mois après qu’il ait été accepté, et 2 ou 3 mois avant qu’il ne soit publié, mon éditeur chez Doubleday a appelé et a dit « On a vendu les droits pour ton livre ». J'ai dit « C'est génial, combien tu en as obtenu ? », et il a répondu « On a eu 400 000 dollars »... Et j'ai dit « 4 000 dollars, c’est ça ? » parce que cela avait au moins du sens pour moi. Il a répondu « Non : 400 000 dollars ! » et mes jambes se sont vidées de leurs forces. Je me suis assis sur le seuil entre le salon et la salle à manger de la maison où il m’avait appelé. J'étais tout simplement sonné. C’était comme gagner à la loterie, sauf que quand vous gagnez à la loterie, vous ne faites rien d'autre que d’acheter un ticket, alors que j’avais au moins écrit un livre, donc j’avais fait le travail. C'était dimanche, et j'étais dans ma petite ville. Je me suis dit « Je dois acheter un cadeau à ma femme parce qu’elle a sauvé ce livre. Je dois lui acheter un cadeau ! Mon Dieu, on vient de toucher 400 000 dollars! ». Vous savez, à ce moment-là, je touchais 6 400 dollars par an pour entretenir une famille de 4. Et je pensais « Je dois vraiment lui offrir quelque chose, mais rien n'est ouvert ». Mais le drugstore Rexall était ouvert, donc je lui ai ramené un sèche-cheveux (rires). C’est la seule chose à laquelle je pouvais penser. Mais la chose dont je me rappelle le plus clairement, c'est qu'elle était partie rendre visite à sa mère ce jour-là et qu'elle est revenue dans la vieille épave qui nous servait de voiture. Et j'ai dit « Ils ont vendu les droits du livre pour 400 000 dollars, nous sommes relativement riches ». Il y avait cette sorte d'expression de complète incrédulité sur son visage, et ses yeux se sont remplis de larmes et elle prit son visage dans ses mains et a pleuré. Et j'ai pensé « Dieu ! J'ai fait le plein d'argent et j'ai fait pleurer ma femme, qu'est-ce qui pourrait être mieux que ça ? » (rires).


Jim Bittermann : Je me rappelle que vous avez dit que si vous n’écriviez ou ne lisiez pas 4 à 6 heures par jour, vous ne pouviez pas vous appeler vous-même un écrivain. Ne pensez-vous pas que le plus remarquable dans votre carrière, c’est à quel point vous êtes prolifique ? Vous devez travailler sur plus d’une chose à la fois... Cela ne créé-t-il pas de confusion quand vous avez plusieurs histoires qui viennent en même temps à l’esprit ?
Stephen King : Non, pas vraiment. J’ai la tête assez claire dans ce que je fais. Habituellement, je ne travaille que sur une chose à la fois. Quand je dois travailler sur deux trucs en même temps, ça me rends dingue, je déteste ça. Parfois, c'est nécessaire, mais je n'aime pas ça. Vraiment, je veux dire, les gars : vous êtes des écrivains, vous êtes des communicants d’une façon ou d’une autre, et vous savez, vous pouvez vous appelez comme vous avez envie, n'est-ce pas ? Tout le monde le fait ! (Il regarde Jim Bittermann de CNN) Appelez-vous un expert et vous passerez sur CNN (rires). Oh ! Zut ! J’en ai un juste là ! (rires) Donc, vous savez, vous pouvez tous faire ça, mais vous ne pourrez pas le faire vraiment correctement, à moins de passer un certain temps à bosser sur vos trucs. C’est simplement ça. C’est comme pour tout le reste.

stephen king - tour sombre groupe
Illustration issue de la version comics de La Tour Sombre


