interview Bande dessinée

Kim Consigny

©Delcourt édition 2022

Kim Consigny est l’illustratrice du roman graphique George Sand, fille du siècle, qu’elle a réalisé avec Séverine Vidal. Cette biographie revient sur la vie de cette célèbre écrivaine, de son enfance jusqu’à sa mort. Cet ouvrage a nécessité un important travail de recherche, un véritable défi pour l’autrice qui ne s’était jamais attaqué à une bande dessinée avec un travail d’illustration aussi conséquent. Nous avons décrypté avec elle ce processus de création.

Réalisée en lien avec les albums George Sand, Forté
Lieu de l'interview : Quai des Bulles (St Malo)

interview menée
par
4 mars 2022

Bonjour Kim Consigny, peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?
Kim Consigny :Du coup je m’appelle Kim Consigny, et George Sand ça doit être ma cinquième bande dessinée je pense. Voilà j’ai trente ans, j’ai une formation d’architecte au départ, mais je n'ai jamais travaillé comme architecte. Je fais de la bande dessinée depuis à peu près dix ans, mais je ne fais que ça depuis à peu près six ans quelque chose comme ça. Je n’ai pas du tout fait d’école spécialisée en bande dessinée. Du coup j’ai toujours dessiné, comme la plupart des dessinateurs en fait. Je n'ai jamais vraiment arrêté. Mon compagnon dessine aussi, et on s’est tous les deux un peu poussés vers le dessin. Et j’ai ouvert un blog BD à la grande époque des blogs, sur la fin de la grande époque des blogs en fait, ça devait être en 2009 ou 2010. Et en fait j’ai dessiné en parallèle de mes études tout le temps. Et mes toutes premières pages de BD c’était pour un collectif chez Manolo Santis, qui est une maison d’édition qui n’existe plus, mais qui avait cette particularité d’être en ligne et en papier, et d’éditer tous les ans un ou deux collectifs d’auteurs jeunes et inconnus. Et donc beaucoup ont fait des choses après, il y a eu Maud Bégon, Anne-Lise Nalin, Terreur graphique aussi je crois qui en avait fait, plein de gens. Et donc c’était sur concours. Et mon copain s’était dit, je vais participer, et il m’a un peu poussé à le faire en me disant : mais non mais Kim je suis sûr que tu peux le faire et tout. Et moi je me disais, mais non, j’ai jamais fait de BD, j’y arriverais jamais. Et je me suis dit, en même temps il a raison, j’ai rien à perdre, donc allons-y. Et on a été sélectionnés tous les deux, on était une vingtaine dans l’album. On l’a fait tous les deux et c'était il y a dix ans tout pile. A partir de là j’ai fait des épisodes des Autres gens, c’est pareil ça n’existe plus, mais ça a été un vivier d’auteurs. Et à partir de là, ça s’est enchaîné.
L’une de tes dernières bandes dessinées est George Sand fille du siècle : est-ce que tu peux nous en parler ?

Kim Consigny :C’est une bande dessinée que j’ai faite en binôme avec Séverine Vidal, qui est autrice de bande dessinée et aussi autrice de romans. Ce n’était pas la première fois qu’on bossait ensemble, on avait travaillé ensemble pour Je bouquine pendant deux ans je pense. On avait six pages par mois. Ensuite on a fait une BD jeunesse ensemble aussi. Et donc là c’était notre troisième projet ensemble. On retrace quasi du début jusqu’à la fin la vie de George Sand, donc forcément pas de façon complètement exhaustive, mais en essayant quand même d’en dire le maximum sur une personne qui a quand même une vie incroyable. C’est un pavé d’un peu plus de 300 pages en noir et blanc.

