interview Comics

Andrea Sorrentino

Bonjour Andrea Sorrentino, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as débuté dans le monde des comics ?
Andrea Sorrentino : Je m'appelle Andrea Sorrentino et je suis le dessinateur de Green Arrow. J'ai commencé à travailler dans l'industrie des comics il y a quatre ans. J'ai commencé ma carrière professionnelle en illustrant des livrets pour des jeux de rôles comme Le Monde des Ténèbres ou Vampire - je ne sais pas si vous les connaissez, en France - puis j'ai été contacté par DC Comics afin de réaliser des couvertures d'inspiration horrifiques pour un crossover de X-Files avec 30 Jours de Nuit. C'était la première que je travaillais dans les comics et c'était il y a 4 ou 5 ans. J'ai ensuite travaillé avec Marv Wolfman sur le graphic novel tiré de God of War et, ensuite, j'ai commencé à faire circuler mes travaux d'illustration en noir et blanc. Sur mes premières illustrations, étaient des travaux colorisés sur ordinateur et, par exemple, God of War a été réalisé dans un style complètement différent de ce que je fais aujourd'hui. J'ai donc contacté des éditeurs dont je savais qu'ils avaient apprécié ce que je faisais et je leur ai montré ce que je pouvais faire en noir et blanc. Il s'est trouvé que ça leur paraissait parfaitement adapté à une nouvelle série qu'ils souhaitaient lancer. Cette série, c'était I, Vampire. I, Vampire a donc été mon premier job pour DC, God of War étant sorti chez Wildstorm. J'ai donc débuté au moment de New 52 et il a eu quinze numéros de I, Vampire. J'ai ensuite été contacté par Jeff Lemire qui m'a demandé de le rejoindre sur le projet Green Arrow sur lequel j'ai travaillé durant vingt numéros avant de quitter la série. Aujourd'hui, je travaille avec Marvel. J'ai illustré deux annuals des X-Men avec Brian Michael Bendis et, l'an prochain, je démarre sur une nouvelle série, toujours avec Brian Michael Bendis, mais je ne peux pas vous en parler car elle n'a pas encore été annoncée. La série sortira l'an prochain mais Marvel tient à en conserver tous les détails secrets d'ici à ce qu'ils la révèlent sur leur site web.

Quelles sont tes influences ?
Andrea Sorrentino : Quand j'étais gosse, je lisais beaucoup de mangas. Je n'en lis plus aujourd'hui mais je pense qu'il y a des choses dans ma narration ou bien encore dans ma façon d'aborder une planche qui peut se rapprocher des mangas. Même si mon dessin lui-même, la manière dont je dessine les formes, dont je trace les ombres,... Tout cela n'a rien de japonais, c'est plutôt européen. J'ai démarré en ayant des références comme Jae Lee, en particulier dans ce que j'ai fait sur I, Vampire où je travaillais plus sur l’atmosphère et l'ambiance. Depuis, je ne pense pas avoir été particulièrement influencé. J'essaie en général de ne pas avoir de telles références car, quand j'ai commencé à travailler sur Green Arrow, certaines personnes ont dit que je faisais alors quelque chose de similaire à Hawkeye, essentiellement en raison de l'approche artistique et j'ai alors décidé de ne jamais lire un seul numéro de Hawkeye car je ne voulais pas être influencé. J'ai attendu mon départ de la série pour lire Hawkeye. Je fais donc de mon mieux pour ne pas être influencé par le travail d'autres artistes et je m'efforce de concevoir moi-même mes illustrations. J'ai aussi commencé à travailler avec l'industrie cinématographique, en Italie. J'ai donc commencé à visionner différentes séries télé... Je pense être quand même influencé par ce type de médias.

