interview Comics

Matteo Scalera

Bonjour Matteo Scalera, peux-tu te présenter ?
Matteo Scalera : Je m'appelle Matteo Scalera. Je suis d'origine italienne et je suis dessinateur de comics. Ma carrière a débuté en 2007 avec une série... En fait, j'ai directement commencé par travailler aux États-Unis sans avoir jamais travaillé auparavant sur des comics en Italie. J'avais 24 ans quand je me suis rendu à San Diego pour y trouver du travail et j'ai alors décroché un projet avec Image Comics qui s'intitulait Hyperkinetic. C'était une mini-série qui n'a pas très bien marché, pour être honnête. Mais c'était une première étape. A partir de là, j'ai commencé à travailler auprès d'éditeurs de plus en plus importants comme Marvel, où j'ai commencé par travailler sur Deadpool puis sur les Avengers et Hulk. Simultanément, je suis retourné auprès d'Image Comics où j'ai débuté une nouvelle série intitulée Black Science qui, heureusement, rencontre un beau succès. J'ai aussi commencé à travailler avec DC Comics. J'ai illustré un numéro de Batman, le numéro 34. ça a été assez énorme puisque ça a été la meilleure vente au mois d'août ! Je continue à faire des couvertures pour DC Comics, de temps en temps mais, pour le moment, je me focalise surtout sur Black Science. La série devrait se poursuivre pendant encore au moins deux ans et, tant que que ça marchera, on continuera à travailler dessus.

Quelles sont tes influences ?
Matteo Scalera : J'ai différentes sortes d'influences. J'ai l'habitude d'observer plein de choses différentes. A une époque, par exemple, je lisais beaucoup de bandes dessinées françaises. Je me rendais même au festival d’Angoulême et j'y achetais de nombreux albums. Mais mes influences peuvent se répartir, essentiellement, en deux catégories. Les influences issues du passé, d'abord. Je suis un grand fan de Jorge Zaffino, un artiste argentin qui nous a malheureusement quittés. C'est une de mes plus grosses influences et, malheureusement encore, il n'est pas très connu dans le monde des collectionneurs de comics. C'est plutôt ce que l'on appelle un "dessinateur auprès des dessinateurs" dans le sens où il est connu de tous les dessinateurs mais de très peu de collectionneurs. Une autre de mes grandes influences est Alberto Breccia, un autre dessinateur argentin dont je suis fan. Il y a aussi un italien, Toppi. Voilà, ce sont les artistes du passé qui m'ont le plus influencé. Aujourd'hui, mes plus grosses influences dans le présent sont, et c'est une chance pour moi, deux de mes amis. J'ai commencé par admirer leur travail puis nous sommes progressivement devenus amis. Il s'agit de Sean Gordon Murphy et de Eric Canete. Ce sont mes deux plus grandes influences du moment, en particulier du fait qu'étant amis, dès que l'un de nous réalise quelque chose, on se l'échange par e-mail. C'est très cool.

Comment décrirais-tu ton style ?
Matteo Scalera : Il m'est difficile de décrire mon propre style alors je vais plutôt répondre par ce que les gens m'en disent en général. Ce qu'on me dit le plus souvent c'est que mon style dégage beaucoup d'énergie ; j'en mets énormément dans mes planches, même si la planche est consacrée aux dialogues. En général, je mets beaucoup d'intensité dans mon travail. Et, apparemment, je suis spécialisé dans les poursuites de voitures. J'ai fait une série pour Skybound - un label chapeauté par Robert Kirkman, le type derrière Walking Dead. La série s'intitulait Dead Body Road et c'était une mini-série en six numéros. Et il y a tout un numéro, le quatrième, qui contient vingt pages avec rien d'autre qu'une course-poursuite en voiture, le tout sur des pages doubles ! Rien qu'une course-poursuite en voiture, pendant vingt pages. Et les gens en parlent encore ! Beaucoup viennent me voir à mon stand et me disent "Cette course-poursuite que tu as illustrée dans Dead Body Road, c'était incroyable !" et c'était pareil dans les critiques du numéro, à l'époque. Donc, je dirais que mon truc c'est effectivement l'énergie et le mouvement. Voilà ce que j'essaie de mettre à chaque fois dans mes planches. Je suis m'efforce aussi toujours de bien balancer les noirs et les blancs, du mieux que je peux. Et, il s'avère que de plus en plus, j'ai tendance à ajouter du noir au détriment du blanc. Cela dit, après, tout dépend du projet sur lequel je travaille.

