L'histoire :
Rouge festin (par Norédine Allam) : La nuit tombée, dans les tranchées, on n’y voyait goutte. Des corps emmitouflés dans des couvertures pour se tenir chaud et l’attente du soldat qui apportait la soupe. Tous baignant dans la même merde, rouge sang. Le même liquide, le même sang qui irradiait de ses veines écarlates les corps, les paysages, les airs, jusqu’au pays entier. Souvenir aujourd’hui oublié, digéré par la nature, ne le rappelant au présent qu’au travers de coquelicots rouge sang…
Bleuet (par Denis Lachaussée et Aude Soleilhac) : C’est au printemps 1917 qu’il est apparu dans les tranchées, avec le soleil. Agathon Bleuzen qu’il s'appelait, mais tout le monde, à commencer par son commandant François Lemerle, allait l’appeler « Bleuet ». L’homme était encore gosse et chaque fois qu’il ouvrait la bouche, il étonnait. Il faisait rire, même comme lorsqu’il s’étonnait que l’on ne plante pas de fleurs pour égailler le front. Le jour où il apporta la première fois la gamelle, il fut adopté par toute la troupe. Il mit le temps pour revenir, mais il rapportait avec lui un seau plein de miel. Un bonheur qui en annonçait d’autres : boisson, viande, plante, etc. Beaucoup d’anonymes sont morts au front. Agathon Bleuzen restera lui dans les souvenirs…
Les moustaches (par Daniel Goossens) : Pourquoi, sur les représentations d’époque, tous les hommes –soldats – semblaient porter la moustache ? La moustache incarnait-elle « le degré supérieur de l’humanité » ? La supériorité de l’homme sur la femme. Celle du soldat sur le civil. Du commandant sur le conscrit. Vrai ou faux, le fait est que la moustache fut peut-être la « véritable abomination » qui menaça l’humanité…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Détail singulier mentionné en début d’album : « pour chacune des histoires, l’un au moins des auteurs vit et travaille en Picardie ». Un moyen d’encrer le souvenir dans une réalité qui l’a aujourd’hui digéré. Tel est aussi le propos de la première histoire signée Norédine Allam. 14 autres suivent. Toutes adoptent des points de vue différents sur la Première Guerre mondiale. Si le message au final est toujours le même – ne jamais oublier pour ne jamais recommencer – les tons et graphismes changeants offrent et touchent possiblement une diversité de sensibilités accrue. L’application des 22 auteurs qui ont concouru à cette œuvre est grande. Grande comme le surnom qui resta pour désigner la plus terrible boucherie de l’Histoire. La Grande Guerre en appelait pourtant une autre. On n'avait sans doute pas compris. Alors, pour ne pas mourir une seconde fois, comme le dit justement Greg Blondin dans son récit (p.84) : ne pas oublier. Remarquer les moustaches « va-t-en guerre » des représentations d’époque (Daniel Goossens). Partager en famille ce souvenir autour d’un film, comme celui des Croix de bois d’après le roman de Rolland Dorgelès. Même si parfois on sera tenté de laisser échapper un « toujours la guerre ! » (p.52) de lassitude répétée. En résumé, 96 pages d’une Histoire commentée (citations), dessinée et éditée au plus juste. La conclusion irait aux enfants, et à Rimbaud et son cruel et beau poème Le dormeur du val. Elle sera inspirée de Barbusse : grise, abîmée et révoltée !
