interview Bande dessinée

Xavier Bouyssou

©2024 édition 2023

Xavier Bouyssou est un enfant du fanzine et un « vilain canard » de la BD française. La preuve : il a produit un pavé toontastic que n'aurait pas renié Canetor lui-même. Mais que fait la Police ? On l'interroge à cet effet...

Réalisée en lien avec l'album Toonzie
Lieu de l'interview : Angoulême

interview menée
par
11 février 2023

Bonjour Cher maître.
Xavier Bouyssou : Bonjour Franck.

Si vous me le permettez, j’aimerais commencer par vous dire un petit poème.
« Depuis que j’ai lu votre livre, mon Toon a été révélé.
Je ne croyais en rien. Et maintenant je crois en Toon.
Je ne voyais rien et désormais je vois tout Toon.
L’art du Bouyssou m’était méconnu et aujourd’hui je le reconnais.
Ses Petits Mickeys m’habitent et grande et ma joie
de pouvoir lui avouer mon amour pour sa bonté,
son art Toon tastic.
Avant je ne savais rien et maintenant j’en sais encore moins
Enfin pas tout fait, car le Toon m’a tout dit :
Xavier Bouyssou est grand maître, en Toonotherapie.
Et moi je raffole de de ce genre de conneries.
Alors, Merci maître, et continuez
à nous Toon tooner, à nous é Tooner. »

Xavier Bouyssou : Ah ah, merci beaucoup. Vous avez une grande sensibilité et une grande créativité. Je pense qu’il y a vraiment des choses en vous que personne ne voit, et vous avez l’air d’avoir un intérieur très riche.

Toonzie

Xavier, tu permets que je t’appelle Xavier ? Pourquoi Tooner autour du pot désormais. Peux-tu nous dire d’où tu viens ?
Xavier Bouyssou : Je suis né à Agen dans le Sud-Est de la France. J’y ai vécu jusqu’à mes dix-huit ans. Ensuite, je suis parti aux Beaux Arts à Toulouse. Je voulais être dessinateur de BD depuis tout petit, mais à l’adolescence j’avais tout de même soif d’un idéal artistique fort, et les Beaux Arts, c’était genre : l’Art absolu. J’ai donc voulu aller vers ça. Pendant mon cursus, j’ai cependant lu des BD de Chris Ware, Riad Satouff et ça m’a révélé que la narration était la clef de tout, et que c’était là que je voulais aller. En lisant du Chris Ware, on ne peut en effet pas se dire que la Bande Dessinée n’est pas une forme artistique extra puissante. J’ai donc passé un peu les Beaux Arts à questionner les liens entre l’Art et la BD. A la fin de mon cursus, je suis passé à Bruxelles, un peu en pèlerinage sur les terres de Hergé, pour faire encore deux ans dans une école qui s’appelle Saint-Luc, afin de trouver ma voie là-bas. Et j’y suis toujours.

Je suppose que es un adepte de fanzines. Est-ce que l’on peut en parler et savoir comment tu y es lié ?
Xavier Bouyssou : Oui oui, bien sûr. Alors, mon attachement à cette scène part d’assez loin parce que, de base, quand j’étais enfant, j’étais très fan de Picsou. J’étais un Giga Picsou maniaque. Et ces personnages-là, c’était comme une bande d’amis imaginaires et je passais beaucoup de temps à dessiner des aventures de Picsou, mais où j’étais dedans. C’était génial. Il faut savoir qu’à l’époque, le rédacteur en chef était un gars qui s’appelait Pascal Pierret, qu’on appelait « Prof Pierret » qui gérait tout l’éditorial. Ce gars venait de la culture fanzine, et était passé à Métal Hurlant et c’est lui qui a amené Mezzo à l’époque, Winchluss, et surtout Charlie Schlingo, avec son supplément Coin Coin, dont il était le rédac chef adjoint. C’était vers 2002-2003. J’avais plus ou moins onze-douze ans et j’étais en train d‘arrêter de lire le mag, pour aller vers des mangas, ou penser à autre chose...

