interview Bande dessinée

Louis

©Le Lombard édition 2015

Dessinateur et scénariste, Louis n'est plus un pâle inconnu dans le paysage du 9ème art. Celui que l'on a connu avec Tessa Agent Intergalactique n'a eu de cesse d'explorer une multitude d'univers allant de la science-fiction au fantastique, en passant par les super-héros et la comédie sentimentale. Avec une année 2015 extrêmement riche, nous l'avons contacté pour revenir ensemble sur quelques uns de ses albums marquants mais aussi ceux à venir, dont un certain Drones. Sur un scénario archi-efficace, l'artiste a pu nous prouver une fois encore combien il était un véritable guerrier de la bande dessinée, une sorte de soldat... Louis. Des drônes, des femmes et d'la guerre nom de Dieu...

Réalisée en lien avec les albums Drones T1, Martin Bonheur, Miss Deeplane
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
24 août 2015

Bonjour Louis. En 2015, s'est achevée la série Tessa, agent intergalactique. Quel regard portes-tu sur ce titre sur lequel tu as œuvré durant plus d'une dizaine d'années ? As-tu des regrets ou de vraies satisfactions ?
Louis : Comment avoir des regrets pour la série qui m'a lancé dans le monde de la BD. Je ne retiens que le bon, et le très bon. L'amitié avec mes deux comparses, les 14 albums Tessa-42-UE, les amis auteurs qui ont participé, le public qui a répondu présent, la nomination à Angoulême et les autres prix. Tout a été magique. Les rares bémols sont déjà dans les limbes. Tessa, ça a été de la magie. Un regret, quand même. Ne plus revoir nos persos. Mais c'est mieux comme ça, sûrement, même si... Mais je suis taquin, je fais des blagues, et donc, je continuerai à faire des clins d'œil et à faire vivre Tessa à ma façon. ;)

Louis Retravailleras-tu avec Nicolas Mitric à l'avenir ?
Louis : Oui ! Pour au moins deux albums. Le dernier Kookaburra, déjà, que je commence bientôt, dès que j'aurai fini le tome 2 de Drones, et un autre album sur lequel je ne peux rien dire pour le moment, mais qui me ravi pour des tas de raisons. Ensuite, Nico se retirant de la BD pour de nouvelles aventures qui seront, j'en suis sûr, couronnées de succès, je n'aurai plus, je pense, l'occasion de travailler encore avec lui. Mais si cette occasion se présentait, je dirai oui de suite. Nico c'est mon binôme créatif. Il se passe un "truc" quand on bosse ensembles, et aussi avec Seb qui venait mettre de la vie et de la magie sur Tessa. Ça me restera à vie.

Cela fait un moment maintenant que l'on te voit aussi bien à l'œuvre comme dessinateur que comme scénariste. Comment choisis-tu tes projets ?
Louis : Jusqu'à présent, comme scénariste, je dirais que ce sont plutôt les projets qui se sont imposés d'eux mêmes. Je pensais me scénariser uniquement, au début, quand j'ai voulu me tester sur 42. Et puis Arnaud Boudoiron m'a dit que Husk s'arrêtait suite à la volonté de Fred Lhomme de ne plus continuer. Je les avais présenté, Arnaud était en situation délicate et comme le tome 1 sortait, je lui ai dis: "je le lis, et si j'ai une idée, je vous la propose". Et boum. Et j'ai adoré écrire pour quelqu'un d'autre. Pour Valentin Sécher, sur Khaal, Jean Luc Istin m'a proposé de bosser avec lui, et voilà. etc etc. Depuis, je monte mes dossiers normalement, mais j'aime aussi que l'imprévu me fasse écrire quelque chose de non planifié, pour quelqu'un, comme quand Véra Daviet m'a dit que Lionel Marty cherchait du boulot. Boum. C'était partit ! Aujourd'hui, j'ai presque autant d'albums au scénar' que d'albums au dessin, et j'en suis ravi. J'aime faire du sur mesure, ou des boulots de commande, avec des contraintes, comme pour Sept clones". C'est motivant. C'est du challenge, et ça permet de ne pas faire toujours la même chose.

