interview Comics

Victor Santos

©Glénat édition 2016

Si en France, nous avons découvert Victor Santos sur la bande dessinée Young Ronins, c'est bel et bien pour ses participations à des comics qu'il s'est attiré les faveurs et les louanges des lecteurs. Après Furious et Black Market sortis en 2015 au sien de la nouvelle collection comics des éditions Glénat, l'artiste espagnol nous est revenu au début de l'année 2016 en tant qu'auteur complet sur Polar, un récit de genre passionnant et parfaitement exécuté qui reçut les éloges de Brian Azzarello. Le moment fut donc propice pour contacter Victor Santos et le convier à répondre à quelques unes de nos questions...

Réalisée en lien avec les albums Polar T1, Black Market, Furious, Sale fric
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
11 février 2016

La traduction de cette interview a été réalisée par Jean-Philippe Diservi.

Pour commencer, peux-tu te présenter Victor et nous parler de ton parcours dans la bande dessinée ?
Victor Santos : Je m'appelle Victor Santos , je suis né à Valence, en Espagne, en 1977 et d'autant que je me rappelle, j'ai toujours écrit et dessiné des histoires. J'ai commencé en auto-éditant des fanzines, par le moyen d'un label indépendant que des amis et moi avions créé à la fac des Beaux-Arts. Il s'appelait 7 monos (7 singes). Après, j'ai commencé à publier dans des labels indépendants des œuvres d'heroic-fantasy comme Los Reyes Elfos (Les rois elfes), ou du polar noir comme Pulp Heroes, toujours comme auteur complet. Depuis 9 ans, je travaille pour des productions américaines en ayant collaboré avec des scénaristes de tout type, jusqu'à il y a peu de temps où j'ai pu commencer à publier en tant qu'auteur complet à nouveau.

Sale Fric Victor Santos Quelles sont tes influences principales ?
Victor Santos : Je suis comme une éponge, j'absorbe tout ce qui me plaît. J'ai grandi avec les bandes dessinées américaines, espagnoles et françaises mais j'ai vécu le boom des mangas et des dessins animés quand j'étais adolescent. Les influences sont donc un amalgame qui inclut des dessinateurs et des scénaristes comme Jack Kirby, Frank Miller, Kazuo Koike et Goseki Kojima, Jose Muñoz, Brice Timm, Uderzo, Matt Wagner, Alors Toriyama... Des cinéastes comme Sergio Peine, Akira Kurosawa, John Wii, John Carpenter, Jean-Pierre Melville, Martin Scorcese... Et des écrivains comme Jim Thompson, Cormac McCarthy, Dashiell Hamlet, Michael Moorcock, Boris Vian, James Ellroy ou Chuck Palanhiuk.

Lisais-tu des comics plus jeune ?
Victor Santos : Mon oncle,quand il était plus jeune, était fan de comics. Je m'enfermais dans sa chambre et y lisait tout ce qu'il y avait. Mes premiers comics étaient des numéros de Batman, Conan et Kamandi et les premières BD furent Astérix, Tintin et Valerian. Je n'étais alors pas un grand fan des super-héros mais j'adorais les séries animées comme Transformers ou Les maîtres de l'Univers. Même si la qualité laissait à désirer, l'idée qu'on puisse raconter des histoires avec des médias différents me fascinait.

La première fois que l'on a vu ton nom en France, c'est sur la série young Ronins, une bande dessinée franco-belge. Quel regard portes-tu sur ce titre ?
Victor Santos : J'ai eu beaucoup de chance, parce que l'éditeur était très friand de bandes dessinées issues de différents pays. Il voulait une création qui mixe comics américain, bande dessinée et animé. Avec le recul, ma première impulsion, naturellement, serait de changer le dessin, mais je crois aussi qu'il y a de bonnes idées. Je serai ravie de recommencer à travailler pour une publication à destination de la jeunesse.

Young Ronins Victor Santos Comment es-tu passé du marché franco-belge à celui des comics ?
Victor Santos : Ma première publication était une nouvelle graphique en noir et blanc pour Image, nommée Zombee, écrite par Max Gunter. Je l'ai connu par internet grâce au dessinateur Kelsey Shannon, qui m'a aussi présenté à Mike Oeming, qui plus tard, a été été une personne très importante dans ma carrière et mon apprentissage en tant qu'auteur. Puis c'est dans un salon espagnol que j'ai rencontré Brian Azzarello. Mon travail lui a plu, nous avons beaucoup parlé du polar noir et peu de temps après il m'a recommandé chez Vertigo Crime.

En France, c'est sur Sale Fric que nous t'avons ensuite retrouvé. Il s'agit d'un polar écrit par un maître en la matière : Brian Azzarello. Comment s'est passé ta collaboration avec lui ?
Victor Santos : Cela était très facile. Brian écrit des scénarios très clair avec des dialogues bien définis. Il me donnait toute liberté pour la partie action. Chacun dirige la partie qu'il maîtrisait le mieux. J'ai beaucoup appris de lui et il est une de mes influences en tant qu'écrivain.

