interview Comics

Gabriel Hardman

Bonjour Gabriel Hardman, peux-tu te présenter ?
Gabriel Hardman : J'ai commencé assez tôt, quand j'avais 18 ans. J'ai dessiné des comics pour Marvel pendant quelques années puis je suis devenu dessinateur de story-boards pour le cinéma. J'ai fait ça pendant près d'une décennie et j'ai travaillé sur les films des X-Men, les Austin Powers, Tonnerre Sous les Tropiques et, plus récemment, les films de Christopher Nolan comme Interstellar et Inception. Mais j'ai toujours voulu revenir aux comics et faire des choses dont je pourrais être plus fier que je ne l'étais des choses que j'avais dessinées à mes débuts. Mon épouse, Corinna Bechko, et moi-même avons réalisé un comics pour Image intitulé Heathen Town, un graphic novel horrifique, ce qui m'a amené à travailler de nouveau pour Marvel avec Agents of Atlas et Hulk puis aussi à écrire et illustrer d'autres titres comme Star Wars Legacy, La Planète des Singes. Mon dernier graphic novel s'intitule Kinski et c'est chez Image Comics. Je l'ai moi-même écrit et illustré et c'est dans un esprit un peu plus indé, c'est en noir et blanc, dans un univers réaliste. Mes autres travaux sont plus dans le fantastique, plus orientés fantasy.

Quelles sont tes influences ?
Gabriel Hardman : En ce qui concerne le dessin - car je fais les deux, illustration et écriture - mes influences proviennent essentiellement d'artistes passés. Par exemple, j'ai été influencé par Noel Sickles qui était dessinateur de comic-strips dans les années 30. Il dessinait Scorchy Smith et il avait un style d'encrage très épuré, que j'ai émulé. Mais aussi Jorge Zaffino. C'était un dessinateur argentin et son travail sur les lignes était très expressif; j'aimais le fait qu'il utilisait beaucoup d'encre, il y avait beaucoup de noir sur ses planches. Bruno Premiani, qui officiait principalement dans les années soixante. Il a illustré Doom Patrol pour DC Comics et lui, je crois qu'il était italien. Mais j'aime aussi chercher l'inspiration dans d'autres médias parce que si on se contente d'observer les comics, alors ça devient très insulaire. Je pense qu'il faut regarder ailleurs que dans le média au sein duquel on travaille, afin de trouver l'inspiration sinon, tout va commencer à se ressembler, On va tous commencer à se baser sur les travaux des uns et des autres et ça va devenir incestueux. Il faut amener du sang neuf.

Est-ce que ton travail sur le story boarding a influencé ton travail sur les comics ?
Gabriel Hardman : Uniquement dans le sens où je suis toujours très concentré sur la narration. L'important pour moi est toujours de raconter une histoire, pas de mettre en place des scènes qui soient tape-à-l’œil ou juste agréables à regarder, même si, bien sûr, j'aime faire de belles illustrations. La priorité, pour moi, est que l'histoire soit bien racontée. "Est-ce que mes illustrations servent au mieux la narration ?" et, quand j'écris un script, je ne tiens jamais compte de ce que je souhaiterais dessiner pour l'illustrer. Et l'histoire de Kinski tourne autour d'un chien et je n'aime pas particulièrement dessiner les chiens mais voilà, c'est l'histoire qui doit être racontée. Et, par exemple, Corinna et moi pouvons en arriver à décrire une scène incluant un millier de robots, une scène importante pour l'histoire mais une scène qu'en tant que dessinateur, je n'ai pas particulièrement envie d'illustrer. Mais bon, l'écriture passe en premier, l'illustration passe en second et quand vient le moment pour moi de dessiner, je n'ai qu'à me débrouiller avec les implications de la première étape. Et là où ça se croise avec la cinématographie, c'est que mon travail pour le cinéma m'oblige à me focaliser uniquement sur la narration visuelle. Le story-board n'est pas le produit final, dans la production d'un film, ce n'est qu'une étape de la pré-production. D'ailleurs, le public ne le voit pas, le story-board, ce qui une des raisons pour lesquelles je fais des comics. On les apercevra peut-être dans les ouvrages dédiés aux coulisses de tournage mais seulement après les faits. Mais, comme le story-board n'est pas un produit fini mais juste un travail préparatoire au tournage d'un film, l'accent y est mis sur les plans et sur ce qu'ils communiquent en termes de narration. Et ça, c'est ma priorité dans tous les domaines.

Comment décrirais-tu ton style ?
Gabriel Hardman : Je pense que c'est... Que c'est... Épuré et expressif. J'aime utiliser un pinceau sec, de la texture... Donner une impression, comment dire... des tons vifs, des motifs sombres, tout ce qu'il faut pour faire passer le message. J'aime quand c'est fait un peu à l'arrache, un peu sale. Je n'aime pas quand c'est propre et lisse, où que ce soit.