Et c’est là le que le Toon a été révélé j’imagine ? Ton compte Instagran est fait de petits post déjantés dans un genre me rappelant Pierre la Police ou encore Antoine Marchalot. Est-ce que ces deux-là t’ont influencé ?
Xavier Bouyssou : Justement, Schlingo a amené Pierre la Police dans Coin Coin. Or, à douze ans, sans avoir spécialement conscience de rien en termes de culture, tu tombes sur deux pages de Pierre la Police...et ca m’a Blasté. J’avais jamais rien vu d’aussi brillant, et donc après ça, j’ai du passer deux ans à essayer de créer des BD qui ressemblaient à Pierre la police. C’est à ce moment-là que je suis passé de « jeune qui veut faire de la bande dessinée » à « Jeune qui veux faire des BD bizarres », et c’est ce qui m’a amené assez logiquement, durant les Beaux Arts vers la scène alternative et les fanzines. Un jour, j’étais en salle informatique, et il y a avait des gens qui étaient de promos supérieures, qui étaient en train de préparer un concert, et en fait, ils chantaient des paroles de Schlingo. Alors j’ai été les voir, genre : « vous chantez du Schlingo !?? » et eux étaient étonnés qu’un première année connaisse. Je me suis donc fait une bande de potes avec qui nous avons commencé à faire des fanzines. En fait, j’ai sorti pas mal de numéros chez un micro éditeur qui s’appelle le Mégot. Ils sont situés entre Paris et Metz. En sortant des Beaux Arts, j’étais tellement terrifié que personne n’accepte mon travail, que le seul moyen d’être publié facilement pour moi, c’était les fanzines.

On imagine le nombre d’enfants ou pré ados qui ont pu être marqué par ce supplément Coin Coin dans Picsou mag !
Xavier Bouyssou : Oui, et d’ailleurs, le jour où j’ai pu faire une page dans Picsou (#551 ndlr), je tenais à faire un truc bizarre et étrange afin de continuer à… enfin tu vois, c’est mission sacrée quoi, au bout d’un moment.

Toonzie

Plus sérieusement, Toonzie aborde le sujet difficile des sectes et de leurs dérives, mais avec un angle scénaristique décalé improbable et une poésie incroyable tout du long qui ne décourage pas sa lecture, au contraire. Comment t’est venue l’idée et quel temps a été nécessaire pour le réaliser ? (Un bouquin de 290 pages tout de même).
Xavier Bouyssou : Oui, et pourtant, j’en ai fait davantage qui ont dû être sabré. Quant au sujet des sectes, ce n’était pas vraiment le but de parler de ça. En fait, ça fait un moment que je suis fasciné par Raël. Mais plus sur un côté... humain. C’est un peu comme quand Orson Welles fait Citizen Kane, il se dit « quel genre de mec a envie d’être comme ça !? ». C’est quand-même un gars qui a voulu être chanteur à la base, dans les années soixante. Ça n’a pas trop marché. Et puis après : pilote automobile, ça n’a pas marché ; après il a auto-publié un journal automobile et... celui-ci était en train de péricliter lorsqu’un jour, en train de se promener aux Puys Lasollas, il « rencontre les extraterrestres ». Bizarrement, avec le pouvoir que son rapport avec les Elohims lui confère, il peut faire des concerts dans d’énormes salles où tout le monde connaît ses chansons par cœur ; il peut faite les 24h du Mans grâce aux cotisations de ses adeptes… Et donc, ce mec m’a toujours interrogé. Comment on en arrive là ?

Comment as-tu construit ton projet ? Parce que l’on parle tout de même d’une gros pavé avec un fond très intéressant, très riche, avec pas mal de psychologie, malgré, ou en plus, du côté hyper déconne super maîtrisé.
Xavier Bouyssou : J’y suis un peu allé la fleur au fusil. J’avais travaillé dans beaucoup de fanzines et des revues avant, dont Francky des Requins marteaux, mais celui-ci est seulement mon premier livre, alors que j’ai trente ans. J’avais l’habitude de bosser au feeling. Pour vingt pages, ça va, mais j’y suis allé un peu avec la même attitude pour celui-ci. Donc j’ai galéré. Ha ha. Je n’ai pas fait de plan, de scénario. Je voyais à peu près où ça allait. Cela dit, pour 300 pages, j’ai perdu pas mal de temps et beaucoup d’énergie. Je comprends mieux maintenant pourquoi il faut planifier. Je ne suis plus seul dans ma chambre à créer des histoires de Riri Fifi et Loulou. J’ai donc écrit quelques scènes et je tachais de raccrocher les morceaux.

Personne n’est intervenu dans le processus ?
Xavier Bouyssou : L’éditeur a assez vite compris comment je travaillais. Ce qui était plutôt « problématique » avec 2024, c’est qu’ils ont tout de même une sacrée réputation. Le lectorat ne s’en rend peut-être pas tout à fait compte, mais pour les auteurs, c’est un peu le Graal de signer chez eux. Même des auteurs qui sont déjà chez de très gros éditeurs, comme Blutch ou Jérémy Moreau… ce n’est pas anodin d’aller chez eux. Et donc moi qui n’ai fait jusque-là que des fanzines... Je leur avais envoyé un dossier comme à d’autres, mais je n’y croyais pas du tout.

