L'histoire :
Eté 2004, à Ketama. Au nord du Maroc, dans la région du Rif, le haschich est presque une religion. Le quotidien et les individus en sont imprégnés, de même que les tissus urbains, de la médina aux périphéries proches. Partout, des cafés situés dans des quartiers populaires où l’on fume en buvant un thé, la pipe de kif à la bouche. Voilà pour la version soft et routinière. Mais la culture du kif a d’autres conséquences, plus ou moins remarquables et légales. Le blanchiment d’argent, par exemple, donne naissance à de belles bâtisses, singulières et pleines de charmes, tranchant avec l’habitat populaire de proximité. Sans doute propriété de chefs mafieux, peu nombreux et très vite enrichis. Un peu plus loin, dans le village, on aperçoit aussi un énorme complexe sportif avec café, hammam, regorgeant d’infrastructures high-tech et pourtant désespérément vide… Beaucoup d’argent mais peu d’élus au final, et des vies souvent rudes, car la terre est pauvre. Des inégalités criantes, donc, une culture plus ou moins légale et légalisée, mais aussi quelques réussites sociales liées à cette culture controversée. Bref, des réalités socio-économiques diverses, souvent ancrées dans des paysages à la beauté chaleureuse…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Attention, cette chronique porte uniquement sur la BD de 30 pages, d’une revue qui en comporte plus de 200. A la manière d’Emmanuel Guibert ou de Joe Sacco, l’auteur belge Renaud De Heyn a voulu raconter le quotidien, parfois dur, d’individus vivant principalement de la culture du haschich, dans la région du Rif au Maroc. L’auteur y a en effet habité entre 2002 et 2004, puisqu’il enseignait la bande dessinée aux Beaux-Arts de Tétouan. Là-bas, entre désillusions et espoirs d’une vie meilleure, les familles paysannes labourent tant bien que mal des champs qui ne produisent plus autant qu’avant. 80% du haschich fumé en Europe vient pourtant de cette région. L’auteur expose avec simplicité différents parcours, souvent inachevés, et les conséquences de cette culture : peu de mafieux qui s’enrichissent, beaucoup de familles qui galèrent et une plongée dans l’illégalité toujours plus grande. Et par-dessus tout, l’Etat marocain qui interdit la culture du kif en dehors des régions de Ketama et de Bab Berred. En cas de résistance, le gouvernement vient arracher et brûler les plants. Parfois, c’est même six mois de prison ferme. Et toujours ces paysages magnifiques, tantôt verdoyant tantôt secs, rudes ou dangereux, derniers refuges d’un pays en pleine mutation. Des trajectoires variées, des réussites diverses, et au bout aussi, « l’incroyable hospitalité » des amis de Renaud. Un reportage graphique intéressant, ludique et instructif, au pays du Rif et du kif. A lire et à kiffer.