Journal Politiken (Danemark) : A propos du livre sur JFK. Quelle est la différence entre écrire un livre de fiction historique et un livre de fiction pure ?
Journal Han-Kyo-Reh (Corée du Sud) : Et quelle est la raison d'avoir choisi l'assassinat de JFK pour développer une histoire ? Pensez-vous que cela aurait été mieux pour l'Amérique et le monde s'il n'avait pas été tué ?
Stephen King : Je voulais écrire sur ça car je pense que c'est l'un de ces rares, rares moments où tout doit être changé ou rester tel quel. Et que c'est l'un de ces rares cas où quelqu'un prend une place sur la scène mondiale, et provoque un énorme changement, et qui n'est pas un politicien, un scientifique, qui n'est pas un prix Nobel ou un leader mondial ? C’était juste un petit crétin, n'est-ce pas ? Il travaillait comme simple concierge dans un entrepôt de livres. Il se trouvait qu’il était là ce jour-là, qu’il devait avoir un peu d'expérience en tant que tireur, qu’il devait être au bon endroit, que ce jour-là la pluie qui avait été prévue n’est pas arrivé et donc que Kennedy, au lieu d’être dans la voiture fermée était dans la voiture ouverte... Toutes ces choses se sont associées... Ce n'était pas la première fois que ça arrivait et ça ne sera pas la dernière. Les théories de la conspiration ignorent le fait que des fois, les gens ont simplement de la chance et le reste d’entre nous est cataclysmiquement malchanceux, et les choses changent. Donc, j’étais fasciné par ce point précis dans l'Histoire, et pas seulement l'Histoire américaine, l'Histoire mondiale, car à cette époque, notre engagement dans le Vietnam augmentait. A cette époque le mouvement pour les droits civiques a commencé à prendre de la vitesse et à gagner en force. Et Kennedy était l’homme de la situation. Après sa mort, des choses ont changé pour le pire. Lyndon Johnson est allé au Vietnam avec cette sorte d’attitude texane, vous voyez, genre « Mes couilles sont plus grosses que les tiennes », « On va leur botter le cul », ce genre de trucs... Et d'un autre côté, il a utilisé le meurtre du président pour faire avancer l'agenda des droits civiques à une vitesse que personne n'aurait cru possible, je crois, avant ce moment-là. Et donc, toutes ces choses me fascinent et la question de savoir ce qui serait arrivé si Kennedy avait vécu me fascine tout autant. Quant à écrire une fiction historique… Pff ! C’est trop de boulot ! (rires) Vous devez écrire la vérité à propos du background si tout le monde doit croire la fiction au premier plan. Ce n’est pas facile. J’avais un assistant pour faire des recherches. J’ai embauché quelqu’un que je connais depuis longtemps pour qu'il travaille sur des trucs et me donne basiquement des informations. Mais, après j’ai dû m’en éloigner pour les trucs important, et j’ai dû aller à Dallas, à la fenêtre du 6ème étage. Il y a des gens qui font ça livre après livre, et je ne comprends tout simplement pas pourquoi. Ces livres de Hilary Mantel, Wolf Hall et Bring up the bodies, des exploits incroyables... The Orphan Master's Son, un roman sur la Corée du Nord, fantastique. Plein d'imagination, mélangés avec des faits réels, vous voyez ce que je veux dire ? C'était intéressant et c'était un challenge et ça m'a donné une chance de construire de la fiction à propos de personnages réels comme Georges De Mohrenschildt, qui est une figure de l'ombre dans le background d’Oswald. Je ne veux pas devenir trop technique à ce propos, sinon je vais vous faire chier à mort, mais c'était tout un processus, je vous le dit, et c’était intéressant. J’adore ce livre.


24 TV (Russie) : En russe, nous avons une expression, « Чемодан без ручки », qui signifie « une valise sans poignée », c’est quelque chose de très lourd, qu’il est difficile d’emmener, mais que vous ne pouvez toujours pas jeter. Et je pense qu’il en va de même avec les mauvais souvenirs, les expériences traumatisantes, et toutes les choses de ce genre. Et quand on commence à lire 22/11/63, on sait tous déjà que Kennedy a été assassiné mais on espère quand même quelque chose de bien, car vous êtes si pour écrire des happy-end, n'est-ce pas ?
Stephen King : Et bien, peut-être n’avez-vous pas lu Simetierre, c’est quand la femme sort de sa tombe (rires). J’ai fait des happy-ends, car je pense que dans la vie il y a plus de fins heureuses que des tristes, mais c’est juste moi.