Ton style sur Green Arrow est incroyable, avec plein d'effets cinématographiques !
Andrea Sorrentino : Je pense que c'est quelque chose qui a commencé avec Green Arrow, quand j'ai commencé à ajouter ces cases en insert. Je faisait ça dès lors que le dessin de départ ne me semblait pas assez explicite. La première fois que j'ai utilisé ce procédé, c'était dans I, Vampire. Je ne sais pas si vous avez eu I, Vampire, en France mais il y avait alors cette splash-page - double, donc - avec cette foule de vampires parmi laquelle il fallait distinguer les trois personnages principaux. Il m'a semblé alors judicieux d'ajouter ces petits inserts afin de mieux attirer l'attention sur nos personnages. Les éditeurs ainsi que les auteurs ont adoré cette idée car c'était alors un peu différent de ce à quoi ils étaient habitués de voir et j'ai continué à faire de même dans Green Arrow. Dans le numéro 21, je crois. Il y a une scène où Oliver est hors du temps, où il a une vision de son père sur l'île et je voulais essayer quelque chose de différent, à ce moment-là et j'ai choisi d'ignorer les trois pages de script. J'étais inquiet et, quand j'ai envoyé les planches à l'éditeur et à Jeff, je leur ai dit "Écoutez, je l'ai fait comme ça, en ignorant le script, car je souhaitais vous montrer que je pouvais faire quelque chose de très différent mais, si jamais cela ne vous plaît pas, je peux tout reprendre et redessiner les planches telles qu'elles étaient prévues" et je me souviens avoir reçu un email de Jeff qui me disait "OK, c'est ça qu'on veut que tu fasses sur Green Arrow ! Ignore le script si tu le souhaites, fais comme tu le sens, enlève ou ajoute des cases, fais comme tu veux". À partir de là, je crois que tout a changé et sur chaque scène, je faisais en sorte de trouver un moyen de surprendre Jeff, les éditeurs mais aussi les lecteurs. Je pense qu'à ce moment-là, quelque chose a changé dans ma façon d'approcher les comics.

Jeff Lemire t'a laissé une grande liberté !
Andrea Sorrentino : Oui, notre collaboration a changé à partir de là. Il y a une scène sur l'île, pendant l'arc des Outsiders, durant laquelle Oliver et Shado tirent un grand nombre de flèches et je me souviens qu'au sujet de cette scène, Jeff avait dit "On a donc une double page dans laquelle on doit voir Oliver et Shado tirer un grand nombre de flèches en un très court laps de temps. Je ne sais pas comment représenter ça alors débrouilles-toi pour que ça marche". On a commencé à fonctionner de cette manière et c'est une très bonne façon de travailler car on est alors très libre tout en ayant de très bon contacts avec l'auteur. C'est aussi très appréciable de savoir que l'auteur vous fait confiance en vous disant quelque chose du genre "Ok, tu est meilleur que moi quand il s'agit de visualiser les choses donc je te laisse le champ libre" et je crois que les retours positifs sur notre travail reflètent les bénéfices de cette approche car on s'est vraiment distingués des autres titres orientés action de chez DC. Cette originalité est aussi, selon moi, la raison pour laquelle on a réussi à captiver les lecteurs. Au début, pour les deux ou trois premiers numéros, je réalisais des crayonnés que j'envoyais aux éditeurs pour obtenir leur aval. Mais la réalisation, le scan et l'envoi de ces dessins me prenait beaucoup de temps et je leur ai demandé s'il m'était possible de sauter cette étape et de leur envoyer directement les planches finales. Je crois qu'ils m'ont alors fait assez confiance pour me l'accorder et, depuis, c'est ce que je fais. C'est aussi intéressant car à chaque fois c'est un peu comme un défi consistant à réussir à épater les éditeurs à chaque nouvelle page.

Travailler avec des scénaristes qui sont aussi des dessinateurs change t-il quelque chose dans ta façon de faire ?
Andrea Sorrentino : Mon expérience personnelle m'a montré que ça ne changeait pas grand-chose. Certains auteurs, comme par exemple Grant Morrisson, dessinent de temps à autre les planches telles qu'ils les envisagent, afin surtout de faciliter la compréhension de leur script par le dessinateur. En réalité, je pense que le principal réside en confiance que l'auteur a dans le dessinateur. Quand j'ai commencé à travailler avec Brian, j'avais alors été choisi car ils avaient adoré ce que j'avais fait sur Green Arrow. ils m'ont alors demandé de faire exactement ce que j'avais fait précédemment sur Green Arrow. Je leur ai répondu que le travail que j'avais fait sur Green Arrow résultait surtout de la liberté dont j'avais bénéficié sur ce titre. Ils ont alors fait de même car ils voulaient obtenir le même résultat. Brian m'a envoyé un email, au tout début de notre collaboration, où il me disait "Ok, fais ce que tu veux", tout comme Jeff avait fait. Au final, je pense que mon travail sur ces deux annuals des X-Men figurent parmi les meilleures illustrations que j'ai jamais faites dans un comics. J'ai vraiment essayé plein de trucs dingues et je crois que ça a marché car, comme je l'ai dit avant, c'est surtout différent de ce que les lecteurs ont l'habitude de voir et c'est toujours une bonne chose de voir quelque chose de neuf.