Copyright Consigny, Delcourt
Comment vous est venue l’envie de travailler sur ce projet ?
Alors, en fait on était en train de discuter de notre précédent projet toutes les deux, qui était en train de sombrer, dont on essayait désespérément d’obtenir des nouvelles et on n'en avait pas. Donc on discutait, on échangeait des nouvelles, et je lui demande : t’es sur quoi en ce moment ? Donc elle m’explique un peu, elle était sur un roman, une bd, etc. Et elle me dit qu’elle a un ami de son fils. En fait, elle a plusieurs enfants dont un fils qui a deux ans de moins que moi quelque chose comme ça. Et un ami de son fils lui avait offert une biographie sur George Sand. Donc elle l’a lu d’une traite et elle me dit qu'elle a eu une vie incroyable, qu’elle a hyper envie d’en faire une bande dessinée. Moi j’ai lâché un peu tout ce que j’étais en train de faire, et je lui ai dit : t’as quelqu’un ? Et en fait c’était vraiment juste au stade d’idée et elle m’a dit : bah nan j’ai personne, pourquoi ça t’intéresse ? Et en fait on a fait un dossier, on l’a proposé à Delcourt et voilà.

Toi tu connaissais déjà le personnage de George Sand avant de commencer à travailler sur ce projet ?
Kim Consigny :Alors je la connaissais un tout petit peu, comme beaucoup de gens j’en savais assez peu de choses. On m’en avait parlé une seule fois de toute ma scolarité, ce qui est quand même pas beaucoup… Et en plus j’ai un bac L donc je trouve ça vraiment scandaleux. On m’en a parlé en quatrième parce qu’on étudiait Musset, donc on a eu le fameux paragraphe. Et c’était : c’est une femme qui signait sous pseudonyme masculin, elle portait le pantalon et c’était la maîtresse de Musset. En vrai c’est délirant. Et j’avais cherché un tout petit peu plus de mon côté, mais bon, je la connaissais franchement très mal. Et du coup, quand elle m’en a parlé, j’ai acheté la bio qu’elle avait lue, et pareil je l’ai lu d’une traite. Et je me suis dit : incroyable ! Pourquoi est-ce que tout le monde ne la connaît pas, vraiment j’arrivais pas à comprendre pourquoi. Mais c’était un peu obsessionnel, sur la fin je ne parlais que de ça, je pense que mon mec était content que ça s’arrête ! Peut-être qu’on peut ré-atterrir au XXIème siècle… Mais je suis trop contente, j’ai adoré travailler là-dessus.
Copyright Consigny, Delcourt

Du coup tu disais, effectivement ce n’est pas le même siècle, on se base sur une biographie d’un personnage historique. Comment as-tu mené tes recherches graphiques ?
Kim Consigny :Alors c’était un énorme boulot que j’avais honnêtement, pas très bien anticipé. Je savais que ça allait me demander pas mal de travail, mais en fait j’avais pas réalisé qu’on allait traverser tout le XIXème siècle, et qu’en fait j’allais pas être figée sur un instant T sur lequel j’allais faire mes recherches. Je faisais des recherches tous les jours. Clairement je commençais toutes mes journées comme ça, j’avais un peu un rythme de maboul. La BD je l’ai faite en un an et demi, c’était trop peu de temps en fait. Mais tous les matins je faisais mes recherches pour la journée. Je l’avais déjà fait en amont en travaillant sur le storyboard. Parce qu’en fait tout posait question : la moindre poignée de porte, quelqu’un qui amène un billet. Et en fait au XIXème siècle, on utilisait pas d’enveloppe parce que le papier c’était cher, et en fait ça c’est des trucs, si je ne cherche pas je peux pas le savoir. Et ça m’a demandé un gros boulot. Je me suis beaucoup basée sur des journaux de mode de l'époque, il y en avait beaucoup et on en trouve plein aujourd’hui, il y a plein d’exemples de tenues de l’époque. Et en même temps c’est toujours pareil, là on est quand même sur un personnage qui à certaines périodes a été assez riche, qui fréquente des gens qui sont plutôt riches ou mondains. Pour dessiner tous les gens de Nohant par exemple, aussi bien les serviteurs que les paysans du coin, c’était compliqué, car c’était plus difficile à trouver. Ca je le trouve dans des tableaux de gens de l’époque, mais c’était plus simple pour les costumes des gens qui avaient plus d’argent, c’est toujours pareil. Ouais y a eu ça, des archives en ligne du musée des arts décoratifs de Paris, où il y a énormément de robes incroyables, c’est vraiment des trucs fous. J'ai aussi regardé des films qui retracent sa vie. j’ai regardé celui avec Juliette Binoche sur son histoire avec Musset. J’ai un peu tiré dans tous les sens pour essayer de trouver un max d’informations.
Copyright Consigny, Delcourt

