interview Manga

Shiori Teshirogi

©Kurokawa édition 2013

Découverte chez nous avec Kieli et Delivery, Shiori Teshirogi s’est vraiment faite connaître avec Saint Seiya - The Lost Canvas. Mais s’attaquer à un titre mythique qui a bercé toute une génération, n’était-ce pas un défi fou et dangereux, même s’il a finalement été relevé haut la main ? Pour en savoir plus, nous avons interrogé la mangaka lors de son passage à Nice à l’occasion du salon Cartoonist 2013, lors d'une rencontre pleine de cosmo-énergie...

Réalisée en lien avec les albums Saint Seiya - The lost canvas T1, Saint Seiya - The lost canvas chronicles T1, Kieli T1
Lieu de l'interview : Cartoonist 2013

interview menée
par
14 juin 2013

Comment et pourquoi êtes-vous devenue mangaka ?
Shiori Teshirogi : J’ai toujours voulu dessiner des mangas, depuis que je suis toute petite. Mais ce qui a vraiment déclenché mon envie de devenir professionnelle, c’est quand mon petit frère a acheté les mangas de Saint Seiya quand j’étais au primaire environ. Ce qui m’a vraiment plu, c’est que non seulement le manga était bon, mais surtout dans les commentaires en fin de volume de M. Kurumada, on sentait vraiment la passion qui transpirait et ça m’a beaucoup inspiré pour devenir dessinatrice moi-même. Donc, quelques années plus tard, quand l’éditeur Square Enix a organisé un concours qui s’appelait le grand prix du manga game fantasy, j’ai participé et j’ai été sélectionnée. J’ai ensuite participé à un 2ème concours de Square Enix qui s’appelait le grand prix du manga du 21ème siècle. Là encore j’ai été sélectionnée et primée. A partir de là, j’ai eu un éditeur qui m’a accompagnée et qui m’a permis de faire mes débuts dans l’industrie du manga.

Shiori Teshirogi, en dédicace lors de sa venue en France au salon Cartoonist 2013 Par le biais de la série Saint Seiya, que ce soit celle de M. Kurumada ou quand vous avez travaillé sur The Lost Canvas, vous êtes-vous intéressée à la mythologie grecque ou à la mythologie en général ?
Shiori Teshirogi : Evidemment quand j’étais au primaire, le manga Saint Seiya m’a donné envie de lire des ouvrages sur la mythologie grecque. Mais quand j’ai dessiné The Lost Canvas, il s’était passé plus d’une dizaine d’années donc il a fallu que je me rafraichisse un peu la mémoire et que je fasse des recherches. J’ai donc acquis plusieurs ouvrages à propos de la mythologie grecque et j’ai cherché des détails particuliers, par exemple pour en savoir plus sur la mythologie de l’étoile d’Aldébaran, la constellation du taureau, des choses comme ça...

Comment s’est déroulée la collaboration avec M. Kurumada sur Saint Seiya The lost canvas ?
Shiori Teshirogi : Dans ma relation quotidienne avec M. Kurumada, je dirais que c’est quelqu’un qui m’a un peu pris sous son aile et qui est très bienveillant à mon égard. Par exemple, on va faire des hanami ensemble (ndlr : tradition japonaise qui consiste à aller admirer les fleurs, notamment celles des cerisiers), et dernièrement il m’a invitée au restaurant avec mon petit frère. Chaque fois qu’on se voit, on parle très longtemps, pendant des heures, on échange nos idées, on s’envoie aussi beaucoup de mails. Par exemple, juste avant que je ne vienne à Nice il m’a envoyé des mails d’encouragement pour me dire « ça va bien se passer », et quand je rentre chez ma mère à la campagne je lui envoie des légumes, on s’envoie des cartes de vœux... Voilà, finalement je dirais qu’on a une relation qui est assez proche.

