interview Comics

Tim Sale

Bonjour Tim Sale, peux-tu te présenter et nous comment tu as débuté dans les comics ?
Tim Sale : Je m'appelle Tim Sale, je viens de Seattle, aux Etats-Unis - ça se trouve tout à fait au nord-ouest du pays, près du Canada -. Je lisais des comics de droite et de gauche, quand j'étais plus jeune mais j'ai vraiment acquis ma passion pour les comics quand j'avais treize ans alors que je lisais un comic-book à l'école, pendant un cours de dessin. Le professeur m'a alors dit "Pose ça et dessine-moi un comics". Je ne me souviens pas si je l'ai fait ou pas mais en tous cas, c'est là que j'ai commencé à dessiner. Je dessinais déjà avant ça mais là, j'essayais vraiment de recopier et d'apprendre à dessiner à partir de comic-books. J'ai suivi des cours de dessin à la fac, il s'agissait surtout de dessiner des modèles vivants et ça m'a été très utile - afin de m'améliorer en tant que dessinateur, pas pour les comics même - et, à l'âge de vingts ans, je suis allé à New-York où je me suis inscrit à un atelier auprès de Jon Buscema. J'y suis resté pendant trois mois, à peu près, puis je suis rentré chez moi en me disant que je n'avais pas la moindre idée quant à comment dessiner un comics. J'avais alors vingt-et-un ans, quand je suis rentré de New York, et je n'ai pas eu de travail à titre professionnel avant d'avoir trente ans. Entre les deux, je réalisais des illustrations dans le style fantasy, illustrations que j'essayais de vendre ensuite. Et quand je suis revenu dans l'univers des comics, il s'est avéré que toutes les choses que je ne pensais pas pouvoir apprendre auparavant me venaient alors de manière instinctive. Peut-être est-ce venu avec l'âge, je ne sais pas. Pendant quelque temps, j'ai travaillé sur des titres indépendants, publiés en noir et blanc, et, quand ça a commencé à battre de l'aile, on m'a conseillé de me rendre au Comic-Con de San Diego. A l'époque, c'était dédié au comics [NDT: boum !]. Là-bas, j'ai rencontré Matt Wagner, Diane Schutz, Bob Shreck et quelques autres éditeurs de chez DC Comics et j'ai fini par travailler avec eux. C'est vraiment cette visite à San Diego qui m'a mis le pied à l'étrier. Mais il s'est encore écoulé cinq ans avant que je ne travaille sur un titre mainstream. Après le Comic-Con, on m'a présenté Jeph. Et si mon premier job sur Batman était avec James Robinson - sur une mini-série en trois épisodes intitulée Blades et publiée au sein de Legends of the Dark Knight - , cela était dû à ma rencontre avec Jeph, à San Diego. On avait sympathisé et, un jour, au téléphone, il me dit combien il était heureux car il venait tout juste de vendre un script à Archie Goodwin, de DC Comics, pour Legends of the Dark Knight. Je lui ai demandé "As-tu un illustrateur ?" et lui "Euh, non, pourquoi ?" "Pourquoi pas moi ?". Et quand, plus tard j'ai annoncé à Jeph que j'avais décroché le job, il est devenu très jaloux et a demandé à DC si lui et moi pouvions faire une histoire de Batman. Ils n'avaient jusqu'alors jamais fait revenir qui que soit ayant déjà écrit dans Legends of the Dark Knight, mais Archie a dit "Ok" et ça a donné le premier numéro d'Un Long Halloween. Et ça a été le début d'une longue et fructueuse carrière, une chose en amenant une autre. Aujourd'hui encore, Halloween a été un moment clé de ma carrière. Tout ce que j'ai fait après, même si je me suis amélioré depuis, ça n'a pas d'importance. Je suis vraiment reconnaissant d'avoir pu faire Un Long Halloween. Voilà le principal.