C’est effectivement un univers très riche, dans lequel on la voit grandir, et vieillir. Comment as- tu travaillé le dessin du personnage qui évolue, sur son visage qui reste assez emblématique, pour qu’on la reconnaisse mais avec ta patte d’artiste ?
Kim Consigny :Oui la faire vieillir c’était pas évident. C’était un peu compliqué, parce qu’effectivement il fallait qu’on la reconnaisse enfant, qu’on la reconnaisse en grandissant, en vieillissant. Et je me suis appuyée sur des caractéristiques qu’on lui connaît un peu : les paupières un peu lourdes, le nez reconnaissable, et les cheveux bruns, ça, ça a vraiment été le fil conducteur du livre. Ça aide à la repérer pas mal. Mais c’était pas évident effectivement de traduire depuis des tableaux ou des photos, on a quand même des photos mais c’est des photos dans lesquelles elle est assez âgée, et traduire ça en dessin puis le faire évoluer. Bon ça c’était un gros travail. Mais c’était bien à faire, c’était pas un truc que j’avais déjà fait et c’était cool de tenir un personnage sur toute une vie, c’était intéressant.

Tu as choisi d’utiliser la technique du noir et blanc : est-ce que c’était nouveau pour toi, ou est-ce que c’est quelque chose que tu maîtrisais ?
Kim Consigny :Non pas vraiment, c’était la deuxième fois que je le faisais. J’ai fait un Sociorama aussi chez Casterman, c’était une petite collection, c’était des formats carrés, en noir et blanc à l’intérieur, et la couv’ est en couleur ou en bichromie. Et ça mettait en relation un sociologue et un auteur de BD. J’ai adoré faire ça, j’ai travaillé sur les imams en France c’était trop bien ! Je l’avais déjà fait une fois, même si c’était très différent parce que c’est vraiment des formats où tu vas beaucoup plus vite. Alors que là je savais que j’allais y passer du temps, et surtout j’avais une énorme pression parce que forcément le point de comparaison c’était Catel, et ça fait très peur ! Et donc c’est un truc pour lequel j’ai travaillé pas mal pour essayer de faire en sorte que les planches se tiennent. Parce que je ne peux pas faire appel à la couleur pour qu’on reconnaisse les personnages ou pour créer des ambiances, donc c’était pas évident mais je suis contente de l’avoir fait. Et j’espère que ça fonctionne pas trop mal.
Copyright Consigny, Delcourt

Dès le départ, tu savais que ça serait en noir et blanc ?
Kim Consigny :En fait ça n'a même pas été une question, on me l’a dit tout de suite. Je pense que c’est aussi parce que c’est une grosse pagination, le faire en couleur ça coûte cher en fait. Ça augmente le prix d’achat du livre. Ensuite il faut, soit me payer moi, soit payer quelqu’un d’autre pour faire la couleur, donc ça aurait été trop.