Ci-dessus Shiori Teshirogi, en dédicace lors de sa venue en France au salon Cartoonist 2013



Parlons du design des personnages. Par rapport à leurs homologues de la série d’origine, certains chevaliers d’or sont très ressemblants et d’autres sont complètement originaux. Quel est votre degré de liberté dans le design : Le chevalier d’or du poisson est-ce que vous avez une liberté totale ou M. Kurumada vous conseille ou vous oriente sur le physique des personnages ?
Shiori Teshirogi : En fait, à l’époque où j’ai dessiné les chevaliers d’or pour la première fois dans The Lost Canvas, ce n’était pas une série qui devait durer très longtemps. On n’avait pas prévu que je dessinerais autant de chapitres, donc à part Albafica, je n’étais pas censée faire d’autres chevaliers d’or. Au fur et à mesure que la série a continué, je me suis dit « Mince, il va falloir que je dessine d’autres chevaliers d’or, donc il va falloir donner le meilleur de moi-même pour être à la hauteur de ce que les gens attendent ». A partir de là, j’en ai parlé à M. Kurumada qui m’a donné quelques indications. Je lui disais « Voilà, pour les chevaliers d’or, j’aimerais faire comme ceci ou comme cela »... Donc j’avais une certaine liberté mais je me suis quand même toujours référée à lui et à son opinion.

Ci-dessus : Albafica, le chevalier d’or du poisson sur l’un des ex-libris proposés au salon cartoonist 2013, avec une dédicace de Shiori Teshirogi



Quelle a été la plus grosse difficulté quand vous avez fait Saint Seiya The Lost Canvas ?
Shiori Teshirogi :  Méphistophélès La plus grosse difficulté c’était d’avoir en main des personnages que j’adorais - et que tout le monde adorait parce que Saint Seiya est une licence qui est très connue, et il fallait que je les tue les uns après les autres ! C’était affreux de tuer ces personnages que tout le monde aimait. Et c’était horrible parce que je passais par des phases montantes et descendantes : lorsque je tuais un des personnages, j’étais plongée dans des abîmes de dépression, et après je remontais parce que du coup je m’occupais d’un autre personnage et ça me faisait très plaisir. Mais après je devais le tuer lui aussi... J’avais des sautes d’humeur assez insupportables pour tout mon entourage. Je m’en excuse parce que c’était une période de ma vie où j’ai été très difficile à vivre. Ça a été très éprouvant psychiquement, ce manga. Même si d’une manière générale, dessiner The Lost Canvas a été quelque chose de difficile, je pense que le plus dur a été de tuer les personnages les uns après les autres.


Ci-dessus : dédicace représentant Méphistophélès, de la série The lost canvas



Est-ce que le spin-off que nous découvrons aujourd’hui en France, The Lost Canvas Chronicles, est né d’une volonté de revoir une dernière fois ces personnages-là ?
Shiori Teshirogi : C’était effectivement ça, mais c’est venu après. C’est-à-dire que j’étais en train de dessiner les derniers chapitres de The Lost Canvas et mon éditeur m’a dit « Tiens, tu n’aimerais pas faire des chroniques après ? ». J’ai répondu « Oui, pourquoi pas ». Et c’est en commençant à dessiner The Lost Canvas Chronicles, que je me suis dit « Ah ! Mais en fait c’est une bonne occasion de pouvoir les dessiner sous un nouveau jour, de mettre en avant des petites anecdotes, le quotidien du sanctuaire, etc. ». Voilà, le plaisir est arrivé après, au fur et à mesure que je le faisais.


Chronicles tome 1
Le tome 1 de Saint Seiya - The lost canvas chronicles était disponible en avant-première au salon Cartoonist 2013 pour la venue de l'auteur en France

C’était donc plutôt une volonté de l’éditeur ou est-ce que M. Kurumada a participé à cette activité ? Est-ce qu’il vous a poussé dans ce sens ?
Shiori Teshirogi : C’était une idée de l’éditeur de faire ces chroniques. Ils ont demandé à M. Kurumada ce qu’il en pensait et il a dit « ouais, c’est bon, OK » parce qu’il est toujours très coulant. A partir de là, comme c’était des personnages qui existaient déjà, finalement il ne s’agissait que d’écrire des histoires originales de personnages qui avaient déjà été présentés et validés. Donc j’ai pu faire ce que je voulais.