Ensuite, tu as succédé à Michael Avon Oeming sur Mice Templar. As-tu du adapté ton dessin au design établi par ton prédécesseur ?
Victor Santos : Oui, un peu, mais par chance tous les deux avons des influences communes, comme Mike Mignola ou Bruce Timm. En fait il s'agissait plutôt d'ajuster certains détails. Puis j'ai pu adapté cette création à mon propre style, jusqu'au jour où Mike a dessiné des personnages de la série dont j'avais moi-même créé le design ! Ça a été génial parce que je suis vraiment fan de Mike ! Mice Templar, ça a été de nombreuses années de travail avec Mike et Brian. J'en ai fait 39 épisodes ce qui a rendu ma relation très proche avec la série. À la fin, ils m'ont laissé la possibilité de devenir copropriétaire des droits de la série, à part égale. Pour moi c'est une très belle histoire.

Le dernier des templiers Victor Santos En France, nous t'avons ensuite retrouvé au lancement de la collection Glénat Comics avec Furious. Comment es né ce projet ?
Victor Santos : C'est encore les gars de Mice Templar ! Mike était en train d'écrire et dessiner The Victories pour Dark Horse. L'éditeur, Jim Gibbons, qui plus tard s'avérera être celui de Polar, nous a motivé pour qu'on présente un projet. Brian en avait un qu'il voulait réaliser depuis des années, mais le dessinateur pressenti décéda. C'est ainsi que j'ai intégré le projet en apportant aussi quelques idées. De plus, j'ai pu également faire la colorisation.

Tu n'as jamais vraiment dessiné d'histoires de super-héros très classiques puisqu'après Furious, il y a eu Black Market. Les visions proposées par Marvel et DC Comics ne te plaisent pas ?
Victor Santos : Oui ils me plaisent mais personne ne m'appelle ! (rires). Mon objectif professionnel est de toujours créer mes propres personnages mais le monde des super-héros me fascine. Je lis beaucoup plus d'histoires de super héros que je n'en lisais quand j'étais jeune ! J'ai fait un épisode pour le crossover AXIS, de Marvel, une histoire de 10 pages de Sandman, l'ennemi de Spider-Man, écrite par Frank Barbiere. J'en ai été ravi mais ils ne m'ont pas donné la possibilité, pour le moment, de travailler à nouveau avec eux. Certains éditeurs de DC m'ont fait savoir que mon style leur plaît, mais que les grands chefs veulent un style très concret de dessin. Mon point fort, c'est la narration, je crois que je raconte les histoires et les scènes d'action de façon originale. Certains hauts responsables visent un certain style de dessin. Peut-être que je m'en rapprocherais en ajoutant suffisamment de lignes sur chaque muscle...

Polar Victor Santos Nous venons de découvrir Polar. Ce titre est vraiment génial et nous a clairement emballé. Peux-tu revenir sur la genèse du titre ?
Victor Santos : Merci ! Polar est né à l'époque où je travaillais sur la franchise de Godzilla. Le personnage me plaisait, j'étais très bien rémunéré mais le rythme de travail était très soutenu et j'ai reçu des critiques très agressives de certains fans. J'étais épuisé et j'avais besoin de dessiner quelque chose qui me redonne le goût de dessiner pour le plaisir. Comme je l'ai dit, mon point fort c'est la narration, et j'ai eu envie de dessiner une histoire qui me mettait au défi : celui de travailler la mise en page et le rythme, plus que les graphisme en soi.

Est-ce que sa publication en amont sur internet a t-elle influencée d'une quelconque façon ta manière de travailler l'histoire et le dessin ?
Victor Santos : Quelques unes de ses caractéristiques sont effectivement dues au format de création pour Internet. Le format panoramique est adapté aux écrans, par exemple. Initialement, je l'avais pensé comme un récit muet, ce qui résolvait le problème de traduction. Cela permettait que tout le monde puisse le lire, qu'importe l'endroit d'où on est.

Sur cet album, les influences d'artistes comme Mike Mignola, Eduardo Risso ou Frank Miller sont visibles mais ce n'est pas tout puisque l'on retrouve aussi des allusions au (grand) cinéma français. Tu voulais nous faire plaisir, avoue !
Victor Santos : Oui, j'avoue (rires). Bon, d'une façon générale, j'aime beaucoup le cinéma mais en Espagne beaucoup des comédies françaises sont programmées et il se trouve qu'elles ne me plaisent pas du tout ! (rires). À l'université, j'ai aussi étudié un peu le cinéma français, la Nouvelle Vague par exemple. Si je suis peu sensible à Godard, j'ai en revanche adoré Truffaut. Ce que j'aime par-dessus tout c'est le cinéma noir français. Les films d'Olivier Marchal (je suisPolar Victor Santos en train de regarder Braquo) ou les nouvelles de Patrick Manchette ou Boris Vian/Berlin Sullivan. Les films de Jean-Pierre Melville m'enchantent également. Le Samouraï est un de mes préférés et j'ai pensé que dessiner quelque chose qui s'en approcherait me rendrait aussi le plaisir à créer. J'ai envie d'emmener un peu de ce style aux comics américains, aux références plus proches de Jim Thompson ou Raymond Chandler, au moins pour ce 1er tome de Polar, pour lequel l'hommage à Melville est plus évident.

