interview Bande dessinée

Richard Marazano et Jean-Michel Ponzio

©Dargaud édition 2008

Qui dit mieux que des études d’astrophysique pour faire de la BD ? Le cursus étonnant de Richard Marazano est sans doute à l’origine de l’impact de ses scénarii, appartenant à des registres disparates : polar (Dusk, Cuervos), historique (Aguirre), jeunesse (Cutie B) et surtout thriller d’anticipation scientifique (Blue space, Le complexe du chimpanzé, Genetiks). Pour ces derniers, le scénariste s’adjoint les talents d’un sacré « bidouilleur » d’images : Jean-Michel Ponzio. Photos reconstituées, assemblées, redessinées, l’artiste a dompté l’outil informatique comme nul autre !

Réalisée en lien avec l'album Le complexe du chimpanzé T2
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
11 juillet 2008

Le complexe du chimpanzé - Copyright Marazano/Ponzio/Dargaud 2008Pour commencer, pouvez-vous nous résumer votre œuvre et votre parcours vous menant à la bande dessinée.
Jean Michel Ponzio : J'avais envie de raconter plein de choses, et j'avais deux options, la bande dessinée et le cinéma. L'avantage de la BD est que tu fais tout toi-même, cadreur, costume, effets spéciaux. J'ai débuté en faisant quelques courts métrages, des films de genre. Faire un film c'est une vraie bataille. J'ai toujours aimé dessiné, j'ai du faire la première planche à 9 ans. Pendant très longtemps, on se pose plein de questions, suis-je capable de faire un héros, etc. J'ai mis du temps à trouver la technique qui me satisfasse.

Tu as trouvé un compromis entre les deux...
JMP : Exactement. Le fait que j'aime le cinéma me donne envie de donner une dimension plus cinématographique à mes titres et travailler avec des personnes réelles me permet de recueillir des émotions qui ne sont pas toujours évidentes à inventer.

Vous devez aimer les titres de Christophe Bec, ultra-réalistes ?
JMP : J'adore. Bec a un trait magnifique et un des plus beaux encrages. Je suis influencé par tellement de gens, Giraud Gillon, Boucq entre autre.


Le complexe du chimpanzé - Copyright Marazano/Ponzio/Dargaud 2008Et toi Richard, comment as-tu débuté ?
Richard Marazano : J'ai commencé par faire des études d'astrophysique, j'étais très versé dans des notions abstraites, je voulais faire de la physique quantique. J'ai été viré de la fac de sciences parce que je n'étais pas si rapide que ça, notamment dans les mathématiques. J'étais quelqu'un qui mangeait de tout, cinéma, bande dessiné, peintures... Finalement, j'ai failli faire une école de cinéma et j'ai été pris aux Beaux Arts d'Angoulême.

En tant que dessinateur ?
RM : Oui, je dessine ! J'ai fait un titre chez Carabas qui s'appelle Le bataillon des lâches. Je suis en train de travailler sur une nouvelle série avec Xavier Dorison et qui devrait sortir en septembre et qui s'appelle Le syndrome d'Abel chez Glénat. J'officie dessus au dessin et à la couleur, ce qui devrait surprendre les gens.

…Xavier Dorison, qui a signé une extraordinaire préface sur le Complexe du chimpanzé ?
RM : En fait, on s'est rencontré lorsque l'on était chez les Humanoïdes Associés, quand j'ai fait Dusk. On avait sympathisé, on parlait de l'écriture et on n’était d'accord sur rien. Puis, en se connaissant mieux, on s'est découvert plein de passions communes. C'est un collaborateur charmant et avec qui j'adore travailler. Comme Jean-Michel mes collaborateurs sont humainement géniaux.

Tu connais beaucoup d'astrophysiciens devenus auteurs de bande dessinée ?
RM : Non, les seuls que je connaissais étaient ceux à l'université. Depuis je n'ai pas vu le poil de la moustache d'un astrophysicien depuis bien longtemps.

Le complexe du chimpanzé - Copyright Marazano/Ponzio/Dargaud 2008
Ensuite, tu as débuté avec la science fiction et le polar...
RM : Avec Zéro Absolu et Sidney et Howell pour la science fiction, puis avec Dusk et Cuervos dans le polar. Quoique je ne sais pas si Cuervos peur entrer dans cette catégorie, il est un peu atypique. Il a été nommé à Angoulême entre autre. Le complexe du chimpanzé a obtenu récemment un prix Lion du meilleur album à Lyon.