Tenma de Pégase Vous qui étiez fan de Saint Seiya dès l’enfance et avez fait vos débuts sous le pseudo Marin Gold, un nom issu de la série, que retirez-vous de l’expérience The lost canvas ? Est-ce que Saint Seiya est l’œuvre de votre vie ?
Shiori Teshirogi : Oui je pense que le fait de dessiner Saint Seiya est la chose la plus importante qui me soit arrivée dans la vie parce que ça a vraiment changé ma carrière. Par exemple, c’est grâce à ça que je suis ici aujourd’hui. C’est vraiment bizarre de se dire que M. Kurumada avait déjà changé ma vie quand j’étais au primaire et que j’ai lu son manga puisque cela a décidé de mon orientation professionnelle. Là, me donner l’occasion de dessiner Saint Seiya, c’était une deuxième manière de changer ma vie.

Ci-dessus : Tenma de Pégase, une des illustrations de The lost canvas proposées sur les ex-libris du salon Cartoonist 2013



Votre précédente série Kieli est en fait l’adaptation en manga du premier tome du roman éponyme (qui en compte neuf au total) et plus précisément de la partie intitulée « Des morts reposent sur les terres sauvages ». Pourquoi avez-vous choisi d’adapter ce roman, et comment est né ce projet ?
Shiori Teshirogi : Doko de la balance A l’époque où on m’a proposé le projet Kieli, j’avais fait une série de mangas sur les problèmes de société, sur la prostitution et des choses comme ça, comme Delivery par exemple. Mon éditeur et mon rédacteur en chef de l’époque m’a dit « écoute, c’est pas mal ce que tu fais mais je pense qu’il y a moyen de te mettre encore plus en avant, on va essayer de trouver quelque chose ». Il a alors cherché un roman à me faire adapter en manga pour que je puisse gagner en notoriété et que je puisse avancer dans ma carrière. Il a beaucoup cherché et il a trouvé ce roman, Kieli. Il me l’a fait lire et j’ai trouvé ça vraiment bien. Et il m’a dit « je vais arranger le coup : on va le faire en manga et c’est toi qui va le dessiner ». J’ai beaucoup de respect pour ce rédacteur en chef parce qu’il est décédé juste après que je rende le premier chapitre de Kieli. Je me dis que ce manga, c’est ce qui m’a fait connaître au Japon. C’est grâce à cet homme que ma carrière a avancé, et il n’a pas pu voir tout ça. Ça me rend très triste. C’est vraiment quelqu’un à qui je dois beaucoup.

Ci-dessus : Dôko, chevalier d'or de la balance, une des illustrations de The lost canvas proposées sur les ex-libris du salon Cartoonist 2013



A la base, Kieli est un roman et Saint Seiya est une histoire créée par quelqu’un d’autre. Quel a été votre degré d’implication dans les scénarios de ces adaptations ?
Shiori Teshirogi : En ce qui concerne Kieli, c’était l’adaptation d’un roman donc il fallait être la plus fidèle possible et j’ai suivi l’histoire à la lettre. J’ai juste eu le droit de faire quelques petites adaptations pour que les transitions soient plus souples, parce qu’en manga la narration n’est pas la même qu’en roman. Mais pour le reste, à part quelques nuances, je suis restée très proche de l’original et je ne devais pas m’en détacher. Pour ce qui est de The Lost Canvas, c’était complétement différent. C’est-à-dire qu’au début M. Kurumada m’avait fait une liste de scènes qu’il fallait absolument mettre, de directions à prendre, de caractères pour les personnages... Une fois que j’ai eu épuisé cette liste, il m’a dit « Bon écoute, fais comme tu veux ». Donc j’étais libre de finir cette série comme je voulais, il fallait juste que je passe par tous les points qu’il avait listés. Donc j’ai eu la chance de pourvoir le faire assez librement finalement.