Pensez-vous que ce roman a une fin optimiste et pensez-vous qu'il est toujours possible de réparer la valise ?
Stephen King : J’adore ce proverbe, c’est génial. Une valise sans poignée... Je vais leur voler ! (rires) Aucun d’entre vous ne m’a jamais entendu dire ça. Non, je vous créditerais absolument. Nous ne savons pas ce qui va serait arrivé si Kennedy avait vécu. Evidemment, dans 22/11/63, je voulais qu'il vive assez longtemps pour que je puisse jeter un œil dans le futur et voir ce qu’il se serait passé. Mais il me semblait que le happy-end était de dire « S'il avait vécu, les choses auraient automatiquement été sacrément pires ». Et en écrivant ce genre d'histoires, vous dites quelque chose, thématiquement. Et ce truc thématique, qui sonne toujours pire quand il est mal exposé, c’est que les choses arrivent pour une raison. On ne croit pas obligatoirement à cela, mais c'est certainement plus confortable de croire que les choses arrivent pour une raison, comme l'assassinat de Kennedy. Je continue d'y repenser comme à une incroyable succession d’évènements qui ont conduit à ce tir. Je ne suis pas étonné qu’il y ait une théorie de la conspiration à ce sujet, mais on ne saura jamais, donc ça restera toujours une valise sans poignée. Je vous donne une poignée dans 22/11/63. Vous pouvez transporter un peu la valise, peut-être l'ouvrir et voir ce qu'il y a dedans, mais bien sûr quand vous refermez le livre, la valise perd sa poignée à nouveau. Dieu, j'adore cette métaphore ! (rires)

stephen king - 22-11-63 - couverture avant arriere
Couverture du roman 22/11/63


Planète BD / Magazine 30 ans et demi : Dans 22/11/63, le personnage principal retourne dans le passé. Si vous pouviez en faire autant mais que vous ne pouviez que changer quelque chose que dans votre travail ou votre carrière, que changeriez-vous, et pourquoi ?
Stephen King : Définitivement, j'essayerais beaucoup plus fort de faire de Maximum Overdrive un meilleur film ! (rires) Mais je suis tenté de dire que je n’aurais pas voulu travailler du tout avec Dino De Laurentiis. Mais je ne pense pas que ça serait le cas car c’est un genre d’individu fabuleux à sa façon. Je me rappelle être allé chez lui. C'était simplement un mec super. A cette époque, il y avait une minisérie appelée Les oiseaux se cachent pour mourir à la TV, et sa fille Raffaella entrait, elle était grande et superbe, et on avait toujours l’impression qu’elle revenait après avoir monté des chevaux, elle avait ses jeans et ses grandes bottes, et tout le bazar, et elle s’échouait dans le canapé à côté de son père et foutait ses bottes sur la table basse, jetait un œil à la TV et gueulait « Quand est-ce qu’ils en viennent à baiser ?! » (rires) Et Dino la dégageait... Il avait un studio en Caroline du Nord qui par coïncidence se trouve là où est maintenant tourné la série Under the dome. Le premier long métrage de ce studio était Cat’s eyes avec Drew Barrymore qui était alors une toute petite fille, et il ne voulait pas commencer à tourner tant qu’un prêtre n’était pas venu bénir le studio. C’était bien la peine ! (rires) Mais si je pouvais retourner dans le passé et changer un seul livre ou film... Ah, pff... Seigneur... Vous savez quand vous repensez aux livres que vous avez écrits, il y a une sorte d'embarras, vous vous dites « Je ne peux pas vraiment croire que j'ai écrit ça », donc d'une certaine façon, c'est mieux de ne pas retourner en arrière du tout, parce que vous essayeriez de tout refaire. Vous voyez ce que je veux dire ? Très bien, je n’ai pas répondu à celle-là, donc essayons-en une autre. (rires)