Le complexe du chimpanzé - Copyright Marazano/Ponzio/Dargaud 2008Comment est venue l'idée de Cuervos ?
RM : J'ai vu un documentaire sur des gamins au Bangladesh et au Pakistan. Ils avaient une vision pertinente sur la façon dont fonctionnait le monde et qui étaient tout de même très fataliste. J'avais vu aussi un enfant en Algérie qui, à 7 ans, avait une vision politique. Il haranguait des stades entiers en parlant du Coran. J'avais donc fait 5 pages d'essai sur ce qui deviendra Chaabi et que j'avais présenté aux éditeurs. Ils m'ont tous répondu que, n'ayant pas de personnages occidentaux, les lecteurs ne pourraient pas s'identifier. J'étais surpris de me dire qu'au XXIe siècle, on en soit encore là. J'avais aussi présenté ça à Glénat, à l'époque où Didier Convard était directeur de collecteur avec Laurent Muller. Ils avaient aimé tous les deux, mais ils m'ont demandé de transposer cette histoire en Amérique du Sud et la rendre un peu plus sombre. J'ai tenté le coup et au lieu d'adapter mon histoire, j'en ai créé une nouvelle. Ils étaient emballé et m'ont demandé qui je voulais en dessinateur et j'ai choisi immédiatement Michel Durand.

Comment dessines-tu Jean-Michel, quelles techniques utilises-tu ?
JMP : Je prends des photos que j'habille. J'effectue une sorte de casting selon les indications de Richard. Cela peut être des amis ou de la famille, voir même des professionnels. Sur Le complexe du chimpanzé, c'est une mannequin professionnelle qui s'appelle Natsu qui joue Hélène. Pour Sophia, c'était ma petite voisine du dessus…

Dans ce cas, le plus dur doit être de trouver à dessiner Youri Gagarine ?
Le complexe du chimpanzé - Copyright Marazano/Ponzio/Dargaud 2008JMP : En fait, j'ai du trouver quelqu'un lui ressemblant. J'ai mélangé le vrai et le mien et le résultat est assez probant car on ne voit pas qui est le vrai. Je photographie et soumet le tout à Richard qui valide.

Pour les aspects technologiques aussi ?
JMP : Oui, je fais beaucoup de recherches, sur internet entre autre. Quand je veux montrer l'intérieur d'une navette, rien ne vaut une vraie. Je fais également des modèles en 3D pour les décors qui me servent souvent, comme la maison d'Hélène par exemple. Je fais une grosse bidouille entre tout afin d'avoir un rendu homogène, je veux que la 3D, les photos et le dessin forment un tout solide. J'essaie de me donner les limites que j'aurai sur papier, je ne descends jamais en dessous de 3 pixels car après à l'impression, cela ne se verrait pas. Pour parler technique, la page est à 300 DPI et quand je fais l'encrage et la couleur, je suis à 600 DPI.

Est-ce que parfois, cela ne te donne pas l'impression de faire un roman-photo ?
JMP : L'idée est que les personnages soient reconnaissables. Lorsqu'on veut raconter ce type d'histoire, c'est bien que l'on ait l'impression que les personnages existent vraiment. Et puis en terme d'expressions, on a un petit plus. Il faut savoir qu'il est aussi difficile d'avoir tous les personnages en même temps, tous sont photographiés séparément. Le travail sur la lumière est différent. Sinon, quand j’ai le temps je travaille en parallèle sur d'autres choses dans des styles différents.

Pour les dédicaces, tu fais comment ?
JMP : Je dessine les personnages. Je les ai tellement faits, que je commence à bien les connaitre. Initialement, on crée son personnage de zéro et à force on le maîtrise de plus en plus. Pour les dédicaces, c'est assez difficile, vu que je fais plusieurs séries en même temps, je ne pourrais pas être exhaustif. Le complexe du chimpanzé - Copyright Marazano/Ponzio/Dargaud 2008Et puis il faut voir que je ne travaille pas sur papier, c'est entièrement virtuel donc je ne devrais même pas faire de dédicaces. Il y a un travail sur les visages, les lumières... J'avais pensé au départ venir avec mon ordinateur mais niveau logistique c'est un peu compliqué : les amateurs devraient venir avec une clé USB ou que faire si l'imprimante tombe en panne…. J'appellerais ça une DVO, une dédicace virtuelle originale, quelque chose de personnel et en couleurs. Mais c’est vrai que je serais plus à l'aise comme ça.