Et à propos de la pagination conséquente : tu savais dès le départ sur quoi tu t’engageais ?
Kim Consigny :Oui je savais dans quoi je me lançais, et ça me faisait un peu peur. En fait, il s'est passé pas mal de temps entre le moment où on a commencé à travailler toutes les deux, où on a signé, et le moment où on a commencé. Et donc je savais, je le signais j’avais peut-être 27 ou 28 ans, je savais que j’allais avoir 30 ans au moment où il sortirait, et c’est trop bizarre en fait de se dire ça. Mais bon évidemment ça s’est passé comme ça, c’était prévu forcément. Mais il s’est passé plein de trucs. Je le savais dès le départ, je pense que c’est le premier truc que m’a dit Séverine : tu réalises que tu t’engages dans un truc qui va faire 300 pages. j’ai dit oui je sais. Mais c’est pas grave j’ai envie de le faire ! Donc je ne sais pas si je peux le faire, mais j’avais hyper peur. J’ai quand même eu un petit moment d’hésitation où je me suis dit : est-ce que vraiment il faut que je me lance là-dedans maintenant, est-ce que c’est pas trop tôt ? Est-ce que je vais y arriver ? Et je me suis dit qu’en fait je ne le saurais pas tant que je n’y serais pas allée. Et que j’allais forcément trouver des solutions à un moment, et que de toute façon t’es jamais prête, pour rien, donc voilà.
Copyright Consigny, Delcourt

A peu près en même temps que la sortie de cet ouvrage, il y a un autre album sur George Sand qui est sorti, pas du tout dans le même style. Est-ce que c’était une surprise, ou vous vous y étiez préparées ? Est-ce que c’était un point de comparaison, qui a pu vous servir ou vous desservir ?
Kim Consigny :Alors ça a été une surprise à mi-parcours en fait. On s’en est rendues compte par un hasard total, qui n'était pas très drôle. En fait en gros, nous on en était arrivé à la moitié je pense. Et elles aussi. Et Séverine a été mise en contact avec Nina Jacqmin qui est la dessinatrice de l’autre projet, mais pour complètement autre chose. Et en fait, Nina a dit à Séverine : désolée je peux pas en ce moment, je travaille sur une bande dessinée sur George Sand. Et là ça a été un peu la décomposition, franchement quand Séverine me l’a dit, honnêtement j’ai pleuré. Vraiment, il y a eu une espèce de panique totale, où on a appelé tout de suite l’éditeur, il devait être genre 21h, un jeudi soir, un truc qui n'avait aucun sens, en lui disant : au secours, on fait quoi ? Là c’est vraiment pas marrant. Surtout qu’il ne se passait rien, il n’y avait pas d’anniversaire, c’était vraiment un hasard. Je pense que la biographie de Michèle Perrot sur George Sand a joué, parce que c’est quand même une historienne hyper connue, et ce livre avait bien marché. Donc je pense que ça a donné des idées à plusieurs personnes en même temps, je pense que c’est ce qu’il s’est passé. Mais en fait, finalement comme les deux ouvrages sont très différents, j’ai pas l’impression que ça ait desservi, ni pour nous ni pour elles. Je pense que les gens qui adorent George Sand achètent les deux, et sinon on ne s'adresse pas au même public. J’avais une grosse angoisse sur la couverture, parce que je me disais : nous on a fait ça parce que ça nous paraissait évident : c’est sûr qu’elles vont faire la même chose ! Et en fait pas du tout, bien sûr que non. Mais honnêtement, j’en ai fait des cauchemars. C’est vrai que je ne m'y attendais pas.

Si tu avais le pouvoir cosmique de rentrer dans le crâne d’un autre auteur, chez qui irais-tu voir le monde, et pour y trouver quoi ?
Kim Consigny :Ah ouais je ne me suis jamais posé la question ! J’aimerais bien savoir ce qu’il se passe dans la tête de Anne Simon, que je trouve vraiment balèze. je trouve qu’elle a un dessin qui est hyper beau, hyper vivant. Qu’elle arrive à l’adapter en fonction des sujets, elle arrive à travailler sur des projets de commandes et des projets plus historiques, et aussi des projets hyper perso et complètement loufoques. Elle est hyper balèze et j’aimerais bien savoir comment elle fait.

Merci Kim !