Christian Malard : Seriez-vous inspiré par la période du shutdown des USA pour refaire l’histoire ? Il s’est avéré que les 27 jours de shutdown en 1997 ont été la période durant laquelle Bill Clinton a rencontré Monica Lewinski. Mais s'il n'y avait pas eu le shutdown, pensez-vous qu’il y aurait eu une autre histoire ?
Stephen King : Bien sûr ! Il y a toujours une autre histoire. Mais je ne vois pas l’incident de Monica Lewinsky comme un de ces tournants de l’Histoire, car en fait Clinton a survécu à cela. Vous savez, toute la politique américaine à ce niveau-là, c’est à peu près comme une de mes histoires. C’est vraiment surréaliste de vivre en Amérique maintenant, politiquement parlant, car les deux partis ne parlent pas. C’est comme si un tiers du pays, ce qu’on appelle les « états rouges » (les républicains, NDR) s’étaient scindés du reste. Ils ont fait une grosse colère à propos de la réélection d’Obama, une sorte de mouvement de colère. Et donc, c'est une chose très étrange. Mais mon roman politique était The dead zone, qui, encore une fois, parlait d’assassinat, ce qui est une spécialité américaine.


AFP : Etiez-vous nerveux à l’idée d’écrire une suite et était-ce source de difficultés ?
Stephen King : Oui, j'étais nerveux. Je veux dire, je suis habitué à ça, toute l'idée du challenge. Mais beaucoup de gens pensent que Shining est un des romans les plus effrayants qu’ils aient lu dans leur vie. Et le truc, c'est que la plupart d'entre eux qui viennent me voir me disent « Vous savez, ce Shining, ça m'a vraiment fait peur ! », et je dis « Et bien oui, vous aviez 14 ans, vous étiez en camp d'été, et vous lisiez avec une lampe de poche sous votre couverture. Bien sûr que je vous ai effrayé ! Vous étiez facile, vous étiez vierge ! Vous n'aviez pas vu Vendredi 13 ou La dernière maison sur la gauche ni aucun de ces trucs. Donc vous étiez faciles à effrayer ». stephen king - shining Maintenant ils ont grandi et vous savez que, qu'importe ce que vous écrivez, il y aura toujours un groupe de gens qui diront (il prend une voix blasée, NDR) « Et bien, j’ai pas vraiment eu peur… » (rires), vous voyez ? Donc, je ne dirais pas de la nervosité, mais c'était ce challenge, vous convertissez cette nervosité en challenge. L'autre truc que j'ai vu comme un problème en termes d'écriture du livre était que dans mon roman, l'hôtel Overlook a disparu, il a brulé. Bien sûr, vous avez tous vu le film de Stanley Kubrick, et dans ce film l'hôtel est en quelque sorte gelé dans une grosse tempête de neige mais c'est la différence entre la vision de monsieur Kubrick et la mienne. La sienne est froide, la mienne est brûlante (rires). Donc l'hôtel dans ce que je pense être la vraie histoire de la famille Torrance, c’est-à-dire dans le roman Shining, n'existe plus. Mais je voulais toujours faire revenir Danny dans le Colorado, à cet endroit, car en termes de création de roman, il y a un sentiment d'équilibre. Vous voulez créer un cercle, quelque chose qui a de la rondeur et de la plénitude. Il y a une sorte de satisfaction dans tout ça. Je ne peux pas l’expliquer, c’est juste là. C’est comme une chanson, quand le refrain revient. Donc, je voulais le ramener la bas, mais en même temps je ne voulais pas le forcer. Vous ne voulez pas forcer vos personnages à faire quoi que ce soit, si vous pouvez l’éviter, vous voyez ce que je veux dire ? Pour moi, c'est intéressant d'essayer de faire ça, ça fait partie du challenge et ça fait partie du fun. J'aime ce que je fais, donc...


