interview Comics

Ian INJ Culbard

©Akileos édition 2015

Ian "INJ" Culbard est un artiste britannique qui est devenu, en l'espace de quelques années, le spécialistes des adaptations de deux romanciers : Sir Arthur Conan Doyle et HP Lovecraft. En adaptant minutieusement des récits aussi différents, on aurait pu craindre que l'auteur était un sinistre individu, peu sociable et peu enclin à parler de son œuvre. Venu rencontrer ses lecteurs au festival d'Angoulême, nous sommes tombés sur un personnage charmant et agréable.

Réalisée en lien avec les albums La Quête onirique de Kadath l'inconnue, Les montagnes hallucinées, Dans l'abîme du temps, L'Affaire Charles Dexter Ward
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
28 juillet 2015

Bonjour Ian Culbard, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Ian Culbard : Je m'appelle Ian Culbard et j'ai débuté dans les comics il ya cinq ou six ans. Je viens du monde de l'animation, principalement. J'ai travaillé avec un éditeur nommé Self Made Heroes, en Angleterre et aujourd'hui je travaille pour 2000A.D., toujours en Angleterre. J'ai réalisé dix titres chez Self Made Heroes et un bon nombre d'entre eux sont publiés en France, chez Akileos.

Ian Culbard En France on te connait sur les aventures de Sir Arthur Conan Doyle et aussi sur les adaptations de H. P. Lovecraft. Comment visualises-tu ces différents univers ?
Ian Culbard : Je fais ça en cours de route. Quand on travaillais sur Conan Doyle, on avait beaucoup parlé entre nous du fait que l'univers de Sherlock Holmes était déjà bien défini, bien établi. Mais après avoir sorti notre premier titre, on a compris qu'on avais donné vie à notre propre pan de l'univers Holmesien. Et cela nous a beaucoup aidé sur certains points comme mon attitude dans l'adaptation d'autres œuvres. J'ai réalisé que bien d'autres œuvres avaient été adaptées auparavant tandis que nous, nous faisions notre propre truc. Et le plus tu en fais... Je crois qu'en fin de compte, ça revient surtout à en faire le plus possible et ça vient tout seul. Est-ce que ça répond à la question ? [rires]

Dans tes adaptations de Sherlock, tu en as sélectionné 4, pourquoi ?
Ian Culbard : Il s'agit des romans. Conan Doyle n'a écrit que 4 romans sur Holmes, le reste tenant sur, je crois, 57 nouvelles. On a commencé avec Le chien des Baskerville car c'est le plus connu et puis on a continué sur les autres. Il n'y a que quatre romans, c'est pour ça.

Sur Sherlock, je trouve que tu as fait une adaptation classique mais efficace. Comment as tu sélectionné l'aspect visuel et la narration ?
Ian Culbard : On voulait en revenir aux textes originaux. Il y a eu beaucoup d'adaptation à travers les années. En particulier, je pense aux séries télé où Sherlock est incarné par des hommes bien plus âgés qu'il ne l'est dans le texte. On voulait revenir à l'aspect "pulp" des textes de Conan Doyle. Il sont beaucoup plus orientés vers l'action, pas autant que les films avec Robert Downey Jr mais bien plus Ian Culbard que les adaptation tv. C'est un personnage plus jeune que dans ces séries - à l'exception bien sûr de Cumberbatch, qui est très proche de l'âge de Holmes. On voulait revenir à la source et montrer aux gens combien c'était différent. Beaucoup se figurent Holmes à travers les incarnations de Basil Rathbone ou encore Jeremy Brett et on a voulu montrer les personnages tels qu'ils ont été écrits. Il n'a jamais porté de cape ou de chapeau ni fumé de gigantesque pipe ridicule. Il fumait une pipe fine et ne portait pas de chapeau. On s'en est strictement tenus aux textes. On s'est débarrassé de l'image d’Épinal pour reprendre les bases.

Les fans de Sherlock sont très nombreux de par le monde. Sais-tu quelle a été leur réaction ?
Ian Culbard : En Angleterre, on a une gazette dédiée à Sherlock Holmes où, entre autres, les fans anglais discutent des adaptations de leur héros et le retour a été très positif. Donc on a pu prendre connaissance de leur réaction. Mais, encore une fois, quand nous avons effectué nos recherches sur les textes originaux, on a été très pointilleux. Conan Doyle écrivait souvent des histoires, des fictions en lien avec le monde réel. Par exemple, l'histoire du Marie-Céleste est connue parce que Conan Doyle a écrit cette histoire disparition mais c'est plus connu par le biais des écrits que par l'histoire réelle elle-même. Et Conan Doyle faisait ça souvent, en plaçant notamment ses récits au cœur d’événements historiques. Et nous avons donc aussi fait des recherches sur les faits historiques concernés. Watson, par exemple. Dans les histoires, tout le monde se mélange les pinceaux quant à savoir s'il s'est pris une balle dans la jambe ou dans l'épaule ou les deux ! Il s'est trouvé à la bataille de Maiwand où quelques onze soldats ont fini par se battre contre l'ennemi jusqu'à la mort. Il s'est sûrement fait toucher deux fois, en théorie. Pour plein de choses que l'on a mises dans nos adaptations, on a aussi été vérifier dans les livres d'Histoire car Conan Doyle reliait sa fiction aux événements historiques.