Peux-tu nous parler de Black Science ?
Matteo Scalera : Oui, tout à fait. C'est une série qui a été lancée depuis maintenant un an et, comme je l'ai dit précédemment, on n'en sait encore rien. On continue de développer la série au fur et à mesure du temps et on a un horizon sur encore, au moins, les deux prochaines années. Je ne peux pas vraiment dire exactement combien de temps. C'est une série indépendante que je développe avec Rick Remender et c'est une histoire de science-fiction qui parle de scientifiques découvrant comment sont construites les différentes dimensions de l'univers. Ils découvrent que cela s'apparente à un oignon avec à chaque fois une dimension située derrière une autre. Ils créent alors une machine appelée le Pilier leur permettant de voyager au travers de ses dimensions. Mais un incident survient avant que le dispositif n'ait pu être testé et ils se retrouvent tous projetés dans différentes dimensions pendant des durées variables. Et ils n'arrivent pas à réparer le pilier. Ils se retrouvent donc parfois à passer cinq minutes dans une dimension peuplée de dinosaures puis ils se retrouvent dans la Rome antique, etc. Ils n'ont aucun contrôle sur ce qui leur arrive et, la plupart du temps, ils débarquent dans des mondes hostiles.

Travailler avec un scénariste comme Rick Remender, qui a aussi été encreur, change t-il quelque chose dans votre collaboration ?
Matteo Scalera : Oh oui. Ce qu'il y a de bien c'est que non seulement nous sommes tous les deux dessinateurs mais en plus nous partageons la même vision. Il a travaillé dans l'animation et j'ai tendance à animer ce que je fais donc nous avons à peu près le même type de narration visuelle. On s'entend donc très bien et, généralement, quand il me communique un nouveau script, on commence par en faire d'abord un aperçu sous forme de vignettes, on fait la mise en page des cases. La plupart du temps, il ne me passe pas de notes parce qu'on est au même niveau et c'est très agréable ! ça facilite grandement la collaboration quand on travaille avec quelqu'un qui a la même conception des choses. Parfois, et surtout depuis quelques temps, il se dispense de spécifications : inutile de préciser les angles de caméra, les choses comme ça. Il le fait, parfois mais en temps normal, il se contente de décrire la scène parce qu'il sait que je sais. On est comme connectés. C'est donc très sympa de travailler ensemble et c'est d'ailleurs pour ça que cela fait maintenant trois ans que je travaille avec lui et que je m'efforce de poursuivre notre collaboration.

Black Science est une série qui pourrait bien être illimitée en terme d'épisodes...
Matteo Scalera : Oui, c'est le principe. Quand on a débuté, on avait une sorte de limite à l'esprit et, aujourd'hui encore, je ne sais pas ce qu'on va pouvoir faire après le trentième numéro mais on verra bien. Si ça se vend et que l'accueil du public est bon, pourquoi pas continuer ?

Tu as aussi travaillé un peu pour Marvel...
Matteo Scalera : Oui, oui, je suis un grand fan. Malheureusement, je n'ai pas eu la chance de pouvoir travailler sur des séries X comme X-Men ou X-Force. J'adorerais pouvoir le faire car c'étaient mes séries préférés quand j'étais gosse, entre 90 et 95 ou quelque chose comme ça. J'étais très fan des X-Men, de X-Force. Mais je n'en n'ai pas eu l'occasion, non. Ça a quand même été très cool de pouvoir travailler sur d'autres personnages comme les Avengers.

Maintenant que Rick Remender est devenu l'un des scénaristes vedettes chez Marvel, il pourrait te pistonner un peu, non ?
Matteo Scalera : Oh oui, on ne sait jamais. Le seul truc c'est que j'ai longtemps travaillé sur deux séries mensuelles en parallèle, ce qui était de la folie ! Je travaillais quelque choses comme 14, 16 heures par jour, chaque jour y compris le weekend. Mais ça me rendait dingue et mon esprit comme mon corps réclamaient un peu de repos. Après ça, j'ai travaillé sur Black Science, qui se vendait très bien et ça m'a permis de me concentrer sur cette seule série sans avoir à illustrer une autre série mensuelle en même temps. Mon objectif principal, pour le moment, est de rester concentré sur Black Science et de n'être que sur une seule série mensuelle, ce qui est quelque chose de tout nouveau pour moi. Je peux prendre les samedis et mes dimanches et profiter un peu plus de ma vie ! M'amuser ! Mes dessins aussi en bénéficient car je suis plus détendu, moins anxieux. Je ne me préoccupe plus autant des deadlines car je peux illustrer tout un numéro en trois semaines, alors de temps en temps je me prends quelques jours en plus pour m'amuser. J'aimerais beaucoup participer à d'autres projets car on me transmets plein de propositions mais je commence à dire "non" car j'apprécie beaucoup le temps libre dont je dispose maintenant, de pouvoir voyager de par le monde. Oui, c'est carrément mieux.