Cancer
Le chevalier d'or du cancer dessiné par Shiori Teshirogi lors de son passage en France au salon Cartoonist 2013

A propos de Delivery, il s’agit d’un shôjo sans notion de fantastique. Est-ce que c’est quelque chose sur lequel vous voudriez revenir un jour ?
Shiori Teshirogi : J’ai eu une bonne expérience sur Delivery. Si je me remettais à écrire des mangas tirés de problèmes de société, je pense que j’aurais un autre regard aujourd’hui puisque j’ai grandi. Mais d’un autre côté, je ne suis pas quelqu’un de très shôjo en fait. Moi, je viens vraiment de la fantasy, je ne pense pas être quelqu’un qui soit particulièrement doué ou qui soit prédisposé à faire du shôjo donc ce n’est pas quelque chose qui m’intéresse pour l’avenir.

Risa, l’une des héroiïes de Delivery Est-ce qu’il y a d’autres genres que vous aimeriez explorer par la suite, et avez-vous déjà des projets pour l’après Saint Seiya ?
Shiori Teshirogi : En fait, mon responsable éditorial qui m’accompagne depuis le début de The Lost Canvas a été transféré, et il travaille maintenant dans un autre magazine. Du coup, il m’a proposé de faire un autre manga, mon propre manga original, et ce sera une histoire de fantasy. J’y pense de plus en plus en même temps que je suis en train de terminer The Lost Canvas Chronicles. En même temps, j’aimerais aussi faire un manga un peu plus léger, un manga sur des chats, quelque chose où il n’y ait pas de bagarre, dans un autre magazine encore et dans un autre registre. J’aimerais pouvoir explorer de nouveaux genres pour montrer d’autres facettes de moi-même en tant qu’artiste.

Ci-dessus : Risa, l’une des héroïnes de Delivery



Shiori Teshirogi en interview, lors de son passage en France au salon Cartoonist 2013 Si vous pouviez être un personnage de manga, qui choisiriez-vous ?
Shiori Teshirogi : Hum... Je crois que je voudrais devenir soit Seiya, soit Jôtarô Kûjô de Jojo’s bizarre adventure.

Si vous pouviez avoir accès à l’esprit d’un autre auteur pour tout comprendre de lui, comprendre son génie créatif, etc. Qui choisiriez-vous et pourquoi ?
Shiori Teshirogi : Dernièrement, il y a un manga qui s’appelle Moteki et j’aimerais bien rentrer dans la tête de son auteur (Mitsuru Kubo, NDR) parce qu’elle a une science du vocabulaire qui est absolument incroyable. J’aimerais bien savoir comment elle fait pour mettre en place tous les dialogues de son manga.

Est-ce que vous avez discuté avec M. Kurumada de cette venue en France ? Est-ce que quelque part ça l’a rendu jaloux ? Aimerait-il venir un jour en France ? Parce que nous on l’attend !
Shiori Teshirogi : Quand je lui ai annoncé que je venais à Nice et que je lui ai dit « Je ne suis pas très rassurée, vous ne voulez pas venir avec moi ? », il m’a répondu au contraire « Non ! Je déteste l’avion donc je n’irai pas en France ! ». Du coup, il m’a dit « Vas-y pour moi et accroche toi pour deux ! ». Moi j’aimerais bien qu’il vienne pourtant...

Ci-dessus : Shiori Teshirogi en interview, lors de son passage en France au salon Cartoonist 2013




Merci !


Chevalier d’or du lion
Regulus, le chevalier d’or du lion dans Saint Seiya The lost canvas, dessiné par Shiori Teshirogi lors de son passage en France au salon Cartoonist 2013




Merci aux éditions Kurokawa


Interview réalisée conjointement avec Manga-news et Tonnerre de bulles

Toutes les illustrations de l'article sont ©Shiori Teshirogi
Toutes les photos de l’article sont ©Nicolas Demay