Quels sont vos projets à venir ?
RM : Le dernier tome du Complexe du chimpanzé pour la fin de l'année, les suites de Genetiks, de Chaabi qui seront en 3 tomes. Une nouvelle série qui s'appellera Jérusalem avec Patrick Pion, Cutie B avec Yishan Li, Le rêve du papillon avec une autre artiste chinoise, Le syndrome d'Abel qui est un récit entre polar et fantastique. Il y a aussi 2 titres chez Carabas, un avec Gabriel Delmas, Aguirre et un autre avec Camille Legendre sur Guerrero. Il y a aussi un premier album avec Alfonso Fonte. Avec Jean-Michel, après la fin du Complexe du chimpanzé et avant la fin de Genetiks, on sortira une nouvelle série dont le titre est encore en négociation !
JMP : En dehors des trois séries avec Richard, j'ai un projet personnel avec un producteur pour adapter un film d'animation. Cela devrait voir le jour prochainement.

Qu'en est-il de Blue Space ?
RM : C'est un projet de commande, qui ne devait se vendre qu'au sein d'EADS et qui s'est retrouvé mis sur le marché. C'est un récit où l'on était sous contrôle d'EADS, des responsables de projets. On discute éventuellement d'un tome 2 avec un nouveau partenaire. On n'a pas compris comment cela a été proposé aux libraires.

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Vous êtes inséparables ?
JMP : Richard est quelqu’un de génial : il est très prolifique et possède un répondant assez extraordinaire. Le prochain sujet que l'on fera ensemble vient d'un documentaire que j'avais vu à la télé, et il en a fait une histoire qui dépasse tout ce que j'avais pu espérer.
RM : Tout le monde trouve que c'est un tandem qui fonctionne bien, on est très réactif et exigeant l'un envers l'autre. Ce serait dommage d'arrêter lorsque l'on pense que cela devient pertinent.

Richard, avec autant de sortie, tu veux concurrencer Eric Corbeyran ou Jean-David Morvan ?
RM : On m'a déjà fait la remarque mais je n'écris pas du tout de la même façon. Jean-David aime bien creuser des domaines, le côté cyber, world culture et de temps en temps, il sort quelque chose aux antipodes. Je connais moins les travaux d'Eric, il a quelques grandes tendances. Je pense qu'avec ce que je vais sortir cette année, on y verra moins de concurrence. Les concepts de Genetiks et du Complexe du chimpanzé ne sont pas très proches. Pour le Complexe du chimpanzé, sans donner de lauriers que l'on ne mérite peut être pas, est plus proche d'un 2001 l'odyssée de l'espace ou de grandes aventures spatiales. Pour Genetiks, on est plus proche d'un récit à la eXistenZ ou à la Bienvenue à Gattaca. Ce sont des récits plus dérangeants, en cinéma ce serait un budget dix fois inférieur. Genetiks est un polar fantastique angoissant, plus intimiste.

Quelles bandes dessinées conseilleriez-vous ?
RM : Pour des raisons graphiques, j'adore les dessinateurs espagnols ou argentins. J'aime ces dessins réalistes, même s’ils sont décriés par certains. Dans les années 70, des auteurs comme Moebius avaient des approches fondamentalement réalistes et dépassaient tout ça, créant de nouveaux sentiments.
JMP : Je crois que par défaut, je dirais Le garage hermétique de Moebius, qui m'a beaucoup influencé. J'adore ce que fait Giraud, Boucq, Goetlib.

Si vous aviez le pouvoir cosmique d'être un auteur de bande dessinée, qui choisiriez-vous ?
RM : Jean-Michel Ponzio ! Il y a évidemment Goscinny, même si ce que je fais n'a rien à voir. Les gens ne sont pas égaux toute leur vie donc c'est difficile. Au cinéma, j'aime Kubrick, Andrew Nichols. En dessinateur, j'aime les bases de Jean-Michel, Pasquale, Travis Chavez. Mais j’essaierai aussi d’être un artiste de littérature ou de musique, qui est pour moi aussi un art narratif.
JMP : Il y en a tellement, beaucoup de dessinateurs réalistes, il y en a trop !

Merci à tous les deux !!!

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