interview Comics

Mark Waid

©Delcourt édition 2015

Lorsque l'on a la possibilité d'interviewer Mark Waid, une multitude de questions saute immédiatement à notre esprit. Il faut dire que l'auteur traîne depuis plusieurs décennies dans l'univers des comics et la qualité de son œuvre est d'une incroyable constance. Kingdom Come, Fantastic Four ou Daredevil sont quelques uns de ses runs mythiques sur des figures populaires et connues. Toujours aussi imaginatif, Mark Waid est tout autant capable de rénover des univers déjà en place que d'en créer de nouveaux. Ce fut le cas avec Hunter Killer, Irrécupérable ou Golgoth le dernier Empereur, que les lecteurs connaissaient peut être sous son ancien nom : Empire. Avec la ferme envie de poursuivre le récit de leur atypique tyran, Mark Waid et Barry Kitson attendirent plusieurs années que les droits leur reviennent. C'est à l'occasion de la nouvelle édition française d'un des titres qui lui est le plus cher (à raison !) que le scénariste a répondu à nos nombreuses questions.

Réalisée en lien avec les albums Golgoth le dernier Empereur T1, Irrécupérable T1, Hunter Killer T1
Lieu de l'interview : Le cyber espace

interview menée
par
13 novembre 2015

Bonjour, Mark. Pour commencer, pourrais-tu te présenter et nous dire comment tu as commence à travailler au sein de l’industrie des comics ?
Mark Waid : Bien sûr. Cela fait maintenant plus de trente ans que je travaille dans cette industrie aussi bien en tant qu’auteur, éditeur, chargé de publication, relecteur, responsable de production, distributeur, parfois coloriste, parfois illustrateur, etc. J’ai fait mon entrée en tant que fan et j’ai commence par travailler dans le domaine des revues spécialisées destinées aux professionnels de l’industrie. Puis, en 1987, j’ai été engage comme éditeur par DC Comics.

Tu as commencé à travailler en tant que responsable éditorial et ce avant de devenir auteur. Qu'est ce qui t'as poussé à faire cette bascule ?
Mark Waid : Pour être honnête, je ne suis jamais à mon aise dans un bureau. ça me dérange de devoir m'asseoir derrière un bureau ou de devoir gérer mon temps suivant les règles d'un tiers. J'ai quitté cette fonction en 1989 et je pensais pas alors réussir en tant qu'auteur freelance. Mais bon, me voilà, aujourd'hui.

Tu as officié sur Flash et ce pendant près de huit années. C'est quelque chose ! Que penses-tu de ton run sur cette série, aujourd'hui ?
Mark Waid : J'y suis encore très attaché. Cela dit, tout les honneurs devraient en revenir à Brian Augustyn. C'est lui qui m'a engagé alors que personne d'autre ne l'aurait fait et il m'a aussi donné une liberté rêvée, en termes de créativité. Et Wally West et le reste de la bande me manquent terriblement mais voilà, les comics vont de l'avant et je ne pense pas qu'on reverra un jour cette version de Wally.

J'ai entendu dire que tes relations avec DC Comics n'étaient pas au mieux. En dépit de ça, sais-tu si ton run sur Flash sera un jour réédité ?
Mark Waid : On m'a souvent dit que cela n'arriverait jamais. DC n'a aucun intérêt à continuer de publier une grande partie de mon travail et les départements chargés d'éditer les collections ont reçu en des termes imprécis l'ordre de ne jamais republier ce que j'ai fait. Je ne comprends pas pourquoi ils laisseraient filer une telle source de revenus ou pourquoi ils punissent ainsi mes collaborateurs mais je n'ai pas mon mot à dire là-dedans.

Après ça, étonnamment, Marvel t'a confié Captain America sur lequel tu as travaillé avec Ron Garney. Puis, tu as été remplacé par Rob Liefeld avant d'être rappelé sur la série quelques mois plus tard. Est-ce facile de faire son travail d'auteur quand on a à gérer des décisions éditoriales aussi farfelues ?
Mark Waid : Eh. Pas facile du tout. La première fois que Ron et moi avons travaillé sur Captain America, tout les éditeurs s'en fichaient et on nous a permis de faire tout ce qu'on voulait. Bien entendu, la fois suivante, tous les éditeurs se sont tout d'un coup transformés en experts quant à la façon de réussir cette série et on s'est retrouvés enterrés sous tellement de notes quant au premier numéro qu'on a failli ne pas le sortir. Il y a des choses que j'apprécie beaucoup, dans notre second run, mais notre premier run a peut-être été le meilleur des deux.