Journal Vima (Grèce) : Pensez-vous que le jeune public, qui de nos jours a accès à toutes les sources de films et de jeux vidéo d’horreur, et tout ça, peut encore apporter de l'attention à un film ou un livre de science-fiction et d’horreur comme il le faisait avant, ou bien ce public est-il mort progressivement avec les jeux vidéo et ces autres sortes de trucs ?
Stephen King : Non, je pense qu'il y a toujours un appétit pour ce genre de, disons, peur sécurisée, vous voyez. Comme un tour d’attraction E à Disney World (classification qui n’existe pas en France, NDR) où tout a l'air vraiment, vraiment effrayant, mais ne l'est vraiment pas. Ca garde de la distance. Le plus gros marché pour le fantastique et l’horreur est probablement la tranche d’âge entre peut-être 15 et 30/32 ans, quelque chose comme ça. Car, quand vous avez cet âge-là, vous vous sentez à l’épreuve des balles et donc c’est amusant de voir quelqu’un terrorisé par un démon dans une maison, si c'est bien fait. Ça n'a pas d'importance si vous avez 15 ans ou 50, si c'est de la merde, si ça ne fonctionne pas, vous le savez, et c'est tout. Et le truc n’a pas vraiment de succès. Mais je pense que vous avez moins tendance à, disons, aller au cinéma voir des choses terrifiantes quand vous avez 50 ou 60 ans, parce que vous avez fait face aux vraies horreurs de la vie depuis, comme un cancer ou la perte de ceux que vous aimez. Je veux dire que la vraie clé pour effrayer les gens - personne n’est vraiment endurci à la peur - la clé pour ça est de créer des personnages pour lesquels les gens s'inquiètent. Si vous vous inquiétez de leur sort, et qu’on les met en danger, vous aurez peur pour eux car c'est une des grandes choses dans la nature humaine, nous avons cette empathie, nous avons cette faculté de nous mettre à la place de quelqu'un d'autre, de ressentir pour les autres. Je regarde une série TV, et mon éditeur français Albin Michel qui est ici, ils viennent juste de me passer ce lot de DVD. C’est une série française qui s’appelle « Les revenants ». Je dois probablement massacrer la prononciation, ça fait longtemps depuis mon français au lycée. Ça s'appelle « The returned » en anglais. C'est une super série. L'un d'entre vous l'a-t-il vu ? Levez vos mains, si vous l’avez vu… Pas assez, vous devez la regarder, les mecs ! (rires) Il y a un bus d'écolier qui tombe d'une montagne, et tous les enfants qui étaient en voyage scolaire meurent. Ce n’est pas gore avec du sang qui gicle, on voit juste le camion partir sur le côté et vous entendez des effets sonores et c’est tout. Et puis 4 ans après, ils commencent à revenir… (Il remue les mains) « Ouhouuuuuuuuuu »... (rires). Et c'est génial, car vous voyez les gens qui sont laissés derrière et on voit le processus de deuil, c’est vraiment humain. Et si on est au moins un peu humain, alors ça fonctionne.

stephen king - conference presse paris ouhou
Stephen King fait « ouhou » lors de la conference de presse à Paris


TV5 (Espagne) : Dans Docteur Sleep, avec son pouvoir à moitié contrôlé maintenant, de quoi Danny Torrance a-t-il peur désormais ? Et vous, en tant qu'écrivain de romans effrayants, de quoi avez-vous peur ? Quelle part d’autobiographie y a-t-il dans le personnage de Danny Torrance ?
Stephen King : Pas beaucoup. Jack Torrance était un peu plus autobiographique. Je pense qu'à un certain degré, tous les personnages que l'écrivain invente sont lui-même. Vous les déguisez de manière différente. De quoi j’ai peur maintenant ? Je dirai, à mon âge, j'ai peur de la maladie d’Alzheimer, de la démence, du déclin des facultés intellectuelles, ça me fait une peur bleue.