De quoi était-il constitué ?
Xavier Bouyssou : Un dossier normal : un pitch en dix-douze pages finies – qui sont dans le livre, d’ailleurs – et un des 3 fanzines chez le Mégot où j‘avais déjà élaboré l’univers de Toonzie, dans l’optique « considérez cela comme une bande démo »... Il y avait déjà cette notion de huis-clôt dans la villa et d’aller-retour entre la villa et le monde des Toons. La structure était déjà amorcée, mais c’était plus sommaire, ça allait plus vite.

Toonzie

Ces fanzines constituaient-ils déjà des chapitres ? Et pourquoi avoir choisi de situer l’histoire au Québec ?
Xavier Bouyssou : Non, c’était des essais. J’avais en fait commencé à la fin de mes études avec un sujet du genre « Racontez une anecdote réelle ». Et j’avais raconté l’anecdote de Jean-Denis de Saint- Cyr qui était le bras droit de Raël et qui a vraiment vécu une scène à l’aéroport de Montréal où Raël faisait un genre de Burn Out de gourou en lui avouant qu’en fait, tout ça, n’était que des conneries... J’ai d’ailleurs gardé un peu l’apparence de Jean-Denis de Saint-Cyr pour le second. J’étais fasciné par cette anecdote : « qu’est-ce qui se passe dans la tête de ces gars à ce moment-là ? » C’était ouf, et j’ai choisi de mélanger ça avec ma propre peur de sortir de l’école et d’être un « auteur raté ». C’est donc au moment de ce premier fanzine que j’ai commencé à lancer l’univers Toon et que sont arrivés les 24 heures de la BD où le thème était « Créez votre propre secte ». Incroyable, non ? Et c’est lors du troisième que j’ai commencé à me poser la question d’un livre, d’autant plus que la plupart de mes potes commençaient à être publiés eux-mêmes. Ce dernier numéro comptait 60 pages environ, et c’était l’amorce du bouquin. Du coup, j’avais assez peur d’envoyer tout ça à l’éditeur, avec l’idée de devoir faire du tri. Je ne sais pas si beaucoup ont l’habitude de travailler comme ça. En réalité, j’ai fait 360 pages. J’avais ce fantasme à la Chris Ware, Tezuka, avec de gros livres dont on aime aller voir vers la fin « comment on en est arrivé là !? ».

Après ce gros pavé, à quoi peut-on s’attendre ? Une retraite bien méritée dans un palais ?
Xavier Bouyssou : Non, je suis en feu là. Je compte rassembler mes chroniques Instagram et puis j’ai commencé à travailler aussi sur un plus gros projet, mais il est encore trop tôt pour en parler. Ce qui est cool, c’est qu’avec ce genre d’éditeur, je n’ai pas vraiment à m’inquiéter des ventes de celui-ci pour penser au prochain.

Justement, quel est l’accueil de Toonzie jusqu’à présent ?
Xavier Bouyssou : Avec la presse, pour un premier bouquin, il a eu un énorme accueil. Pour les ventes, tu ne peux pas réellement savoir, c’est encore trop tôt pour l’instant. Je pense que c’est... normal. C’est un livre un peu difficile à mettre dans les mains des gens quand-même. Mais la presse a super bien suivi, j’ai d’ailleurs été en prépublication dans Libération cet été. Gros portrait de cinq pages dans Society de ce mois-ci aussi.

Il n’est certes pas grand-public, mais le thème abordé et la richesse artistique à l’intérieur, avec toute la folie en surcouche, explique les retours de presse. Le public devrait donc accrocher, au moins celui qui suit ce qui est un peu alternatif, non ?
Xavier Bouyssou : J’aimerais être grand-public aussi, un jour. Un peu comme Satouff par exemple, un mec qui est alternatif à la base mais qui a quand-même réussi à devenir gros vendeur.

Il est davantage « presse » au niveau dessin, pourtant. Au fait, au niveau technique, il y a un truc qui m’a posé question, c’est justement dès cette première page, avec le coté flou. Comment réalises-tu ça ?
Xavier Bouyssou : En fait, c’est parce qu’à la base, j’utilise des bleus de coloriage. C’est à dire : tu dessines ta page, après tu la photocopies en bleu, un peu comme ils faisaient pour Tintin et tu fais tes couleurs sur ce calque bleu et après tu les re-superposes. Et comme c’est galère de bien les superposer, il y a toujours un petit décalage… Ça fait un peu rustique, mais j’aime bien, ça me rappelle un peu les Picsou, ou des trucs tirés à la chaine. Le genre de truc qui peut justement m’aliéner certains lecteurs… Il y a d’ailleurs des libraires qui ont cru que c’était mal imprimé.

Comme quoi... De mon côté, c’est justement ce qui m’a interpellé en premier lieu, en bien.
Xavier Bouyssou : C’est sans doute parce que tu as un Toon très puissant. Ah ah.

Merci cher maître.

Toonzie