Aurais-tu envie d'écrire ta propre histoire ?
Matteo Scalera : En fait, je l'ai fait il y a de cela quatre ans. J'avais ma propre série qui était publiée en Italie. C'était une mini-série de quatre numéros mais chaque numéro comportait trente-deux pages donc en tout c'était comme une mini-série classique de six numéros. Ça s'intitulait "The Retrievers" et ça se passait dans un futur proche, genre 2040, et ça parlait d'un super-héros badass à la Superman qui se faisait kidnapper par des terroristes tchétchènes. Et le gouvernement était alors obligé de contacter les super-vilains et de les envoyer là-bas pour le sauver. Il y avait donc cette équipe de super-vilains financés par le gouvernement et obligés de sauver le super-héros. il y avait pas mal de conflits : l'un deux voulait tuer le héros, un autre voulait le sauver pour l'argent ou pour obtenir sa liberté - certains d'entre eux étaient des prisonniers. C'était une histoire marrante, en gros. Et le truc vraiment drôle c'est que tout le long du comics j'avais dispersé des annotations au sein desquelles moi, Matteo, j’expliquais aux lecteurs en quoi consistait mon métier, la réalisation de comics, la narration, des trucs et astuces autour de la narration, etc. C'était donc marrant car c'est progressivement devenu une sorte de méta-comics. Et ça s'est bien vendu ! Malheureusement, il manque le dernier numéro car j'ai été trop occupé pour ça. Et donc en Italie, il y a encore plein de gens qui viennent me voir et me demandent "Hey ! Est-ce que tu vas le finir ?" et moi "Non, je suis débordé, désolé !". Mais j'ai bien l'intention de le finir ! Le seul problème est que j'ai arrêté de travailler dessus il y a quatre ans et, entre-temps, mon style a évolué et il faudrait que je reprenne tout de zéro et ça va être difficile. Mais je veux y arriver et dans l'avenir, j'aurais ma propre série. Je l'ai proposée à Image et ils étaient intéressés mais j'ai été si... Oui, oui, le public a très bien réagi donc j'espère que, dès que je me serai fait une réputation - dans deux ou trois ans, peut-être, si les choses continuent comme ça et que Black Science se vende toujours bien - alors peut-être que je pourrai sortir cette série. Ils seraient certainement contents de s'en occuper, chez Image. Ça leur plaisait, à l'époque

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur, qui choisirais-tu ?
Matteo Scalera : Jorge Zaffino car il y a des choses chez lui que je n'arrive toujours pas à comprendre. Je ne comprends pas comment il a pu arriver à faire certaines choses. En plus, de toutes ses planches que j'ai pu voir, je n'ai jamais pu en voir les crayonnés. Je ne sait donc pas comment il procédait. J'ai une des planches originales et j'ai déjà de la chance d'avoir pu l'avoir mais je ne sait toujours pas comment il procédait. Il y a des choses qu'il a faites que je ne comprends toujours pas, je ne sais pas comment il faisait. Il donne l'impression que c'était très facile mais je pense qu'il y avait énormément de travail derrière. Mais je ne sais pas car je ne n'ai jamais pu le rencontrer en personne. J'ai fait la connaissance de son fils, via twitter, très furtivement du genre "salut" mais oui, j'aurais aimé comprendre comment il faisait et, malheureusement, je n'en n'aurait jamais l'opportunité.

Et son travail sur Winter World, aussi.
Matteo Scalera : Oui, c'était incroyable ! Même ce qu'il a fait sur le Punisher ! La planche que je détiens vient de Punisher : Assassin's Guild, la scène avec les deux chinois. C'est incroyable, je bave sur cette planche à chaque fois que je la vois.

Grazie mille Matteo !

Remerciements à Aurélie Lebrun et à Emmanuelle Verniquet de l'agence Games of Works pour l'organisation et à Alain Delaplace pour la traduction.

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PAR

21 novembre 2014
©Urban Comics édition 2015

Matteo Scalera est un fan de comics depuis sa plus tendre enfance. Alors qu'il souhaite faire de la bande dessinée son métier, il aurait pu faire ses classes dans sa patrie d'origine, l'Italie, ou sur le marché européen mais il a préféré tenter l'aventure américaine dès le départ. Grand bien lui en a pris puisque moins d'une dizaine d'années après son premier voyage à San Diego, il est aujourd'hui l'un des artistes qui ne cesse d'être sollicité. Après plusieurs prestations remarquées, il a lancé avec le scénariste Rick Remender : Black Science, une série de science-fiction qui a emballé les critiques et les lecteurs. Alors qu'il jouit d'une capacité importante de production, il trouve aussi le temps de dessiner un épisode de Batman et d'imaginer d'autres projets, tout en poursuivant la série qui l'installe définitivement parmi les illustrateurs talentueux. Forcément, l'envie de le rencontrer était immense...

Réalisée en lien avec les albums Black Science T1, Ghosted T2, Deadpool - Mercenaire provocateur
Lieu de l'interview : Paris Comics Expo