interview Bande dessinée

Gaëlle Geniller

©Delcourt édition 2021

Le roman graphique Le jardin Paris publié au début de l’année 2021, nous avait interpellé par la beauté de ses illustrations, par l’immense douceur et la bienveillance qui se dégageaient de cette histoire écrite et illustrée par une jeune autrice. Nous l'avons rencontrée sur le festival Quai des Bulles de Saint Malo, pour découvrir ses secrets de création de personnages attachants et d’ambiances feutrées.

Réalisée en lien avec les albums Le Jardin, Fleurs de grand frère
Lieu de l'interview : Quai des Bulles (St Malo)

interview menée
par
25 novembre 2021

Bonjour Gaëlle Geniller, peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?
Gaëlle Geniller : Alors je suis Gaëlle Genniller, je suis autrice, scénariste et coloriste de bande dessinée. J'en ai pour l'instant deux à mon actif qui sont Les fleurs de grand frère et Le jardin Paris. Et je suis toujours éditée chez Delcourt.

Comment en es-tu venue à faire de la bande dessinée ?
Gaëlle Geniller : J'ai découvert la BD on va dire au collège, et c'est à ce moment-là que je me suis dit que c'était hyper bien de raconter des histoires comme ça. Et en même temps j'ai appris à dessiner, j'ai découvert au collège que j'arrivais bien à dessiner et surtout que j'aimais ça. Et c'est comme ça que je me suis dit que je voulais raconter les histoires en dessinant, que c'était chouette. C'est grâce à la BD Les légendaires, c'est une BD qui m'a sauvé 4 ans de ma vie parce qu'au collège j'étais pas toujours très bien entourée. Et en fait Les légendaires ça a été vraiment le couloir de sortie quand j'avais envie de te kiffer un peu ma vie.
Copyright Geniller, Delcourt

Est-ce que tu as fait une école spécialisée dans la bande dessinée ?
Gaëlle Geniller : Pas du tout ! En fait, j'ai fait un bac arts plastiques et puis ensuite je suis allée au Luxembourg faire un tout petit BTS que personne ne connaît, en 2 ans. Et j'ai fait 2 ans d'animation, donc c'était du dessin animé. Avant j'ai travaillé dans le dessin animé, et après dans la bande dessinée.

Tu disais que ta dernière bande dessinée était donc Le jardin Paris est-ce que tu peux nous en parler ?
Gaëlle Geniller :Alors ça parle d'un jeune garçon, qui s'appelle Rose, qui grandit dans un cabaret des années 20 entouré par des femmes fortes et indépendantes, qui n’ont pas besoin d’hommes, qui n’ont besoin que d’être entre elles. Et Rose grandit dans cet univers là, et il n'a pas les codes de l'extérieur. Et la BD parle de ses premiers pas sur scène et des rencontres qu’il va faire, qui vont faire qu’il va s’émanciper en tant qu'artiste... ou pas.

Comme dans ton précédent album, tu abordes la question de la différence...
Gaëlle Geniller : Ben je crois que malgré moi ça se rejoint. Malgré moi, dans Le jardin Paris et Les fleurs de grand frère, les thèmes se rejoignent, mais je fais pas exprès. Je pense que, effectivement, c'est quelque chose qui me parle étant donné que j'ai fait Le jardin Paris parce que j'aurais bien aimé lire une histoire comme ça quand j’étais au lycée. J'aurais bien aimé lire une histoire qui met en scène un personnage différent mais positivement, qui ne subit pas sa différence mais qui la vit. J'aurais kiffé avoir un exemple comme ça, je pense que ça m'aurait aidé à assumer plus de choses aujourd'hui. Du coup je me suis dit : bon il y a pas ça... bon ben je vais le faire ! Et du coup je l'ai fait.

Copyright Geniller, DelcourtDans tes deux albums, la thématique des fleurs revient beaucoup, c’est quelque chose que tu aimes dessiner ?
Gaëlle Geniller : Oui, les fleurs c'est quelque chose que j'aime beaucoup. Je pense que c'est une image liée à ma famille, parce que quand j'allais chez mes grands-parents, mes grands-mères avaient un jardin magnifique. Et pour moi les fleurs c'était mes bonbons à moi, et je sais pas je me sentais bien avec, je les sentais, je les touchais, et je crois que c'est quelque chose que j'ai gardé. En fait, dès que je sais pas quoi dessiner, je dessine automatiquement une personne et plein de plantes autour. Du coup chez moi je m’entoure de plein de plantes et je sais pas, ça me fait un espace safe.