Avais-tu lu le Green Arrow Année Un avant de dessiner la série ?
Andrea Sorrentino : Oui, j'avais lu Année Un avant même de commencer à travailler sur Green Arrow . C'était d'ailleurs la seule chose concernant Green Arrow que j'avais lue. Je pense effectivement qu'Année Un avait déjà défini le personnage sur certains points. Quand j'ai commencé, j'ai aussi lu Longbow Hunters car Jeff m'avait dit qu'il souhaitait en récupérer certains éléments, s'en approcher. Je pense qu'il m'a demandé de le faire car il voulait un graphisme proche de celui de l'excellent Mike Grell et qu'il m'a aussi choisi pour ça.

As-tu ressenti une quelconque pression dès lors que la série télé Arrow a eu du succès ?
Andrea Sorrentino : Non, mais pour être honnête, c'était peut-être du au fait que la série n'était alors pas diffusée en Italie. Donc, pour moi, ça revenait à travailler sur une série neuve, sans référence aucune. Je me souviens d'avoir discuté avec des lecteurs de comics - mon frère tient une boutique de comics - et ils ne savaient même pas qui était Green Arrow. Donc pour moi, peut-être parce que je vivais dans ma petite bulle, en Italie, il n'y avait aucune pression d'où que ce soit. Bien sûr, une fois que l'on a commencé travailler sur la série, l'éditorial nous a rapidement fait comprendre qu'il nous fallait nous efforcer de relier un minimum le comics à la série. Et je pense qu'il est normal, quand on va acheter le comics Green Arrow et que l'on est déjà fan de la série tv, de pouvoir y retrouver quelque chose de cette série. Les mêmes personnages, les mêmes situations... Mais je pense que nous avons, enfin surtout Jeff, réussi à faire quelque chose de similaire mais qui ne soit pas identique et à offrir un nouvel univers au personnage de Green Arrow. Je me souviens aussi d'une scène, dans le comics, où nous avons placé le personnage de Diggle. À la base, dans cette scène, il s'agissait d'un autre personnage mais ils nous ont demandé de refaire cette scène en substituant Diggle à ce personnage. Mais sorti de cette anecdote, on n'a pas eu de problèmes ni été particulièrement pressés pour inclure des éléments de la série télé dans le comics. Je pense qu'il ont attendu que Jeff et moi-même quittions la série pour vraiment rapprocher le comics de la série télé comme c'est le cas actuellement. Reste que, quand nous travaillions sur la série, Jeff et moi, on pouvais faire ce que l'on voulait.

Comment décrirais-tu ton style ?
Andrea Sorrentino : Je pense que mon principal objectif, quand j'illustre une page, consiste d'abord à rendre les choses limpides pour le lecteur. J'ai donc l'habitude de modifier certains éléments du script si jamais je pense que les choses ne sont pas assez claires. Si je pense que trop de temps semble s'écouler entre deux cases, j'insère une troisième case afin d'expliciter la scène. Je crois que c'est ce qui distingue mes scènes d'action de celles illustrées par d'autres dessinateurs. Il y a une scène lors de l'arc du Comte Vertigo, où je me suis retrouvé à illustrer une double page découpée en 25 ou 26 cases montrant Oliver affrontant les mercenaires au service du Comte Vertigo. Je me souviens que, dans le script, il n'était question que de quatre cases. Oliver s'approchant du château, Oliver se battant avec un mercenaire puis deux cases montrant Oliver entrant dans le château. Mais il me semblait qu'on ignorait une partie de l'histoire. J'ai donc décomposé la scène au sein de ces 26 cases pour montrer exactement ce que faisait Oliver. C'est quelque chose que l'on n'a pas l'habitude de trouver dans les comics US car les scènes d'actions se résument généralement à une case avec un coup de poing, une case avec un coup de pied et le combat terminé. Je voulais montrer quelles étaient les différentes étapes de ce combat. C'est l'exemple typique où j'expérimente un procédé puis je le montre aux éditeurs et à l'auteur et, s'ils aiment ce que j'ai fait, je le reproduis par la suite dans d'autres scènes. J'aime juste essayer de nouvelles choses mais je me soucie toujours de ce qu'en pensent les éditeurs mais aussi les lecteurs. J'essaie toujours de faire ce qui plaît aux lecteurs.