Black Kaiser évoque pour beaucoup un célèbre personnage de Marvel : Nick Fury. Est-ce volontaire et si oui, que penses-tu de ce héros ?
Victor Santos : J'adore le Nick Fury de Steranko et je t'avoue lui avoir posé un bandeau sur l’œil opposé à celui de Nick Fury, pour qu'on puisse le distinguer de lui. Mais oui, bien sûr, ce personnage est une influence car j'adore Steranko (et les récits de Trevanian). Mais l'idée du bandeau vient du Spirit de Will Eisner. J'aime le Spirit pour la diversité de ses histoires : intrigues, romance, humour... Mais pour unir ces éléments, il utilise un personnage affublé d'un détail iconique : le masque. Il arrive que le Spirit soit un personnage secondaire, d'autres fois il est le personnage principal. Le Spirit est une excuse, un prétexte. Je voulais créer un personnage pulp qui pouvait être utilisé dans chaque type d'histoire. Et quoi de plus pulp qu'un borgne et son bandeau ?

Il est prévu une suite à Polar. As-tu déjà commencé à travailler dessus ?
Victor Santos : Je suis précisément en train de faire le lettrage et de finir des détails de la 3e partie. Bien que son titre vienne du cinéma français, chaque volume est un hommage à un genre ou un style, qui se réfère pour la grande majorité aux années 70. Le premier tome de Polar, « Venu du froid »,Polar Victor Santos était directement inspiré de Melville, John Boorman, Jim Jarmush ou Nicolas Winding Refn. Très français, dans une ambiance calme et posée. Le second, « Eye for an eye», était un "rape and revenge", très violent, un Death Wish, à la façon des films italiens "exploitation" ou d'un Tarantino. Le 3e se rapproche du cinéma de Hong Kong dans les années 90. Celui de John Woo ou de Johnnie To (qui a réalisé Vengeance, un bijou de film dans lequel joue Johnny Halliday). C'est une espèce de tournoi d'assassins qui se déroule dans un couvent quelque part en Europe. Ils sont à la recherche de la femme d'un mafieux, dont la tête est mise à prix 5 millions de dollars. C'est un peu comme tous ces westerns européens dans lesquels on recherche un trésor. Pour l'heure, je ne vais pas continuer Polar. J'ai des idées pour la suite des aventures de Black Kaiser mais je ne sais pas encore si elles seront réunies dans Polar. Un de ces quatre je ferai "La mort de Black Kaiser", avec un Kaiser à la retraite, de 90 piges et qui s'est rangé des affaires, avec sa petite vie tranquille. Une sorte de Dark knight returns croisé avec Gran Torino.

Peux-tu nous parler de tes prochains projets ?
Victor Santos : J'en ai beaucoup et je ne vois pas trop comment je vais pouvoir te parler de tous ! Tout de suite je suis en train de réaliser quelques numéros pour la série Bug Trouble in China. Je travaille donc sur cette franchise mais je suis aussi en train de préparer un projet dans un récit noir signé par Franck Barbiere, mon scénariste sur Black Market. J'ai aussi envie de refaire quelque chose en France et de retravailler avec des amis comme Oeming et Azzarello. Mon projet le plus original et pour l'entreprise Stella,Polar Victor Santos qui travaille à la création de comics qu'on peut lire sur iPhone. C'est un défi narratif car la lecture est verticale. Je ne peux pas t'en dire grand-chose en tout cas c'est un récit de science-fiction que j'écris dessine et colorier et qui va vous surprendre beaucoup. Je pense qu'on va beaucoup en parler.

Si tu avais le pouvoir métaphysique de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Victor Santos : Bien que des auteurs comme Will Eisner, Frank Miller ou Alan Moore m'enthousiasment, la tête la plus intéressante à visiter serait sûrement celle de Jack Kirby. Pas particulièrement pour les personnages qu'il a créés mais pour le fait qu'il a su, avant tout le monde, établir des concepts incroyablement modernes, comme Le 4e monde, une sorte d'event/crossover. Et puis son imagination était tellement riche que j'aimerais connaître sa façon d'organiser ses idées. J'aimerais pouvoir lui chiper sa façon de transmettre cette puissance brute et cette énergie. Ce serait certainement une expérience à échelle cosmique !

Muchas gracias Victor !


Victor Santos Polar