Louis Miss Deeplane En 2013, tu as pu sortir les aventures de Miss Deeplane, une super-héroïne pas comme les autres. Pourtant, c'était un personnage qui traînait dans tes cartons depuis très longtemps, non ? Pourquoi avoir mis si longtemps à la sortir de l'ombre ?
Louis : Miss Deeplane, Néa, c'est ma fille. C'est comme ça que j'étais noté dans le magazine Dixième Planète dans lequel elle est née en 2000 : "Papa de Miss Deeplane - Louis". C'est resté, et c'est aussi pour ça que je suis dans la BD,en père adoptif, rédac' chef d'un mag' de Geek. C'est une mise en abîme. Sinon, j'ai mis du temps à en faire une BD, c'est parce qu'avec le mag', on était propriétaire du perso sur des points différents. Moi du visuel, et eux du nom. Après l'arrêt du mag', il a fallu quelques années pour que je puisse en devenir propriétaire à 100%, et encore quelques années pour que je puisse en faire une BD. Voilà. Miss Deeplane étant mon premier perso, je la ferai vivre de petites histoires en crossover avec les BD des potes (comme dans The Formidables de Chris Malgrain ou le jeu Guardians Chronicles). C'est ma fille, et elle vivra aussi longtemps que moi ;) Tessa a été créée sur son modèle, après tout ;)

Ce titre est très réussi et n'hésite pas à passer de vrais messages humanistes. Comment as-tu mis au point ce récit ?
Louis : On ne parle que de soit, au fond. D'une manière ou d'une autre. Pour montrer ce qu'on déteste, ou des facettes de ce que l'on est. Comme quand mon perso et Néa (Miss Deeplane) parle de sa bipolarité. Ils parlent en fait de ma bipolarité à moi. Pour le reste, c'est pareil. La tolérance est importante pour moi, sur la sexualité, mais aussi sur la Foi, et d'autres sujets. Je n'aime pas les idées arrêtées. Ado, j'avais 17 ans,j'ai eu une très mauvaise expérience avec un gay "pressant". Ça m'avait rendu mauvais. J'ai pris ça comme une vraie agression, ce que c'était, en fait. Du coup, pendant un moment, je détestais les gays, parce que je pensais qu'ils étaient tous comme ça. Mais non, c'était juste un connard. Louis Festival Colmar Je l'ai compris plus tard. Je suis devenu plus compréhensif en apprenant à connaître d'autres personnes issues du milieu LGBT. Et là encore, j'ai découvert de l'intolérance. Contre les bisexuels qui étaient vus par les hétéros et les homos comme des homos en transit, pas encore assumés. Dans Miss Deeplane, j'ai voulu montrer ça. Néa est bi, mais sa compagne ne risque pas de la voir aller avec un homme, parce qu'elle est surtout monogame. Voilà.

Les aventures de Miss Deeplane sont-elles définitivement terminées ?
Louis : Non ;) Déjà, de petites histoires de 4 ou 8 pages sont en cours, ou déjà finies. Elles vont paraître dans des BD, jeux, etc. Quand j'aurai de quoi faire un album, je pense qu'on fera un recueil avec Clair de Lune qui m'a donné un accord de principe. Mais dans tous les cas, Miss Deeplane aura des actus régulièrement.

Dans Miss Deeplane, on aperçoit aussi d'autres figures bien connus du "french-comics" comme le Garde Républicain etc. Que penses-tu des héros à la française ?
Louis : Avec cette double page, j'ai voulu dire, humblement, aux auteurs français, et aux lecteurs : C'est possible ! On n'a pas à rougir vis à vis des américains. Nos Super héros existent, et ils sont nombreux ! Je fais partie de la seconde vague moderne d'auteurs français ayant créés leurs persos. La première vague étant celle de Lug, avec des Mitton, Tota, etc. Mais avant, les super héros français existaient déjà ! Regardez le superbe livre de Xavier Fournier : Super-Héros, une histoire Française, chez Huginn et Muninn. On fait du super héros depuis plus de 100 ans ! Pour parler des super héros français actuels, ils sont, comme Miss Deeplane, très "archétypés". On a fait nos versions des super héros américains. Perso, ça ne me dérange pas, mais je pense qu'il y a un juste milieu entre Super Dupont, et le "Avengers-like-clone". On trouvera petit à petit "notre" voie. Ou pas. Seul l'avenir nous le dira, mais pour le moment, on essaie, tous, à notre niveau, de faire vivre ce "multivers français" à coup de mini crossover. Miss Deeplane rencontrera bientôt le Garde Républicain, d'ailleurs.