Tu es un des auteurs à avoir participé à l'univers Star Wars, quel regard portes-tu aujourd'hui sur ta contribution ?
Gabriel Hardman : Je suis très fier de ce que j'ai fait sur les titres Star Wars ! Je suis très heureux que nous ayons pu avoir la chance d'y participer au moment Dark Horse les publiait car on a alors pu raconter l'histoire que nous souhaitions raconter, créer des personnages et écrire un récit Star Wars tel que j'ai toujours voulu l'écrire. Quelque chose qui était dans le ton d'un récit Star Wars mais qui n'aborde pas nécessairement les histoires de Han Solo, Luke Skywalker ou la princesse Léïa. Ces histoires ont déjà été racontées, on connait les événements les plus importants de leurs histoires. Mais j'adore l'idée de raconter une histoire prenant place dans l'univers de Star Wars, dans l'atmosphère de cet univers mais qui ne serve pas juste à combler les trous, qui ne raconte pas des histoires de moindre intérêt de Luke ou de Léïa.

Raconter quelque chose de neuf, où l'on ne sache pas ce qui va se passer.
Gabriel Hardman : Oui, exactement. Ces personnages peuvent survivre ou y laisser leur peau.

On est moins intéressé par ce qui se déroule avant les films car on sait sur quoi les événements vont déboucher.
Gabriel Hardman : C'est ça l'essence de Star Wars, des premiers films. On te lâchait dans un monde où tu ne savais pas exactement ce qui se passait, tu ne connaissait pas les, les...

Les règles ?
Gabriel Hardman : Oui. Tout ne t'était pas expliqué, il fallait reconstituer le puzzle à mesure que l'histoire avançait quant à ces trous entre les films, il fallait les accepter et les combler toi-même. Même s'il y a plein de choses incroyables dans l'univers étendu et dans d'autres histoires de Star Wars, j'ai l'impression que beaucoup d'entre elles cherchent à expliquer des choses, à ajouter des détails et c'est en quelque sorte l'opposé de Star Wars. Star Wars, ça doit être de l'aventure, suggérer un vaste univers sans pour autant te fournir d'explications ou de description précise, non ?

Comme les midichloriens.
Gabriel Hardman : Oui ! Voilà ! C'est pour ça que ce truc a aussi mal marché auprès du public : ça allait à l'encontre de ce qui faisait le succès de Star Wars. Star wars fonctionnait parce que c'était au public de combler les failles, il fallait imaginer ce qu'était la force. C'est une sorte de grand concept sur lequel on peut projeter ses propres impressions. Expliquer la force en a retiré le mystère et ça en a enlevé ce qui faisait l'intérêt de Star Wars.


Gabriel Hardman Star Wars Legacy 2


Quelle a été ta réaction quand Marvel a repris la licence et qu'as-tu pensé des premières images que tu as pu en voir ?
Gabriel Hardman : On savait que Disney rachetait Lucas film bien avant que les livres n'aillent chez Marvel. On avait déjà commencé à travailler sur les livres quand c'est arrivé. On a travaillé pendant un long moment avant de savoir comment tout ça allait finir et on a eu assez de temps devant nous pour finir d'écrire notre histoire. L'histoire a tout de même été abrégée et on aurait sans doute écrit quelque chose de beaucoup plus long si on avait eu tout le temps que l'on souhaitait mais en fin de compte, on a réussi à sortir l'histoire que l'on voulait raconter. Je ne sais rien des titres Star Wars en développement chez Marvel et travailler dessus ne m'intéresse pas vraiment. Disney est à la barre, maintenant, et Marvel tout comme Disney ont leur manière de gérer leurs projets. Ils ont des comités au sein desquelles on décide des histoires et ça, les comités ou les groupes de gens me disant quoi raconter, ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, c'est de raconter les histoires qui m'intéressent, moi.

Si on tient compte de votre travail à tous les deux ainsi que de ta carrière dans le story-boarding, est-ce qu'on est venu vous demander des idées ou des conseils pour le prochain film Star Wars ?
Gabriel Hardman : Non. Mes carrières sont très distinctes, l'es comics sont une chose et le story-boarding en est une autre. J'ai écrit et dessiné les comics de La Planète des Singes et j'ai aussi travaillé sur La Planète des singes : L'Affrontement, au cinéma. Mais l'un et l'autre n'avaient rien à voir et les gens qui m'ont embauché pour le film ne savait pas du tout que j'avais travaillé sur le comics. Mais je suis un fan de Star Wars et j'aimerais bien rester un simple fan des films et pouvoir aller le voir en tant que tel. Si le film est bon, super et sinon, tant pis. J'ai des amis qui ont travaillé sur La Menace Fantôme et sur les autres préquelles et au début, ils trouvaient ça très excitant ! Ils étaient en joie à l'idée de travailler sur un film Star Wars et, au final, le film était nul et je préférerais...

