interview Bande dessinée

Jung

©Soleil édition 2018

Depuis son autobiographie Couleur de peau : miel, Jung a fait du chemin. Tous ses album, ou presque, parlent du sujet sensible de l’adoption, lui-même étant un enfant coréen adopté par une famille belge. Quatre tomes pour « Couleur de peau : miel », une version animée au cinéma, un nouvel album Le voyage du Phénix et le voici de retour avec Babybox, une poignante fiction sur une femme qui comprend qu’elle a été adoptée. Nous avons pu rencontrer à nouveau l’artiste qui se livre avec profondeur et sensibilité, à l’image de ses albums.

Réalisée en lien avec l'album Babybox
Lieu de l'interview : Saint Malo

interview menée
par
2 décembre 2018

Bonjour Jung. Peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Jung : Je me suis rendu compte que cela fait maintenant trente ans que je fais de la bande dessinée. Je suis auteur de Couleur de peau : miel en 2007. Cela évoque mon parcours d’enfant adopté. Parallèlement, je travaille dans le cinéma depuis que j’ai contribué et co-réalisé l’adaptation cinématographique de Couleur de peau : miel. J’aime beaucoup le cinéma donc j’ai un nouveau projet dans ce domaine. Je continue aussi dans la bande dessinée car c’est mon métier.

Avec un peu de recul, comment te sens-tu par rapport au succès de Couleur de peau: miel?
J : Ce n’est pas un succès énorme ! On n’est pas dans du mainstream. D’ailleurs, la bande dessinée a eu énormément de mal à trouver son lecteur au début. C’est le bouche-à-oreille qui a fonctionné petit à petit. Maintenant, l’œuvre fait un succès honorable mais ce n’est pas non plus un best-seller. Pareil pour le film : quand il est sorti au cinéma, il a vraiment du mal à bien démarrer. Il a petit à petit fait son nid et il est même rentré dans le dispositif « Collège au cinéma ».

Détails de l'affiche du film Couleur de peau : miel
Détails de l'affiche du film Couleur de peau : miel


Cela veut dire que ton œuvre est devenue une référence pour les enfants ?
J : Pour « Collège au cinéma » il y a 70 films dans le dispositif et les enseignants qui veulent y participer et ont le choix d’inscrire des classes. Il parait que Couleur de peau : miel est très souvent choisi pour faire partie de la liste des films à voir dans l’année. C’est un film qui aborde la construction identitaire et les collégiens se posent toutes ces questions.

Tu publies ensuite un album assez différent : Le voyage de Phénix. Peux-tu nous en parler ?
J : J’ai commencé à travailler sur cet album juste après Couleur de peau : miel. J’avais envie de continuer à aborder toutes les thématiques comme l’identité, l’abandon, l’amour maternel. J’avais envie d’en parler à partir d’une fiction. C’est une histoire autour de la résilience : comment on se remet, on se reconstruit après un traumatisme.

Extrait de la couverture du Voyage de Phénix
Extrait de la couverture du Voyage de Phénix


Le ton est beaucoup plus dur et plus triste que dans Couleur de Peau : Miel, non ?
J : Avant d’écrire un album, je ne me pose pas la question de savoir si je dois faire rire le lecteur. Je ne travaille pas pour les lecteurs. Je raconte d’abord l’histoire pour moi. Je suis toujours mon premier lecteur. C’est comme ça que j’avance sur l’élaboration d’un album.