Kingdom Come a souvent été comparé à Marvels, principalement à cause de la présence des illustrations typiques d'Alex Ross sur les deux titres. Pourtant, je pense que Kingdom Come s'est avéré plus ambitieux que Marvels et ce en raison de sa réflexion sur la violence en tant que moyen pour parvenir à ses fins. Quels étaient tes objectifs, avec Kingdom Come ?
Mark Waid : Franchement ? Je voulais juste raconter une bonne histoire. Si on m'avait dit à l'époque que ce que j'écrivais ferait encore l'objet de discussions près de vingts ans plus tard, je ne l'aurais pas cru. Je ne pourrais jamais assez remercier Alex Ross. C'est lui qui est à l'origine du concept de départ (et aussi, bien sûr, de tous les designs des personnages ainsi que de nombreux rebondissements de l'histoire) et l'ensemble a été un véritable processus collaboratif. Je ne sais pas, parmi les histoires que j'ai écrites, si c'est ma préférée. Pour une histoire portant mon nom sur sa couverture, ça manque cruellement d'humour. Cela dit, il y a de nombreux passages que j'aime encore.

Un autre de tes runs remarquables est celui sur Fantastic Four. Lorsque l'on voit les difficultés qu'a Marvel à faire perdurer leur série phare qu'est FF, comment as-tu trouvé la formule adéquate à l'époque ?
Mark Waid : En faisant équipe avec Mike Wieringo et en prêtant attention à ce que disait l'éditeur, Tom Brevoort. Et aussi en décidant que j'adorais le personnage de Reed Richards et que je me devais de vous expliquer pourquoi.

D'où t'es venu l'idée du premier mot prononcé par Valeria et qui a fait frissonner plus d'un lecteur ?
Mark Waid : Mon dieu, j'aimerais pouvoir être crédité de ça mais le fait est que l'idée n'était pas de moi. Ca avait été suggéré soit par Breevort, soit par mon ami et auteur Tom Peyer. Je ne me souviens plus qui des deux a eu l'idée – il se pourrait même que ce soit venu de notre encreur, Karl Kesel – mais je me souviens avoir eu un hoquet de surprise quand ça a été suggéré.

En 2003, tu t'es associé à Barry Kitson pour créer Golgoth, le dernier empereur (Empire, en v.o.). Pourrais-tu revenir sur la genèse de cette oeuvre que nous avons le plaisir de redécouvrir en France ces jours-ci ?
Mark Waid : Au début des années 90, avec Augustyn, on nous a confié la tâche de relancer trois personnages venus d'Impact Comics : The Comet, The Shield et, je crois, Black Hood. On a fait Shield ensemble, Brian a fait Black Hood et, vu que j'étais le dernier auteur à être arrivé, j'ai repris The Comet. Trois numéros, illustrés et lettrés et encore jamais vus à ce jour. Mais je me souviens que mon idée de départ, pour The Comet, était qu'il était devenu un super-vilain qui avait conquis le monde. C'est cette idée d'un vilain ayant atteint son objectif qui a mené à Golgoth. Barry et moi lui avons donné vie au sein d'un monde bien à lui, une version SF de Game of Thrones comme j'aime dorénavant le qualifier, dans l'espoir que des producteurs TV m'entendent.

L'atmosphère, les personnages, la description de la propagande de l'empire et l'ambiance d'oppression m'ont fait penser aux comics que l'on pouvait trouver dans les pages de la revue britannique 2000AD, dans les années 80. Est-ce que tu voulais revenir à quelque chose de plus substantiel, en termes de satire, après une décennie – les années 90 – principalement occupée par les gros flingues et les personnages un peu dingues ?
Mark Waid : Tout ça était plus du fait de l'influence de Barry que de la mienne. Tout naturellement, Barry ayant grandi en lisant tous ces comics britanniques, il a cette sensibilité et il est un peu plus terre-à-terre dans ses goûts que moi. Mais notre partenariat n'en est pas moins précieux à mes yeux.

On sent que la série est un vrai projet personnel. Vous avez dû publier la série chez DC Comics après un essai chez Gorilla Comics. Avoir récupéré les droits en 2014 a-t-il été difficile, voire salvateur, pour tous les deux ?
Mark Waid : Ca a été incroyablement difficile. D'un point de vue légal, on était en droit de les récupérer mais les grandes compagnies ne lâchent pas les choses si facilement. On est donc entrés en guerre. Et on ne les aurait toujours pas récupérés aujourd'hui si DC n'avait pas décidé de ne pas me rémunérer pour le film JUSTICE LEAGUE: DOOM et avait, au lieu de ça, lâché les droits de Golgoth pour régler le problème et ce après de très, très nombreux emails.