Ne pas être impliqué là-dedans [rires]
Gabriel Hardman : Oui et aussi ne pas investir de mon temps dans quelque chose... C'est ça, le truc, avec les story-boards. Ce n'est pas mon film. J'ai travaillé sur beaucoup de films que je n'ai pas aimés, au final. J'ai effectivement contribué au film mais, au final, c'est la faute du réalisateur et moi, ma responsabilité se limite concrètement à accepter ou à refuser d'en faire le story-board. Je ne vais avoir que très peu d'influence sur la qualité du produit final. C'est pourquoi je préférerais m'asseoir dans mon fauteuil et regarder le prochain Star Wars plutôt que d'y contribuer.

Peux-tu nous présenter Kinski ?
Gabriel Hardman : Kinski est un graphic novel en noir et blanc, sortant chez Image Comics et ça parle d'un représentant itinérant qui trouve un chiot et qui se convainc que, par-dessus tout, sauver ce chiot, au mépris du reste - même si le chien appartient apparemment à quelqu'un d'autre. Il vole donc le chien et, en gros, ça va fiche sa vie en l'air. C'est une sorte de polar rigolo, ça ressemble beaucoup à un film des frères Coen.

Tu as notamment travaillé sur des personnages très connus de Marvel comme Hulk ou les Avengers. Tu as aussi récemment travaillé sur un Savage Hulk avec Cornina Bechko. Êtes-vous désormais inséparables ?
Gabriel Hardman : On est mariés, donc on travaille ensemble sur beaucoup de projets. On a co-écrit Star Wars Legacy, que j'ai illustré, et là on co-écrit et j'illustre une nouvelle série pour Image Comics intitulée Invisible Republic dont le premier numéro sortira en mars. C'est une sorte d'épopée de science-fiction racontée d'un point de vue personnel et qui traite de l'ascension au pouvoir d'un rebelle devenant à son tour dictateur. C'est raconté du point de vue de la cousine de ce dictateur, cousine qui en sait beaucoup sur lui notamment de nombreux détails ayant été expurgés de l'histoire officielle.

C'est facile pour toi de travailler avec ton épouse ?
Gabriel Hardman : Oui, ça l'est. Bien entendu, on rencontre toujours des difficultés [rires] mais on travaille tous les deux à la maison. On écrit l'histoire à l'étage puis je descend les escaliers pour dessiner donc on n'est pas toujours ensemble, l'un dans les pattes de l'autre. Mais on y arrive bien. On s'efforce de séparer le travail du reste de notre vie. On n'y arrive jamais mais on essaie.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie. Qui choisirais-tu ?
Gabriel Hardman : Je... Ok. Je dirais... En vrai, je dirais Edgar Degas. C'était le plus grand illustrateur de tous les temps. Il pouvait dessiner d'une façon qui, moi, m'inspire en permanence. Je m'efforce toujours de dénicher des éléments de son oeuvre, où que j'aille. Cela dit, c'était apparemment quelqu'un d'odieux. Il semble bien qu'il n'était pas la personne la plus agréable au monde, en tous cas, donc je ne suis pas très sûr de vouloir me rendre dans sa tête mais j'aimerais quand même savoir comment il faisait ce qu'il faisait. Désolé, on n'est pas dans les comics !

Merci Gabriel !

Remerciements à Arno et à l'organisation du Lille Comics festival, et à Alain Delaplace pour la traduction et la virée dans le Nord !.

Gabriel Hardman hellboy


PAR

6 décembre 2014
©Delcourt édition 2015

Avec une carrière navigant entre le cinéma et les comics, Gabriel Hardman est un artiste dont l'emploi du temps est très chargé et donc assez rare de croiser la route. Au mois de décembre 2014, accompagné de son épouse Corinna Bechko (elle est aussi scénariste), l'auteur a fait honneur à ses fans français en se rendant au Lille Comics Festival. Il a pu y présenter ses derniers projets, le roman graphique Kinski encore inédit en France, mais aussi évoquer un parcours très intéressant sur des franchises majeures comme Star Wars ou La Planète des Singes. De nombreux sujets que nous n'avons pas manqué d'évoquer ensemble...

Réalisée en lien avec les albums Star Wars Legacy – Saison 2, T3, Star Wars Legacy – Saison 2, T1
Lieu de l'interview : Lillle Comics Festival