interview Bande dessinée

Cédric Apikian

©Casterman édition 2019

Auteur/réalisateur de cinéma depuis une vingtaine d'années, Cédric Apikian se lance pour la première fois dans la bande dessinée... et il ne le fait pas n'importe comment ! D'emblée, il s'associe avec l'un des plus grands dessinateurs réalistes de notre temps : Christian Rossi. Son récit « de genre », difficile à financer pour le 7ème art au sein de l'industrie du cinéma français trouve ainsi un support à la mesure son thriller guerrier à grand spectacle, au sein du 9ème. Il nous livre quelques clés sur la réalisation de ce bien bel album, au gré d'une interview réalisée par mails interposés et richement documentée !

Réalisée en lien avec l'album Ballade du soldat Odawaa
Lieu de l'interview : le cyber-espace

interview menée
par
10 novembre 2019

Bonjour Cédric. Etant donné que La ballade du soldat Odawaa est ta première BD, nous nous permettons de te poser une question naïve : qui es-tu ?
Cédric Apikian : Bonjour à tous, pas de soucis, je suis auteur/réalisateur et parfois même producteur et ce depuis une vingtaine d’années. J’ai fait des clips, des courts métrages, moyen métrages, docs musicaux, séries TV… (On peut voir pas mal de choses ici http://cedricapikian.fr ). Je suis arrivé dans la BD (une passion d’enfance) via l’émission pifPAFpoum que j’ai créée.

 La ballade du soldat Odawaa – Copyright Casterman, Rossi, Apikian


Peux-tu nous retracer le destin peu courant de cette histoire, initialement écrite pour le cinéma ?
Cédric Apikian : Après mon film Where the indian lies (« Là où l’indien dort ») qui se passe pendant la guerre de sécession et qui a été primé aux USA, ma compagne me dit « Toi qui adore les indiens, il existe des snipers amérindiens qui ont participé à la guerre de 14-18… » Autant me donner le plan de l’Atlantide ! Du coup j’ai fait des recherches et suis tombé très vite sur les destins de Francis Pegahmagabow et Henri Norwest, deux héros canadiens de la grande guerre… A partir de là, la machine s’est mise en marche tout de suite… et j’ai écrit le scénario de long métrage de ce que je pensais être mon prochain film.

 La ballade du soldat Odawaa – Copyright Casterman, Rossi, Apikian


Pourquoi ce scénario n’a-t-il pas pu être adapté au cinéma ?
Cédric Apikian :Assez rapidement, au Festival de Cannes, le scénario a suscité un grand intérêt auprès de productions canadiennes. Par contre, étant français, il fallait que je trouve un producteur français majoritaire pour enclencher une co-pro avec le Canada. J’ai donc enclenché 2-3 pistes prods qui ne savaient pas trop quoi faire avec un tel projet. Ils n’avaient pas les épaules et surtout le film dit « de genre » est le parent pauvre du cinéma français. Tout le monde veut en faire, mais personne n’ose s’en donner les moyens. Ça commence à peine à bouger… Bref, à l’époque, le temps passant et ne sachant pas trop qui contacter, je suis parti sur un autre projet urbain et actuel et écarté un peu celui-ci. Donc, en fait, tout est encore à faire… et peut-être possible !

Comment est-il arrivé entre les crayons et pinceaux de « maître » Rossi ?
Cédric Apikian : Pendant mes années pifPAFpoum, j’ai pu voir un peu tout ce qui se faisait. En BD, le genre est roi. Je me suis alors dit qu’Odawaa pouvait prendre vie dans ce medium. En voyant une case de Deadline de Rossi que j’admirai déjà (P3, celle où les papillons volent sur le cadavre du cheval), je savais que j’avais la personne adéquate pour ce mélange de poésie et de violence qui caractérisait La ballade du soldat Odawaa. J’ai commencé à prospecter un éditeur qui m’a demandé qui j’envisageai au dessin. Evidemment ma réponse « Rossi » a été rapidement balayée.

Cédric Apikian (à gauche) et Christian Rossi


Lors d’une interview pour pifPAFpoum, je l’ai alors rencontré à la galerie Maghen. Je me rappelle encore ce que m’a dit la personne de la galerie en nous voyant : « On dirait deux vieux potes qui se retrouvent ». C’était ma première rencontre avec lui, mais on a compris qu’on avait le même ADN. Leone, Peckinpah, Blueberry… Bref, il m’a dit qu’il avait pas mal de scénarios à lire à la fin des Amazones (son précédent bouquin) mais qu’il étudierait aussi le mien. Quelques mois après, c’est celui qu’il a retenu.
Puis un soir il m’a appelé et m’a demandé si je connaissais Les celtiques de Pratt, car c’était l’approche qu’il envisageait pour Odawaa et que si j’étais d’accord avec ça, on y allait… Boum ! Juste une de mes 3 ou 4 BD préférées ! J’en avais la chair de poule au téléphone… Evidemment que c’était OUI !