Comment as-tu procédé pour créer cette bande dessinée ? Parce que sur Les fleurs de grand frère on était sur un album jeunesse, sur un format très court, là avec Le jardin Paris on est sur un roman graphique plus imposant. Est-ce que c'était un défi pour toi ?
Gaëlle Geniller : Je ne sais pas, je pense que oui sur le papier se dire “je vais faire un truc de 200 pages”, c'est effectivement un challenge. Mais je ne l'ai pas ressenti comme ça. Parce que moi, si je m'étais écoutée, j'aurais fait facilement 300 pages. Mon éditeur était derrière moi en me disant que 300 pages c’était quand même un gros risque, que ça ne se vendrait pas forcément mieux. II y a plein de scènes que j'ai dû retirer, et c'était frustrant, mais je crois que si je devais faire les choses autrement je laisserai tout comme ça. Par contre, je continue quand même à dessiner les personnages aujourd'hui, et je les poste sur les réseaux sociaux. Copyright Geniller, Delcourt

A aucun moment tu t'es dit que ça pouvait faire une série, pour peut-être continuer à développer tout cet univers ?
Gaëlle Geniller : J'y ai pensé. Un jour en dédicace quelqu'un m'a dit : et à quand Le jardin Londres ? Et je me suis dit : il y a peut-être un truc. Mais je sais pas, j'aime bien cette magie du one shot on va dire. On a vécu une histoire, et en fait j'aurais trop peur de me foirer en faisant un tome 2.

Tu nous proposes un univers assez feutré, très positif et très doux. C'est vraiment caractéristique de ton univers ?
Gaëlle Geniller : Oui, j'ai voulu faire en sorte que le lecteur se sente bien du début jusqu'à la fin. Et ce qui revient beaucoup, et ce qui me fait beaucoup rire, c'est que plein de gens me disent : je m'attendais à ce qu'il y ait quelque chose qui arrive de négatif. Et ça n'arrive jamais. Et j'adore ! Je me dis c'est trop bien en fait, parce que les gens s'attendent à quelque chose, ils ont l'habitude d'avoir des récits à déconstruire, et là ils disent qu'il ne se passe rien. En même temps, est-ce que ça servirait le récit qu'il se passe quelque chose ? Et j'aime bien, je crois que je me suis sentie très très bien dans cet univers là pendant un an, je dirais deux ans. Je l'ai véritablement fait en un an et 9 mois, mais c'est une période où je me sentais bien. Le confinement aussi ça m'a aidé à avancer plus vite. Et oui c'était un univers que j'aimais bien, feutré, très bienveillant. Parce que tout est tellement plus facile quand on a des gens bienveillants autour de nous, que ce soit la famille ou les amis.
Copyright Geniller, Delcourt

Dans Le jardin Paris, l'action se passe à Paris, à une autre époque. Comment as-tu construit cet univers ? Est-ce que tu t'es basée sur des images d'archives, est-ce qu'il y a des choses qui t'ont inspiré ?
Gaëlle Geniller : Oui, alors la principale inspiration c'est les années 20 telles qu'on les idéalisent. On idéalise complètement les années folles, en disant que les gens faisaient tout le temps la fête, ils dansaient et il chantaient. Et c'était le cas pour une certaine classe sociale, mais pas pour tout le monde. Et moi ça a été vraiment un parti pris, je me suis dit : tu vas prendre tous les clichés des années 20 et tu vas les mettre là-dedans. Donc du coup, les couleurs, les gens qui dansent et les gens qui font la fête, même à la campagne (alors qu'à la campagne c'était pas du tout comme ça). Donc il y a ça, et puis je me suis beaucoup inspirée de tenues et d'artistes des années 20 pour faire les robes. Pour la petite anecdote, je dirais 90 % des tenues qu'on peut voir dans l’album ont vraiment existé et ont vraiment été portées, vendues par des femmes. Et j'ai plein, j'ai trop, de livres sur les années 20. J'en achète encore aujourd'hui, alors que j'ai terminé l’album, parce que je suis vraiment passionnée par cette période. Les vêtements et les idées qui commençaient à évoluer. Mais je fais aussi référence à un livre que j'ai lu durant le processus de création du Jardin, c'est La garçonne de Victor Margueritte. Et je trouvais ça très marrant que l'auteur s'appelle Victor Margueritte. Il l’a écrit en 1921, et en fait c'était tellement féministe pour l'époque, qu'on lui a retiré la légion d'honneur qu'il avait. Et je trouve ça génial, parce que c'est lui qui a fait que les femmes se sont mises à se couper les cheveux courts, c'est pour ça que ça s'appelle la garçonne. Et j'ai beaucoup aimé cet univers un peu décadent.