Louis Xavier Fournier Super héros Une histoire française Sachant que tu es fan de comics de longue date, que penses-tu de l'évolution de la perception de celui-ci ces dernières années ?
Louis : Le lectorat est minime en France. C'est ce qu'on appelle une niche. Ça n'aide pas à changer l'image que les gens ont du comics. De celui de super héros surtout. Même si les gens sont friands des films, les BD, pour eux, c'est toujours pas les enfants. Je ne trouve pas que la perception ai changée. Du tout. Hormis pour quelques exceptions comme The Walking Dead, bien sûr. Mais quand je sortait de mon comic shop à Paris, les gens étaient toujours surpris de voir un golgoth dans mon genre acheter des Spider-Man. Perso, je m'en contrefous, mais l'image ne change pas. A mon humble avis. Les fans hardcore n'aident pas non plus à faire évoluer l'image du lecteur lambda, mais c'est un autre débat. Les quadras/quinquas dans mon genre, provinciaux, commandent à présent leurs albums en version originale sur le net.

Y a t-il aujourd'hui des artistes ou des séries de comics que tu aimes toujours suivre ?
Louis : Un artiste, surtout: Olivier Coipel. C'est un artist seller, pour moi. Je peux acheter un titre parce qu'il est dessus. Sara Piccheli aussi. Et plus récemment, Mahmud Ashrar. Il y a une cohérence graphique à tout ça ;) Sinon, je suis New Avengers, un peu Avengers, mais surtout Spider-Man, et Ultimate Spider-Man. J'adore Miles Morales. J'ai complètement stoppé DC. Ras le bol des ultimates 52 Crisis on Infinite je sais même plus quoi... Pénible.

2015 est décidément une année très productive pour toi car tu sors 2 BD en tant que dessinateur : Martin Bonheur et Drones. Deux titres très éloignés l'un de l'autre. Comment es-tu arrivé sur ces projets ?
Louis : 3 BD ! Tu oublies le dernier Tessa [NDR : mais oui !] ! Pour Martin Bonheur, à un moment donné, j'ai eu un projet avorté du jour au lendemain, j'ai donc posé une annonce en panique sur Facebook, et Jérôme, dont j'appréciais le travail, m'a contacté. Il m'a dit Louis Martin Bonheur que son histoire ne collait pas à mon style, mais il me l'a proposé. Bamboo n'y croyait pas non plus, mais j'ai dans ma culture Jérôme k Jérôme Bloche, Broussaille, et autres Théodore Poussin. c'était donc en moi, comme le comics et le manga. Et je rêvais de faire ce genre d'album, en étant étiqueté auteur SF... Je suis ravi d'avoir pu montrer "autre chose". Pour Drones, j'aimais le travail de Sylvain, et sur Facebook, une fois, je lui ai dit ce que je n'avais jamais dis à un auteur : "J'aimerai bien travailler avec toi". Il m'a dit: "Moi aussi". Et voilà, on a pris le temps de...

Peux-tu présenter Drones aux lecteurs et leur donner envie de les acheter en triple ?
Louis : En simple ce sera déjà bien, mais qu'ils le recommandent à trois personnes, etc etc. Drones, c'est un récit d'anticipation sombre, dur et anxiogène. Ce n'est pas Martin Bonheur du tout. Ce n'est pas rebutant, c'est réaliste. Un froid constant de ce que la guerre asymétrique peu devenir, parce qu'elle est déjà comme cela, un peu. Trois pilotes de drones ultramodernes européens donnent la chasse à une rebelle catholique qui utilise le terrorisme, dans une région de la chine, pour la rendre autonome. Les deux "héroines" sont donc Louise, la pilote néerlandaise, et Yun Shao, la chef autonomiste. Drones a la force de questionner, de mettre mal à l'aise parce que sa problématique est réelle, concrète, et tristement actuelle. Et puis, si vous n'achetez pas Drones, sachez qu'on a des images de vous sous la douche, prises de nos drones. Réfléchissez bien.