Peux-tu faire un pitch de ton dernier album, Babybox ?
J : Cette bande dessinée s’inscrit dans la continuité de Couleur de peau : miel et Le voyage de Phénix. L’idée m’est venue pendant un voyage en Corée. J’ai visité les endroits de ces fameux « baby box » à Séoul et cette visite m’a vraiment marqué. « Baby box », c’est une boîte qui est encastrée dans un mur. Les personnes qui ne veulent ou ne peuvent plus s’occuper de leurs enfants ont la possibilité d’abandonner leur enfant dans l’anonymat dans cette boîte. C’est un peu comme un appartement en forme de boîte aux lettres ou de vide-ordures avec un petit matelas à l’intérieur. Quand on referme la boîte, il y a une alarme qui s’enclenche. J’ai donc voulu construire un récit autour de ça. Il faut savoir que ces boîtes à bébé existaient au Moyen-âge et il y en avait beaucoup en France. Il n’y en a plus maintenant car dans la plupart des pays, une mère ne peut pas abandonner son enfant. Ce n’est plus possible en Corée ni au Japon etc. Curieusement, on trouve des baby box en Europe, dans les pays de l’est et aux Etats-Unis. C’est un peu à la mode aux Etats-Unis dans un des états. Il y a deux baby box en Belgique. Peu de gens le savent car peu de gens décident d’abandonner leurs enfants.

Le thème de l’adoption est un thème qui te hantera à vie ?
J : Je ne pense pas mais je sais pourquoi j’ai fait de la bande dessinée et pourquoi je suis venu au dessin. J’ai eu besoin d’un exutoire et le dessin m’a réconforté. Ma première histoire tournait déjà autour de cette thématique là. Je suis venu à la bande dessinée car j’avais beaucoup de choses à raconter. Là, je suis juste cohérent et je n’ai pas beaucoup changé. J’ai commencé par des albums qui ne me correspondaient pas du tout. A un moment donné, on a envie d’épater la galerie, on a envie de ressembler à de grands auteurs comme Mike Mignola. Pendant pas mal d’années, j’ai fait des albums pour montrer que j’étais capable de faire de belles BDs. C’est quand j’ai commencé à travailler pour Couleur de peau : miel que j’ai complètement changé. Je suis revenu à un dessin beaucoup plus spontané, beaucoup plus enfantin mais qui me correspond beaucoup mieux. Je me suis adapté à une histoire autour de l’être humain. Je suis juste dans cette continuité là.

Ton graphisme évolue et semble plus « mature » dans cet album ?
J : Le dessin est plus abouti parce qu’on n’est plus dans l’autobiographie. Babybox n’est pas non plus une bande dessinée documentaire : c’est une fiction. Il faut donc beaucoup contextualiser l’histoire. Cela se passe à Paris. D’ailleurs, le début de l’histoire montre un restaurant qui existe et qui se trouve à République à Paris. Pareil quand Claire retourne chez elle. On la voit remonter la rue Ménilmontant à Belleville. On voit aussi sa maman aller dans une Église place Jourdain. Il a donc fallu faire un graphisme plus détaillé. Je ne pouvais pas représenter Paris et ses immeubles en quelques traits. La technique s’adapte en fonction des scénarios.

Extrait de Babybox
Extrait de Babybox


J’ai l’impression que Claire représente ta sœur qui n’a pas réussi à se sortir de ses souffrances ?
J : Non. J’ai parlé de ma petite sœur dans Couleur de peau : miel mais là, Claire, c’est une personne que je connais. Je reproduis d’ailleurs le dossier original d’adoption de cette personne. Quand je l’ai rencontrée, elle avait les cheveux teints en blond, pas en rouge. C’est donc un peu son histoire au départ. J’ai besoin d’être inspiré par ce qui existe, de partir du réel.

Quels sont tes futurs projets ?
J : J’ai signé pour un triptyque toujours chez Soleil dans la lignée de Couleur de peau : miel sur le thème de l’adoption. Le premier tome sera le témoignage croisé d’enfants adoptés. Le deuxième volume sera du point de vue des parents adoptifs. Le troisième tome sera l’histoire des retrouvailles mais vécues par des personnes différentes : l’adopté, l’adopteur et les parents biologiques. C’est le travail que je fais actuellement. Parallèlement, j’ai d’autres projets pour faire un film. J’aime bien le mélange des formes car je suis moi-même issu d’un métissage culturel. Ce film sera donc un mélange d’animé et d’images réelles. Ce sera consacré aux mamans coréennes qui ont abandonné leurs enfants.

Merci Jung !

Extrait de la couverture de Babybox
Extrait de la couverture de Babybox