Ian Culbard En plus de Sir Arthur Conan Doyle, tu as aussi travaillé sur les œuvres de H.P. Lovecraft. Qu'est-ce que tu apprécies dans ces œuvres ?
Ian Culbard : On peut se reconnaître dans bon nombre des éléments horrifiques employés par Lovecraft. Des choses comme la démence. Il traite d'horreurs personnelles mais il les étend à une échelle cosmique. Ce qui rappelle ô combien l'homme est insignifiant au regard du reste de l'univers. Il montrait en permanence comment la science réduit les distances et les échelles, dans notre monde mais aussi que celui-ci est bien plus vaste que la science elle-même. J'adore comment il décrit cet aspect de l'horreur. L'horreur, pour moi, se trouve dans les choses que l'on connait, pas dans les éléments fabuleux comme les monstres. C'est bien plus proche de la vie que ça. Des vilains effrayants comme Joseph Curwen dans 'Charles Dexter Ward'. Il est terrifiant de par les choses horribles qu'il fait subir aux gens, bien plus qu'un monstre surnaturel. J'aime la façon dont c'est écrit.

Une des principales qualités des œuvres de Lovecraft est de partir d'un monde tout à fait réel. Comment est-ce que tu restitues l'horreur dans les comics ?
Ian Culbard : Pas facile de répondre à ça... Mais je vais tâcher d'y répondre. Dans les comics, tu peux équilibrer et prendre ton temps avec les choses. On peut donc introduire l'horreur bien des pages en amont et en révéler la nature bien plus loin en aval. C'est une façon de faire et il y a plein d'autres "trucs". Tu peux montrer quelque chose d'horrible tandis que l'horreur est, en réalité, contenue dans ce les dialogues. Des trucs comme ça. Je suppose qu'il y a beaucoup de manières de le faire.

Ian Culbard Quelle sont tes prochains projets ?
Ian Culbard : J'ai fini de travailler sur un livre et ça sort en avril, en Angleterre. Le titre est 'Celeste' et c'est une oeuvre originale, pas une adaptation. On y trouve trois histoires différentes et l'idée est que tout le monde sur la planète disparaît, à l'exception du protagoniste. C'est un peu de la science fiction. Et j'ai une autre adaptation de Lovecraft en cours, "La Quête onirique de Kadath l'inconnue". Je travaille aussi pour 2000A.D., en ce moment. Et j'ai deux mini-séries qui devraient sortir aux Etats-Unis mais je ne peux pas en parler pour l'instant. Beaucoup de choses en cours, donc.

Quelles sont tes influences, dans les comics ?
Ian Culbard : Ça a tendance à être de vieux trucs. Quand un artiste actuel m'intéresse, j'ai tendance à chercher dans ses interviews qui l'a inspiré en premier lieu et à remonter ainsi en arrière et généralement, ce sont toujours les mêmes. J'aime donc beaucoup Milton Caniff, j'aime aussi beaucoup Frank Robbins, Mézières - c'est comme ça qu'on le prononce ? [rires] - j'ai toujours beaucoup aimé Valérian et Laureline. Beaucoup d'artistes japonais comme Urasawa... Plein d'influences et de styles très différents.

As-tu un comic-book ou un manga préféré ?
Ian Culbard : 20th Century Boys, de Urasawa - excellent mais trèèès long [rires], ça doit faire quelque chose comme 24 tomes de 200 pages chacun...

Tu as aimé la fin ?
Ian Culbard : Oui mais j'ai surtout aimé le milieu, le développement. Je préfère toujours le milieu des histoires plutôt que le début ou la fin. Ian Culbard Monster, aussi. Et sinon, en ce moment,... Oh, zut ! oh, non, je l'ai perdu. Je lis beaucoup de titres d'Image en ce moment et j'essaie d'acquérir les trades, mais... Oh, non. Maintenant que tu m'as posé la question, j'ai tout oublié ! [rires]

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Ian Culbard : Hokusai, probablement.

Pourquoi ?
Ian Culbard : Pas plus tard qu'hier, j'ai pris part à une discussion où l'on parlait du fait qu'il semblait toujours apprendre et avait toujours l'impression que... Plus tard dans sa vie, il commençait à devenir bon puis vers, 80, 90, 100 ans, il se disait qu'il arriverait enfin à dessiner le vent. J'aimerais savoir quel était le cheminement de sa pensée vis-à-vis de son oeuvre. Mais c'est que j'en ai parlé hier. Mais oui, Hokusai, probablement. [rires]

Merci Ian !

Remerciements à Sandrine Châtelier pour l'organisation de cette rencontre et à Alain Delaplace pour la traduction tentaculaire !.

Ian INJ Culbard