Chose énorme, tu as repris la série avec Barry Kitson plus de 12 ans après sa conclusion. Était-il facile de retourner dans cet univers et d'y imaginer de nouvelles aventures ?
Mark Waid : Étonnamment difficile de par certains aspects. Je suis très différent de celui que j'étais il y a 15 ans de cela et avec des séries comme Irredeemable ou Incorruptible, j'ai eu l'opportunité de travailler des thématiques similaires. Maintenant, une fois entré dans l'état d'esprit requis et dès lors que Barry et moi avons entrepris nos sessions d'élaboration de l'intrigue, tout m'est revenu.

Vous êtes-vous fixé des objectifs précis, avec Barry, sur cette série ?
Mark Waid : C'est sûr qu'on avait une idée précise des grandes lignes et d'où on voulait aller avec cette série. Mais je dois bien dire que la moitié de ce qui fait tout le fun de l'écriture consiste à changer la direction des événements à mesure de l'écriture.

En 2007, tu as pris en main les rênes de BOOM Studios tout en continuant à écrire des scénarios. Porter simultanément ces 2 casquettes n'a-t-il pas été trop difficile à gérer, à la longue ?
Mark Waid : Ouaip. Maintenant que j'y repense, j'en ai trop fait et je crains que mes écrits n'en aient souffert. Mais non, je n'ai aucun regret.

En 2007, tu as sorti Irrécupérable dans lequel un super-héros fond un plomb et se sert de ses pouvoirs pour faire le mal. A cette époque, on voyait beaucoup de récits pervertir l'image classique du super-héros (Black Summer ou No Hero de Warren Ellis par exemple). Est-ce qu'imaginer un tel héros et certains de ses actes t'a semblé compliqué ?
Mark Waid : Je pense que c'était plus compliqué que ça en avait l'air. J'ai toujours bien gardé à l'esprit qu'il fallait avant tout rendre le Plutonien sympathique et, en même temps, dépravé et brisé. La frontière est mince et Peter Krause, l'illustrateur, m'a grandement aidé à faire en sorte que les personnages restent authentiques, dans l'émotion et ne sombrent pas dans le mélodrame gratuit.

Est-ce que le récit des aventures de Max Damage, dans Incorruptible, était quelque chose que tu avais en tête dès le lancement de Irrécupérable ou bien est-ce que ça t'es venu pendant le développement de ce dernier ?
Mark Waid : En toute honnêteté, Incorruptible a été conçu en une seule nuit, suite à un appel de Ross Richie, l'éditeur de Boom Comics, qui m'a alors dit qu'il avait besoin le plus vite possible d'un titre pour tenir son planning de publication. L'idée derrière Incorruptible est un concept tout à fait naturel, cela dit. Je suis heureux que ça ce soit trouvé là, à notre portée, prêt à être employé.

En 2011, tu as repris en main la destinée de Matt Murdock dans Daredevil. Le changement de ton a été immédiat et le succès au rendez-vous. Casser l'atmosphère sombre qui régnait sur la série vous semblait-il une obligation ?
Mark Waid : Pas tant une obligation qu'un intérêt. Quand j'ai commencé le job, j'ai dit à Steve Wacker, l'éditeur, qui était à 100% derrière nous, que j'aimais les polars mais que je ne savais pas comment en écrire un. Par conséquent, si je devais faire Daredevil, je devais pouvoir le faire en lui imprimant un certain optimisme. Je persiste à dire que, bien souvent, l'histoire est aussi sombre que celles qui l'ont précédée; la différence réside dans la manière dont Matt Murdock réagit aux choses horribles qui lui sont arrivées.

Que retires-tu de ton run sur Daredevil ?
Mark Waid : Peut-être le meilleur travail que j'ai jamais fait, en termes de travail sur une longue période de temps. Enfin, faut le dire, Paolo Rivera ET Chris Samnee ? Pas moyen de faire des comics avec ces gens là et de ne pas être au sommet de son art.

Qu'as-tu pensé de la série télé Daredevil ?
Mark Waid : J'aime beaucoup. Il y a beaucoup de Frank Miller, là-dedans, et leur approche du Caïd, qu'il représentent en ermite, c'est très novateur et ça a subtilement influencé notre propre approche du personnage sur la fin de notre run.