(Suisse) : A propos de 22/11/63, pouvez-vous nous dire ce que vous faisiez au moment de l'assassinat si vous vous en rappelez et comment vous avez réagi ?
Stephen King : Oui, on se rappelle tous où on était à ce moment-là, et je suis sûr que les personnes à cette table diront la même chose. Je rentrais de l'école. Je vivais dans une toute petite ville et il pas de service de bus. Un groupe de parents s’étaient arrangés entre eux pour louer un taxi qui nous emmenait dans les deux sens. C’était en fait un corbillard rénové. On était 6 ou 8 dans cette voiture, et le chauffeur était un vieux grognon de mauvaise humeur qui s’appelait Mike Yanko. Il ne disait jamais rien, ne mettait jamais la radio, et ce qu’on voulait, quand on rentrait de l’école, c’était écouter du rock’n’roll. On devait attendre d’être à la maison car il ne voulait pas allumer la radio. Et ce jour-là, sa radio était branchée. Et on a entendu la nouvelle qu’on avait tiré sur le président, et que c'était dans la tête. Monsieur Yanko, le conducteur de taxi, a dit « si on lui a tiré dans dans la tête, alors il est mort ». Et en effet, quelque minute après, on a rapporté qu'il était mort. En rentrant à la maison, ma mère était en larmes, c'était une Républicaine de longue date, mais tout ce qu'elle disait c'était « oh, sa pauvre femme, et ses pauvres enfants orphelins ». Donc, oui, je m'en rappelle très clairement. (Il se tourne vers Jim Bittermann) Où étiez-vous, Jim ?

Jim Bittermann : J'étais dans une salle du lycée, je m’en rappelle très visuellement, quand ils ont diffusé la nouvelle dans le système des haut-parleurs. Comme tous les américains, je me rappelle clairement où j'étais à ce moment-là. (Stephen King, se tourne vers Christian Malard)

Christian Malard : J’étais en train m’endormir, ma sœur avait 14 ans et regardait la TV, en noir et blanc à cette époque, et c’est passé à la télévision, et ça m’a vraiment fait un choc.


stephen king - american vampire sketch
Sketches de la série American Vampire

BFM TV : Avant la conférence, le staff a dit que la dernière fois qu'ils avaient organisé une conférence comme celle-là, c'était pour la venue de Colin Powell en France pendant la guerre en Irak. Cela ne vous fait-il pas peur ?
Stephen King : Je ne comprends pas l’intérêt. Je veux dire, je ne suis que... (il prend une voix de grabataire) « Je ne suis qu’un vieil écrivain lessivé » (rires). Mais c’est bien que tout le monde soit venu, je me sens comme Justin Bieber (rires). Non, ce n'est pas effrayant, c'est merveilleux, et je suis vraiment ravi que vous soyez tous venus. Peut-être va-t-on s’arrêter là-dessus ? Une dernière.


(France) : Une question basique : vous êtes à Paris, où allez-vous faire le touriste ?
Stephen King : J'ai des choses de prévues, mais si je vous les dis, je devrais vous tuer (rires). Je pense que je dois aller au Louvre et je pense que je dois mettre du rouge à lèvres et aller embrasser la pierre tombale d'Oscar Wilde, et je dois faire un pèlerinage pour voir la tombe de Jim Morrisson. Je veux dire, je suis ce que je suis, bien sûr que je vais aller dans un cimetière, OK !? Et aux catacombes ! (rires) Merci à tous.

stephen king - conference presse paris





Merci à Albin Michel et à l’European American Press Club, et à Nicolas Demay pour les questions, la traduction et la retranscription


Toutes les photos de l'article sont ©Nicolas Demay