Dans ce roman graphique, on plonge dans l’univers du cabaret et en plein cœur de la ville de Paris. Est-ce que ce sont des univers qui te sont familiers personnellement ?
Gaëlle Geniller : Alors Paris oui, parce que j'y habite depuis 3 ans. J'adore cette ville, parce que j'essaie toujours d'avoir un regard de touriste dessus. Le cabaret un peu moins, même si j'ai quand même essayé de me renseigner un minimum. Je suis allée voir des spectacles d'effeuillage burlesque, vraiment ce qu'ils font dans Le jardin et c'était… Enfin j'ai adoré ! En regardant j'étais vraiment en train de me dire : c'est ça que j'ai envie de dessiner, c'est ça que j'ai envie de faire ! Parce qu’il y a des hommes et des femmes, des personnes trans qui s’effeuillent sur scène, et c'est que du body positivisme ! C'est très intime et libérateur, et c'est assez marrant. J'ai beaucoup beaucoup aimé, je suis revenue les voir après, plusieurs fois. Et ce qui est marrant c'est que, quand il s’effeuillent, plus le public fait du bruit plus ils retirent de vêtements. Et à la fin j'avais tout le temps des extinctions de voix. Copyright Geniller, Delcourt
Tu réalises tes bandes dessinées de A à Z, du scénario, aux dessins en passant par les couleurs. Tu préfères travailler en solo, où est-ce que si l’on te proposait d'illustrer un scénario déjà établi, c'est quelque chose qui te tenterait ?
Gaëlle Geniller : J'aime bien faire les choses toute seule, parce qu'il n’y a pas d'intermédiaire. On n'est pas obligé de se battre ou de discuter. J'aime bien quand les choses sortent spontanément, et quand tu fais quelque chose avec une personne, à moins d'être sur la même longueur d'onde qu’elle, c'est moins spontané. Parce qu’il faut plus réfléchir, la personne ne sera peut-être pas convaincue. Je crois que j'aurais beaucoup plus de mal à adapter le scénario de quelqu'un, que de donner un scénario à quelqu'un. Ça me dérangerait carrément moins. Pour que je dessine et que je fasse passer les émotions que je veux, je crois qu'il faut que j'aie un affect avec les personnages, qui soit très fort, et quoi de plus fort que d'inventer un personnage. Moi j’ai des persos que j'adore, qui m’aident même au quotidien. Des fois quand je ne vais pas bien je pense à Rose, je me dis : qu'est-ce qu'il aurait fait dans cette situation ? Et ça m'aide, c'est un peu thérapeutique et j'aime bien cet aspect là.

Comment procèdes-tu pour la colorisation ? Car on retrouve beaucoup de jeux de lumière, d’ambiances dans ton roman graphique.
Gaëlle Geniller : Techniquement, je travaille en aplats. Sur un rideau par exemple, je n’applique que du rouge et c'est après que je rajoute les ombres, les effets de lumière. Mais d'abord, je travaille en aplats, pour avoir l'atmosphère on va dire. Je me dis, pour certaines scènes ce sera plutôt une ambiance de soirée d'été : qu'est-ce qui m'évoque les soirées d'été ? C'est le orange, c'est le jaune, un petit peu de bleu pour les ombres, et je travaille vraiment comme ça. Et après, quand l'ambiance me plaît, je me lance et je mets les lumières je mets les ombres.

Est-ce que tu travailles sur d'autres projets en ce moment ?
Gaëlle Geniller : Oui tout à fait, je travaille sur quelque chose de très différent. Je travaille sur un spin-off des Légendaires. En fait, c'est un peu un rêve qui se réalise. Je lisais ça au collège et puis mon éditeur me propose de faire un tome des Légendaires. Ça ne me demande pas trop d'engagement parce que c'est qu’un tome, donc on peut s'appliquer. Du coup voilà, c'est un gros challenge pour moi je me met beaucoup de pression. Et puis après celui-ci, arrivera un autre projet. Il sera beaucoup plus personnel que les Légendaires, il ressemblera peut-être plus au Jardin, il y fera plus écho, même si ce ne sera pas les mêmes personnages, pas le même contexte. Mais je pense que dans l'atmosphère et la contemplation, ce sera un peu pareil.

Si tu avais le pouvoir cosmique de rentrer dans le crâne d’un autre auteur, chez qui irais-tu voir le monde, et pour y trouver quoi ?
Gaëlle Geniller : Jordi Lafebre ! Juste pour avoir sa vision du monde. Il décrit les gens avec une telle simplicité et une telle honnêteté, qui me touche mais à un niveau, je crois qu’aucun auteur ne m'a jamais autant touchée que lui. J'ai lu Malgré tout, qui a vraiment beaucoup raisonné en moi. J'aimerais juste me glisser derrière ses yeux pour voir tous les calques qu’il met sur le monde, et comment il voit les choses. Et je trouverais ça vraiment super intéressant, et sans hésiter Jordi Lafebre !