Entre Green Arrow et ton arrivée chez Marvel, ta popularité monte en flèche !
Andrea Sorrentino : La première fois que j'ai réalisé que je commençais à devenir connu dans le milieu, c'est quand, il y a deux ans, le site web IGN m'a désigné meilleur dessinateur de comics. À partir de là, les choses ont un peu changé car un nombre plus important de personnes ont pu voir mon travail. J'ai aussi commencé à voir de plus en plus de gens parler de moi et de mon travail sur les sites web ainsi que dans les forums dédiés aux comics. Je ne sais pas, en fait, mais je pense avoir eu beaucoup de chance de pouvoir travailler avec des auteurs ainsi que des auteurs qui m'ont permis de m'essayer à de nouvelles choses. Je pense que si ça n'avait pas été le cas, je n'aurais probablement pas pu me distinguer des autres illustrateurs. C'est ce qui a permis aux lecteurs, aujourd'hui, de pouvoir me reconnaître et je ne pense pas que cette chance de pouvoir être aussi libre dans son travail soit une chance donnée à tous les artistes. Tu peux te retrouver à travailler avec un éditeur qui ne te fait pas confiance, ce qui t'oblige à continuer à travailler avec un style très standard ce qui, au final, t'empêche de pouvoir montrer de quoi tu es capable. Je pense donc que ce succès, je le dois aux gens avec qui j'ai travaillé.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre artiste, qui choisirais-tu ?
Andrea Sorrentino : J'adore Andy Warhol, l'artiste pop. Je sais qu'étant italien, j'ai avec moi une longue tradition d'artistes classiques italiens mais je me souviens que lorsque j'étudiais l'histoire de l'art à l'académie des beaux-arts, en Italie, je ne comprenais pas l'art moderne. Puis ça m'est venu et j'ai commencé à comprendre l'art moderne. J'étais très impressionné par la créativité et... Oh je ne trouve pas le mot pour le dire en anglais mais bref, l'approche que l'art moderne a des choses, cette originalité. J'avais été très surpris et je pense que j'essaie de faire quelque chose dans cette veine dans le sens où je m'efforce de sortir des sentiers battus. Et je crois qu'Andy Warhol est un des personnages les plus emblématiques de l'histoire de l'art moderne. Je pense que si je devais devenir un artiste, ce serait probablement Andy Warhol.

Merci Andrea !

Remerciements à Louise Rossignol pour l'organisation de cette rencontre, à Mathieu Auverdin pour ses questions additionnelles et à Alain Delaplace pour la traduction.

Breaking Bad


PAR

22 novembre 2014
©Urban Comics édition 2014

Le dessinateur italien Andrea Sorrentino a débuté dans les jeux de rôles avant de s'essayer aux comics sur des licences connues telles que X-Files ou God of War. Ses essais furent si concluants que DC Comics lui proposa d'illustrer I, vampire, (une série inédite en France) avant de l'associer à Jeff Lemire sur Green Arrow. Avec la volonté d'offrir une saga intense et spectaculaire aux fans de l'archer, les deux auteurs ont probablement réalisé l'une des sagas majeures d'Oliver Queen. Nous avons eu le plaisir de rencontrer cet artiste sympathique et bavard lors du Paris Comics Expo où il nous a même avoué travailler à présent sur un projet secret chez Marvel avec un autre scénariste fameux : Brian Michael Bendis. On n'a pas fini d'entendre parler d'Andrea Sorrentino...

Réalisée en lien avec les albums Green Arrow T1, Green Arrow T2
Lieu de l'interview : Paris Comics Expo