Quelles sont tes influences ?
Tim Sale : Eh bien au début, je n'avais pas conscience de leur influence sur moi mais j'étais fan de certains dessinateurs. Plus jeune, j'étais très fan de Marvel. C'était à la fin des années soixante, début des années soixante-dix et c'était une époque particulièrement formidable pour Marvel. John Buscema était à son summum: Silver Surfer, Avengers... Jim Steranko, John Romita, des gens comme eux... Et en même temps, il y avait les comics de chez Warren comme Creepy, Eerie et Vampirella, avec leurs illustrations en noir et blanc. Et quelques-unes des plus belles illustrations dans ces comics étaient l'oeuvre de gens comme Alex Toth, Gene Colan et aussi Steve Ditko dont le travail y était fantastique... Ca aussi, ça a eu une grosse influence sur moi. En particulier parce que ça se base énormément sur un travail de contraste, beaucoup de noir et de blanc et de la composition avec le noir, pas seulement une petite ombre placée sous la lèvre ou un truc du genre. ça a eu une grosse influence sur mon travail, ou peut-être que ça a imprégné mon cerveau mais en tous cas je dessine comme aucune de ces personnes. Peut-être, à la limite, comme Toth. Avec le temps, j'ai découvert quelques bandes dessinées, principalement grâce à Métal Hurlant, ainsi que des illustrateurs espagnols tels que Guarnido, mais ça c'était plus tard. Il y a eu un artiste espagnol dont j'ai tout de suite adoré le travail : Ruben Pellejero. Il illustrait une série intitulée Dieter Lumpen et cette série me parlait. Par la suite, ce n'était plus tellement les comics, qui m'influençaient. Je m'efforce souvent d'observer ce qui se fait en dehors des comics. Comme par exemple les illustrations tirées de magazines américains, depuis les années trente jusqu'à quelque chose comme les années soixante-dix. C'était alors très axé sur le design et je m'intéresse autant au design qu'aux illustrations.

Peux-tu nous parler de ta collaboration si spéciale avec Jeph Loeb ?
Tim Sale : Bien sûr. On ne se connaissait avant de travailler dans l'industrie des comics. On a un peu près le même âge et on a donc grandi avec les mêmes références, que ce soit au cinéma, à la télé ou dans les comics. On a les mêmes aversions, aussi, à ce niveau-là. Nous sommes deux personnes très différentes mais notre manière d'appréhender nos créations sont très similaires. Il nous a fallu des années pour trouver la meilleure manière de travailler l'un avec l'autre. Il n'avais jamais écrit de comic-book auparavant. Il avait écrit des scripts pour le cinéma et il avait produit des choses mais c'est tout à fait différent que d'écrire pour un comics: il n'y a pas de mouvement devant nos yeux, pas de sons, de choses comme ça. Mais il a appris le rythme de la chose, comment temporiser et décomposer un scène, mettre en place des cliffhangers, ce genre de choses. On y est arrivés mais ça nous a pris un long moment Une des choses qui nous a vraiment le plus rapprochés c'est qu'à l'époque, vers la fin des années quatre-vingt, il n'y avait pas d'emails et on passait alors beaucoup de temps à converser au téléphone. Il vivait à Los Angeles et moi à Seattle et il nous arrivait des fois de parler pendant quatre heures. Il me décrivait l'intégralité d'un numéro. Il prenait une carte de crédit et il traçait des rectangles sur une feuille de papier qui correspondait alors à une page particulière et il gribouillait là-dessus et moi-même, de mon côté, je prenais des notes. On échangeait pas mal de conneries, "tu veux dire comme-ci?" "non, comme-ça", etc. Et, de cette manière, on a appris à bien connaître nos goûts respectifs. Et à la fin, une vraie complicité s'est installée. Je ne sais pas trop comment, mais on a fini par bien s'entendre.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur, qui choisirais-tu et pourquoi faire ?
Tim Sale : Tant de gens parmi ceux que j'admire, ont eu des vies horribles. En ce qui concerne l'art, uniquement, je dirais Toth. Mais je ne voudrais pas être Alex Toth, c'était un type minable. C'était un très bon designer et il était très prolifique. Il pouvait pratiquement tout dessiner. Pas les super-héros, cela dit, il ne les dessinait pas très bien. Mais il avait une grande imagination et il pouvait donner vie à un grand nombre de choses. Il aurait fallu me demander un top conq de mes artistes préférés ! J'aurais alors dit : Rembrandt, Guarnido, Steranko et il y aurait aussi eu Saul Bass, qui était un designer. Et Toh, et voilà.

Remerciements à Aurélie Lebrun et Emmanuelle Verniquet pour l'organisation de cette rencontre, et à Alain Delaplace pour la traduction.


Tim Sale The long halloween


PAR

21 novembre 2014
©Urban Comics édition 2014

Tim Sale fait partie des artistes de comics reconnus pour leurs qualités graphiques. Collaborateur privilégié du scénariste Jeph Loeb, le duo est responsable de nombreuses sagas phares sur Batman comme The Long Halloween ou Amère victoire. Nous étions sans véritables nouvelles de Tim depuis qu'il avait revisité, toujours avec Jeph Loeb, les origines du héros Marvel. Même s'il du genre discret sur son actualité, nous avons pu échanger quelques mots avec lui et avons eu le plaisir de découvrir un dessinateur sympathique et plus bavard qu'il n'y paraît. La preuve ? Il n'a pu répondre qu'à seulement 4 de nos questions dans le temps imparti !

Réalisée en lien avec les albums Batman - Un long Halloween, Batman - Des ombres dans la nuit, Batman - Amère victoire
Lieu de l'interview : Paris Comics Expo