Les drones sont depuis quelques mois dans le feu de l'actualité du fait de certaines utilisations assez mystérieuses (sur des sites nucléaires par exemple). Penses-tu, comme le décrit la série, que les drones vont représenter une menace toujours plus grande à l'avenir ?
Louis : Rien n'est une menace en soit. Tout le devient dans les mains de personnes poussées par des motivations personnelles malsaines. Les Drones existent. Louis Drones Le Lombard Les robots commencent à exister. La réalité rattrape la fiction. Ils sont créés, dans un soucis d'idéal, de progrès, mais comme la fission de l'atome, il faut voir ce qu'on en fera. Les robots, et les drones, étant créés avant tout pour faire la guerre, et tuer des gens, ça réponds assez clairement à votre question... L'optimisme et l'humanité ne vont pas de paire, à mon avis.

Drones se déroule en 2037 et reste néanmoins très crédible d'un point de vue visuel. Comment as-tu géré cet aspect ?
Louis : Merci ! C'était voulu. Je voulais dès le début avoir un rendu "contemporain", mais avec juste ce qu'il faut de nouveautés pour se projeter dans un futur "proche". 2037, si le réchauffement climatique et les autres catastrophe qui nous pressent de toutes part (à cause de nous, pour la plupart) nous laisse le temps d'y arriver, sera surement plus high tech que ça. Le plus haut niveau de technologie étant sur la base, dans le cockpit. Du coup, ayant cela en tête, et que les drones n'étaient pas seulement les "avions", tout le reste à découlé. Ah bon ? Les Drones ne sont pas "que" les avions ? Non. Vous avez vu le nez des drones avions ? Et bien tout ce qui comporte ce "visage" ovale blanc à quatre yeux rouge "est" un drone. Véhicules militaires, voitures, robots, etc...

Etant toi aussi scénariste, comment s'est passé la collaboration avec Sylvain ?
Louis : Très bien. J'ai deux casquettes, et je sais rester et tenir ma place dans les deux cas. Quand je suis scénariste, je ne suis pas dessinateur, et inversement. Quand j'écris, j'aime dérouler mon histoire, et guider les dessinateurs. Quand je suis aux crayons, j'aime être dans les rails du scénariste, et tenter de respecter, et mettre en image au mieux sa vision de son histoire.

Louis Rocket Science Chris Malgrain Quels sont tes autres projets ?
Louis : Ce ne sont que des projets pour le moment, donc trop tôt pour en parler. Je vais des planches test. J'aimerai bien que Drones marche suffisamment pour faire un second cycle par contre, mais ça, c'est au public de choisir.

Si tu avais le pouvoir métaphysique de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre son génie, lui piquer des techniques ou faire ce que tu veux dans sa tête.... Chez qui irais-tu et pourquoi faire ?
Louis : J'aime trop l'idée qu'on est peinards dans nos crânes pour cambrioler celui d'un autre. En plus, pour moi, le rendu final d'un travail graphique découle du travail que je ne pourrais pas faire un truc pareil. Je ne voulais pas prendre de coke quand je bossais en pub parce que j'avais l'impression que j'aurai créé sous influence que donc, cela n'aurait pas été entièrement de moi même. La fierté vient du travail perso. Ca doit venir du fait que je sois autodidacte. En plus, dans ma tête c'est déjà tellement bordel que j'ai de quoi faire sans avoir besoin d'aller voir chez les autres comment ça se passe;) ha ha ha

Merci encore !

Remerciements spéciaux à Alain Delaplace pour la relecture très originale de ce fameux tube à boire !.

Louis Tessa