Tu as aussi été sur Hulk pendant quelques épisodes, dès Marvel Now. Malgré de bonnes idées, la série n'a pas eu l'air de rencontrer le même succès que Daredevil. Comment l'expliques-tu ? Est-il difficile d'écrire quelque chose de passionnant sur le personnage de Hulk ?
Mark Waid : C'est un peu plus difficile qu'avec la plupart des autres personnages, du moins pour moi. Hulk n'est pas un personnage très nuancé. Je me suis éclaté avec Bruce Banner mais Hulk a toujours posé problème. Et c'est peut être ça, la raison pour laquelle ça n'a pas marché. Je pense qu'un auteur doit vraiment adorer le matériau de base. Je pensais que c'était mon cas mais je me suis peut-être trompé.

Corrige-moi si je me trompe mais je crois que tu n'as jamais écrit sur une série Ant-Man. Pourtant, le personnage apparaît dans Daredevil et aussi dans le tie-in que tu as écrit pour Age of Ultron. Il paraît évident que tu apprécies le personnage, non ?
Mark Waid : J'ADORE LES PERSONNAGES MICROSCOPIQUES. Et je suis un tel fana des sciences dites « dures » que je passe mes journées à rêver de tout ce qu'on peut désormais faire comme histoires compte tenu de tout ce que l'on a découvert au sujet de la physique quantique et de la structure des atomes. Un jour... !

Récemment, tu as été en charge de l'écriture de la série Agents of S.H.I.E.L.D. Comment es-tu parvenu à faire dépasser la série du simple cadre de produit dérivé ?
Mark Waid : On m'a passé une note qui disait juste « met le paquet ! ». Une série tv dispose d'un budget limité et certains personnages coûteraient trop cher à mettre en scène dans la série. Je pense à Thor, au Docteur Strange ou encore Howard The Duck. On m'a demandé de mettre le paquet et je me suis éclaté.

À l'occasion du All-New All-Different Marvel, tu te retrouves aux commandes de deux nouvelles séries : Avengers et Black Widow. Tout d'abord, qu'envisages-tu pour Black Widow ?
Mark Waid : Cette série est une pure collaboration avec Chris Samnee, qui participe aussi à l'écriture de l'intrigue. On a tous les deux voulu plonger tête la première et réaliser une série très axée sur l'espionnage et moins sur les gadgets super-scientifiques. Et on adore la Veuve.

Ces dernières années, le scénariste qui pilote la série Avengers est aussi celui qui donne le ton de tout l'univers Marvel et notamment les crossovers. Seras-tu aux commandes de l'un d'eux ?
Mark Waid : Tu sais, je ne pense pas m'être retrouvé aux commandes d'un event depuis, quoi ? Underworld Unleashed ? Je ne vise rien pour 2016 mais après ça, qui sait ?

On sait que les liens entre l'univers comics et cinéma sont plus ténus que jamais. Y a t-il certains éléments que Marvel t'oblige à placer dans tes récits ?
Mark Waid : Jusqu'à présent, non. Jusque là, on m'a dit « Hey, si tu pouvais inclure ça dans ton histoire, ce serait sympa. » mais personne ne m'a imposé quoi que ce soit. Je suis content de pouvoir relier mon histoire à l'univers cinématique si tant est que cela ne compromet en rien l'univers papier – j'aime bien pouvoir ainsi toucher un public plus large – mais Marvel a été très coulant à ce sujet.

Le marché des comics n'a cessé d'évoluer depuis tes débuts professionnels. Que penses-tu de ce marché, aujourd'hui ? Les choses ont-elles énormément changé ?
Mark Waid : De manière drastique, oui. Je ne sais pas quel a été le plus grand bouleversement; la place prise par les comics indépendants ou bien l'avènement du format digital qui a permis de distribuer les comics partout dans le monde. En tous cas, ce furent deux évolutions titanesques et bienvenues, aussi.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Mark Waid : Wow. Ça c’est une bonne question. J’ai longtemps admiré la capacité de Stephen King à écrire de longs récits comportant de nombreux protagonistes – une chose que j’ai du mal à réussir à faire. Même quand je travaille sur un comics autour d’une équipe de héros, j’ai tendance à me focaliser sur un ou deux personnages uniquement, pour une histoire donnée. J'aimerais savoir comment fonctionne son cerveau pour parvenir à produire d'aussi grandes fresques.

Merci Mark !

Remerciements à Solène Subino et à Thierry Mornet pour avoir rendu cette interview possible, à Jerome Tournadre pour l'apport de questions et à Alain Delaplace pour sa traduction méticuleuse.

Retrouvez également l'interview originale de Mark Waid en cliquant ici !


Irrécupérable