 La ballade du soldat Odawaa – Copyright Casterman, Rossi, Apikian


Quelles ont été les principales difficultés que tu as rencontrées pour adapter ton scénario ciné pour la BD ?
Cédric Apikian : Pas vraiment de difficultés car c’était juste passionnant à faire ! Mais en gros j’ai compacté des passages, réajusté les dialogues… On a supprimé tout le passé de Odawaa car ça rajoutait une sous-couche qui était complexe pour un personnage BD (et cassait la fluidité), alors que ça semble naturel pour un acteur qui interprète un rôle. Mais là, on rentre dans un passage technique, certes très intéressant, mais qui oblige à spoiler… donc je ne peux pas trop en parler. Bref c’est un peu mon seul regret car ça a éliminé mon magnifique personnage féminin pivot et beaucoup réduit aussi le 2eme (Eléonore). Et du coup j’ai dû changer/réadapter la fin. Donc il faudra que je fasse le film pour voir ça !

Comment votre collaboration a-t-elle fonctionné pour la réalisation de cet album ?
Cédric Apikian : A merveille ! Christian m’a envoyé toutes les étapes au fur et à mesure, le crayonné, l’encrage… Donc j’étais le 1er spectateur. On a discuté de plein de choses, ajouté, retranché des détails. Mais c’était facile, on parlait la même langue. On est tous les deux très rigoureux et lui ne fait rien qui n’ait pas un sens. Donc ça peut faire peur, dit comme ça, mais je vous assure que ça a été un accouchement harmonieux. D’ailleurs, on est partant pour le préquel (déjà entamé de mon côté) selon l’avenir de cette Ballade.

 La ballade du soldat Odawaa – Copyright Casterman, Rossi, Apikian


Quel étonnant lien de parenté caché existe-t-il entre le capitaine Keating et le colonel Blake (…sans Mortimer) ?
 La ballade du soldat Odawaa – Copyright Casterman, Rossi, Apikian Cédric Apikian : Ahahaha bon bin voilà, j’y ai droit à chaque fois… Au départ, Keating était plus bourru, paternel. Moi j’aimais beaucoup. Mais il pouvait un peu se confondre avec Chanteaume, le soldat français. Puis Casterman a voulu changer en affinant le personnage. Là, direct, j’ai dit « c’est Francis Blake ! ». Ce n’était pas leur avis. J’aurai dû parier avec eux. Mais il est chouette ce Keating, il évolue au fur et à mesure et il a une fragilité et une classe que l’autre n’avait pas. Et puis j’adore Blake et Mortimer !

Comment as-tu été accueilli dans le monde impitoyable de la BD ?
Cédric Apikian : Quand on vient du cinéma/TV et des maisons de disques (docs musicaux), le côté impitoyable en BD se ressent moins, je vous assure ! Ecoutez, ça a l’air de bien se passer pour l’instant. Moi je fais mon truc. J’ai été bienveillant avec beaucoup de monde durant l’émission pifPAFpoum. On était là pour partager notre passion et faire connaître ce qu’on aimait, pas pour casser… J’espère recevoir le même traitement. Et puis je n’ai pas de temps à perdre avec du négatif en fait.

 La ballade du soldat Odawaa – Copyright Casterman, Rossi, Apikian


Cette première expérience t’a-t-elle donné envie de récidiver ? Si oui, quels sont tes projets dans le milieu de la BD ?
Cédric Apikian : OH QUE OUI !! C’était un régal, un travail passionnant ! En fait je crois que je vais avoir du mal à m’en passer dorénavant. J’ai plusieurs projets prêts, d’autres en cours. En dehors du prequel possible d’Odawaa (avec Rossi évidemment), quelques dessinateurs comme Steve Cuzor, Thim Montaigne, F.Miville-Deschênes, Corentin Rouge, Paul Gastine, Steph de Caneva ont tout mon intérêt. Bon, il y en a d’autres évidemment, plus ceux que je ne connais pas encore ! Le problème c’est de caler des dates dans les calendriers.

 La ballade du soldat Odawaa – Copyright Casterman, Rossi, Apikian


Quelles sont tes grandes influences (BD ou ciné…) ?
Cédric Apikian : En ciné, Leone, loin devant, avec Il était une fois en Amérique qui est le film qui m’a fait devenir réalisateur et sur lequel j’ai fait ma Maîtrise de cinéma avec un sujet sur la structure temporelle du récit. Mais aussi Peckinpah (La horde sauvage, Pat Garrett), David Lean (Lawrence d’Arabie), Coppola (Le Parrain, Apocalypse now), Terence Malick (La ligne rouge)… Enormément de films de genre (western, guerre, péplum, SF), beaucoup le cinéma asiatique aussi…
En BD, comme tous les gamins des 70-80’s les classiques Astérix, Alix (La griffe noire/Le dernier spartiate/Les légions perdues), Lucky Luke, Tintin, Tuniques bleues… Evidemment Giraud (Blueberry) et Pratt (Corto Maltese) et Maurice Tillieux ! (Gil Jourdan)

 La ballade du soldat Odawaa – Copyright Casterman, Rossi, Apikian


Si tu avais le pouvoir cosmique d’entrer dans le crâne d’un autre auteur (pour en comprendre le génie ou la démarche artistique), chez qui irais-tu explorer cela ?
Cédric Apikian : Au ciné, chez Leone au moment où il demande à De Niro de sourire face à la caméra sur le plan de fin de Il était une fois en Amérique…Je suis persuadé qu’il lui a dit « Regarde-les (les spectateurs) et fais leur comprendre que tu les as bien eu en leur racontant une belle histoire » !

Merci Cédric !

 La ballade du soldat Odawaa – Copyright Casterman, Rossi, Apikian